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ornementation taillée en pierre, prodiguée partout ailleurs? Comment un monastère dont les richesses étaient immenses, et qui, par l'étendue de ses relations, pouvait connaître et attirer dans ses murs les artistes les plus illustres, est-il demeuré étranger au grand mouvement qui animait alors l'architecture dans toute la France, et surtout dans les provinces méridionales? Une seule hypothèse peut, ce me semble, rendre raison de cette anomalie singulière. Il faut supposer que si les abbés de St.-Savin n'employèrent ni sculpteurs ni imagiers dans leur église, depuis sa construction jusqu'au milieu du XII. siècle, c'est que leur église avait déjà reçu son ornementation particulière, aussi riche sans doute dans leur opinion, et peut-être plus rare que celle des monastères voisins. Je conçois que l'entrée de la tour occidentale ait conservé ce caractère de simplicité commandée par sa destination toute militaire; mais que le tympan de la porte qui s'ouvre dans le narthex soit demeuré nu, tandis que la plus médiocre église de village ornait sa porte de bas-reliefs et de rinceaux, je ne puis le comprendre, si je n'admets alors que tout le vestibule était couvert de peintures qui ne laissaient plus de traces au travail du sculpteur.

Il est probable qu'une circonstance particulière, telle que l'arrivée d'artistes en renom, aura engagé les religieux de Saint-Savin à choisir pour leur église un genre de décoration encore peu commun, suivant toute apparence. Les rapports remarquables qu'on observe entre les peintures de la nef et les plus anciennes peintures byzantines, m'ont donné lieu de croire que ces artistes étaient des Grecs, ou tout au moins qu'ils appartenaient à une école de la Grèce. De quelque pays que fussent ces hommes, ils devaient assurément avoir obtenu ou conservé les traditions de l'art antique.

Les peintures du vestibule, de la nef et de la crypte, les mieux conservées aujourd'hui, me paraissent avoir été exé

cutées simultanément, non pas sans doute par le même artiste, mais sous la direction d'un seul maître et par les talents réunis de son école. En effet, non-seulement on remarque une conformité frappante entre les procédés matériels, mais encore les mêmes types de physionomies, les mêmes attitudes, les mêmes mouvements de draperies, se reproduisent dans ces trois parties de l'église, avec quelques différences légères d'exécution qui dénotent seulement des mains plus ou moins exercées. J'incline à croire que la tribune a été peinte à la même époque; mais l'état de dégradation de toutes ses fresques ne permet que des conjectures, car une comparaison rigoureuse est devenue aujourd'hui impossible.

Je trouve une différence sensible entre les peintures précédentes et celles du choeur. Les dernières, incontestablement inférieures sous le rapport de l'exécution, accusent une connaissance moins parfaite des procédés particuliers à la fresque. C'est dans le chœur et dans les chapelles qu'on voit, ainsi que je l'ai déjà dit, ces changements de couleur si étranges, qu'on ne peut attribuer qu'à l'ignorance des effets de la chaux sur certaines préparations, applicables dans un autre mode de peinture. Enfin les têtes n'ont point ce caractère de noblesse, les draperies cette élégance d'ajustement, que j'ai attribués à des souvenirs traditionnels de l'art antique. On observe dans le chœur, à côté de ces longues et roides figures de saints, des rinceaux très-grossiers, et surtout l'ornement de l'intrados des arcades, formé par des dents peintes en rouge. N'est-ce pas là l'enfance de l'art, le barbouillage, si je puis m'exprimer ainsi, de nos premiers peintres nationaux ? Le moyen de croire que ces dents de loup ont été badigeonnées par les mêmes artistes qui ont peint l'arc doubleau du narthex et la bande transversale qui partage les fresques de la nef? A mon avis, la décoration très-grossière du chœur serait contemporaine de la reconstruction de l'église par Odon II.

Quant aux fresques de la chapelle de Saint-Marin, je les crois exécutées à une époque intermédiaire entre la décoration du chœur et celle de la nef.

La comparaison des fresques du chœur avec celles de la nef, et l'évidente infériorité des premières, suffiraient, ce me semble, à donner à mon opinion une grande vraisemblance; mais une autre considération vient encore la fortifier. Personne n'ignore que, dans la décoration d'une église, le plus grand luxe, la plus grande recherche, les ressources les plus puissantes de l'art, sont réservées pour le lieu le plus saint, pour le chœur. Toute grossière qu'est la sculpture de SaintSavin, elle confirme cette règle générale, et l'on en a vu un exemple manifeste, en comparant les chapiteaux du narthex et de la nef avec ceux du chœur. Cela posé, il est évident qu'à l'époque où fut exécutée la décoration du chœur, elle devait être supérieure à celle de la nef; or, si l'on remarque le contraire aujourd'hui, n'est-ce pas une très-forte présomption pour croire que le chœur a été peint avant la nef?

En résumé, si mes inductions sont admises par le lecteur, voici les dates approximatives auxquelles on peut s'arrêter avec quelque vraisemblance:

De 1023 à 1050, construction de l'église, badigeonnage de ses murs et de ses voûtes. Décoration du chœur. Décoration de la chapelle de Saint-Marin, postérieure de peu de temps à celle du chœur.

De 1050 à 1150, au plus tard, peinture des fresques de la nef, de la crypte, du vestibule et de la tribune, par des artistes appartenant à une école originaire de la Grèce.

De 1200 à 1300, peinture de la Vierge du narthex.

A partir de cette époque, il n'y a plus que d'ignobles badigeonnages, dont il est inutile de s'occuper.

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EGLISE SAINT-SAVIN.

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ARCHÉOLOGIE MUSICALE.

DU CHANT CATHOLIQUE;

Par M. de SAINT-GERMAIN,

Inspecteur des monuments historiques de l'Eure.

Première lettre.

A M. de Caumont, directeur de la Société française pour la conservation des monuments historiques.

MONSIEUR,

Une phase nouvelle s'accomplit en archéologie chrétienne. De l'architecture proprement dite, des monuments écrits, peints, gravés ou sculptés, la science étend aujourd'hui ses investigations et ses vues régénératrices au chant liturgique. C'est une conséquence rationnelle et impatiemment atteudue.

Les églises ne sont pas des temples vides et inertes; un souffle sacré les anime fervente exclamation de l'assemblée des croyants, le chant catholique ne doit jamais rappeler les accents passionnés ou profanes de la musique mondaine.

Comme les autres branches de l'art chrétien, la musique

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