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ville de Cahors, mais dans des circonstances assez curieuses pour mériter un examen particulier.

M. le B. Chaudruc de Crazannes, auteur d'une intéressante dissertation sur ces monnaies, n'a pas douté que le vase placé entre les deux oiseaux sur les exemplaires 6 et 7 de la pl. IX Rev. numismatique 1839, ne fût destiné à contenir l'Eucharistie, invoquant d'ailleurs, à ce sujet, l'opinion de MM. Lelewel et Cartier. En rapprochant ce type des oiseaux becquetant une grappe de raisin qu'on voit sur les monnaies no. 2 et 3 de la même planche, nous avions été amené à croire qu'ils étaient tous deux appelés à figurer le même symbole; Jesus-Christ n'a-t-il pas dit en effet dans l'Evangile de St.-Jean (chap. XV), Ego sum vitis vera?

Or, quelle n'a pas été notre surprise de retrouver dans un monument du XII. siècle, la nef de l'église cathédrale du Mans, les deux types dont nous parlons identiquement reproduits; d'abord les deux oiseaux mystiques, colombe et serpent tout à la fois; et puis, chose excessivement curieuse, ces mêmes oiseaux entrelacés dans un cep de vigne, affrontés et becquetant une grappe de raisin absolument comme sur les triens de Cahors (1).

Nous donnons ici un croquis du charmant piédroit du portail méri

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(1) On devait s'attendre à trouver ce sujet plusieurs fois répété dans la nef de la cathé Irale qui est spécialement consacrée au Crucifix.

dional de notre cathédrale qui figure cet intéressant tableau; il présente alternativement un sujet symbolique et un large fleuron remarquable par sa ressemblance avec la fleur de lys; le sujet inférieur de notre basrelief offre deux oiseaux becquetant chacun une grappe de raisin, tandis que le troisième symbole figure deux autres oiseaux également affrontés, mais à tête monstrueuse et diabolique, la langue haletante, et n'ayant rien devant eux, pour étancher la soif ardente qui paraît les tourmenter.

Cette antithèse entre la destinée des bons et des méchants démontre clairement l'intention symbolique et confirme l'interprétation que les monnaies de Cahors (c'est-à-dire d'un monument du VII. siècle), nous avaient fait pressentir.

Ainsi, pendant l'espace de cinq siècles, la symbolique chrétienne serait restée sensiblement la même !

Cet ensemble de preuves nous paraît donner quelque consistance à l'hypothèse que nous avons émise au sujet de nos lions; il résulte, d'ailleurs, des descriptions d'Anastase-leBibliothécaire, que le type des Lions et des Griffons entrait, fréquemment, dans les compositions des artistes tisseurs des VII®. et VIII. siècle; et il semble qu'on doit voir un sujet de la nature du nôtre dans ce passage: hic beatissimus præsul (1), diviná inspiratione repletus, in diaconiâ sanctæ Dei genitricis Mariæ domina nostræ qua vocatur Cosmedin, fecit vestem holosericam unam de stauraci habentem historiam, leones majores duo.

Plusieurs autres passages démontrent l'espèce de prédilection que les artistes chrétiens avaient conçue pour les représentations analogues:

Grégoire IV offre à l'église de St.-Marc (2) vestem aliam cum leonibus habentem resurrectionem Domini de chry

(1) De Vitis Pontif. CVII. Nicolaus 1. anno 858.

(2) CIII. Gregorius IV. 827.

soclavo..... Et une autre (1) vestem de olovero cum gryphis et unicornibus.

Plus loin, on lit (2) Fecit autem in oratorio Sanctæ Lucia quæ ponitur in monasterio de Serenati vestem de olovero cum leonibus habentem periclysin de octapula.

Etienne VI donne à la basilique constantinienne (3) Vela serica de blattin... duo ex his aquilata... et per singulos arcus presbyteri vela serica leonata nonaginta.

Nous savons que, même Ducange à la main, Anastase offre souvent des obscurités, mais on ne peut méconnaître, dans tout ceci, l'usage parfaitement établi à l'époque où ce savant écrivait, le IX. siècle, de figurer sur le pallium des autels, sur les vêtements des prêtres, et surtout sur ces voiles innombrables qui pendaient autour du ciborium, du presbyterium et à toutes les portes des églises, des figures de lions, de griffons, d'aigles, etc.

Il nous serait impossible de décider si de telles représentations étaient un produit propre à l'art chrétien ou si elles étaient un emprunt fait aux étoffes de Perse et d'Arabie qui devaient abonder à Constantinople; nous devons cependant avouer que nous inclinerions à adopter cette dernière hypothèse; à l'égard des lions affrontés notamment, il existe une représentation hiératique, les lions de Mycènes, qui a la plus grande analogie avec le type dont nous nous occupons (4). On sait que l'opinion la plus généralement admise, classe cette relique des temps héroïques parmi les monuments perses ou assyriens qui avaient pour but de consacrer le culte de Mithra. Il est vraisemblable que la religion chrétienne, trouvant ce

(1) Loc. cit. page 161.

(2) Ibid. page 165.

(3) CXI Stephanus VI. Anno 885, page 236.

(4) Monuments anc. et mod. par Gailhabaud.

type implanté vigoureusement dans les populations, en aura conservé la physionomie, tout en modifiant profondément sa portée symbolique; du bucher qui est placé entre les Lions de Mycènes elle a fait un calice. Nous ne voyons rien là que d'entièrement conforme à ce qu'enseignait la prudence, et à la ligne de conduite que le christianisme a toujours suivie dans sa marche.

Si nous jetons un regard sur les basiliques du VII. et du VIII. siècle, surtout sur les édifices de l'Orient, nous trouvons encore le type des Lions; le catholicon d'Athènes (1) offre, dans son revêtement extérieur, de nombreux exemples de Lions, de Griffons et d'Oiseaux toujours affrontés et mangeant les fruits d'un arbre ou buvant l'eau d'un vase placé entr'eux.

Nous conclurons de tout ce qui précède, mais avec toute la circonspection convenable en pareille matière, que notre tissu est de fabrique orientale, qu'il est dû vraisemblablement à l'influence chrétienne et qu'il y a des motifs plausibles pour voir dans le sujet qu'il représente une expression figurée du mystère de l'Eucharistie.

(4) Monuments anc. et mod. style bysantin. 22. livraison.

NOTES PROVISOIRES

SUR

QUELQUES TISSUS DU MOYEN-AGE ;

Par M. DE CAUMONT,

Directeur de la Société.

Le mémoire de M. Hucher nous détermine à présenter aux lecteurs du Bulletin quelques planches déjà terminées de divers tissus du moyen-âge : nous avons, dans plusieurs réunions de la Société française, annoncé que nous nous occupions de réunir des spécimens d'étoffes anciennes, et prié tous les membres de la compagnie de nous communiquer ce qu'ils pourraient découvrir en ce genre, espérant pouvoir donner plus tard une classification chronologique des étoffes, et tracer l'histoire du tissage.

Nous allons provisoirement, et avant que nous ayons pu compléter nos recherches, placer ici quelques notes qui ne seront que l'explication provisoire des objets figurés.

Ces notes auront uniquement pour but d'appeler l'attention des membres de la Société française sur un sujet d'études négligé jusqu'ici et de les engager à dessiner avec soin ce qu'ils découvriront à l'avenir.

Voici d'abord un fragment d'étoffe en soie déjà figuré par Wilmin, dans son ouvrage sur les monuments de la monarchie.

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