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(Eure), on a découvert, il y a quelques années, les restes d'une villa gallo-romaine assez importante, à en juger par une superbe mosaïque et autres objets d'art que les fouilles dirigées avec une grande habileté par M. Charlier, inspecteur des forêts, à Caudebec, ont mis à jour.

En 1843, on a reconnu une salle de bains complète, une étuve, puis une vaste cave de forme carrée, de 3 mètres de profondeur, parfaitement conservée et exactement semblable aux nôtres.

Au nombre des objets curieux recueillis dans cette cave, se trouvait un vase que la pioche d'un ouvrier a brisé, et qui renfermait plusieurs kilogrammes d'une substance d'un bleu clair, ayant sans doute été en poudre, mais que l'humidité avait réunie en masse.

En 1843, à mon retour des vacances, M. Bertran, commissaire de police à Rouen, qui venait de visiter les fouilles de la forêt de Brotonne, m'apporta un échantillon de cette couleur bleue et m'engagea à en faire l'analyse.

Cette matière est d'un bleu pâle, en morceaux concrétionnés, mais très-friables. Son aspect et sa consistance terreuse prouvent que primitivement elle était en poudre fine. Elle n'a aucune saveur; elle ne cède rien à l'eau ; mais elle fait une vive effervescence avec les acides.

100 parties de cette matière cèdent à l'acide chlorhydrique 15, 5 de carbonate de chaux avec des traces de fer.

Après ce traitement, la poudre insoluble a tout-à-fait l'apparence et la couleur de l'azur ou de l'outremer factice; elle est rude au toucher, et en l'examinant à la loupe, on reconnaît facilement que c'est une matière vitreuse qui a été pulvérisée.

Cette poudre bleue résiste à la plus forte chaleur sans se décolorer ni fondre, elle ne fait que s'agglomérer. Les acides les plus énergiques n'ont aucune action sur elle; elle est à

peine attaquée par l'eau régale, mais chauffée au rouge avec plusieurs fois son poids de potasse caustique, elle fond et donne par le refroidissement une masse d'un vert sombre qui se dissout en grande partie dans l'acide chlorhydrique

concentré.

Une analyse qualitative m'a permis de reconnaître, dans cette substance, dépouillée à l'avance du carbonate de chaux avec lequel elle est mêlée, beaucoup de silice, de l'alumine, de la chaux avec des traces de magnésie et de fer, de la soude et de l'oxyde cuivrique, sans aucune trace d'oxyde de cobalt.

L'analyse quantitative m'a donné les nombres suivants :

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La matière colorante bleue trouvée dans la villa galoromaine de la forêt de Brotonne, est donc un verre coloré par de l'oxyde de cuivre, tout-à-fait analogue au Caruleum de Vitruve ou à la fritte d'Alexandrie ou de Pouzzole, que les artistes romains employaient pour la peinture à fresque et la décoration des appartements.

Chaptal, le premier, a fait, en 1809, une analyse qualitative de cette couleur sur un échantillon trouvé dans la boutique d'un marchand de couleurs de Pompeïa, et qui lui avait été donné par l'impératrice Marie-Louise. Il l'a comparée à la cendre bleue des modernes, et il avance que son emploi doit remonter à des siècles bien antérieurs à celui qui a vu disparaître Pompeïa sous un déluge de cendres, puisque Descotils a reconnu la même couleur cuivreuse sur

les peintures hiéroglyphiques d'un monument de l'ancienne Egypte (1).

Sir H. Davy parle de la même couleur minérale dans son curieux mémoire sur les couleurs dont se servaient les anciens dans la peinture, publié en 1815 (2). Il dit que les parties bleues du monument de Caïus Cestius, de la noce Aldobrandine et des bains de Titus, à Rome, ont été faites avec cette matière. Dans une fouille pratiquée, en mai 1814, à Pompeïa, devant ce célèbre chimiste, on retira un petit pot qui contenait une couleur bleue pâle; c'était un mélange de chaux et de fritte d'Alexandrie.

Davy a seulement donné l'analyse qualitative de cette couleur bleue, et il rapporte le passage de Vitruve qui fait mention de sa préparation. Voici ce passage, reproduit avec corrections par M. Hofer, dans son histoire de la chimie (3).

«

La préparation du bleu fut primitivement inventée à Alexandrie, et Nestorius en a depuis établi une fabrique à Pouzzole. L'invention en est admirable: on broie ensemble du sable avec de la fleur de natrum (carbonate de soude) aussi menu que de la farine; on la mêle avec de la limaille de cuivre; et on arrose le tout avec un peu d'eau, de manière à en faire une pâte. On fait ensuite avec cette pâte plusieurs boules que l'on fait sécher. Enfin, on les chauffe dans un pot de terre placé sur un fourneau, de manière que par la violence du feu, la masse entre en fusion et donne naissance à une couleur bleue (4). »

(4) Chaptal.

Notice sur quelques couleurs trouvées à Pompeia.— Annales de chimie, 1re. série, t. 70, p. 22.

(2) Annales de chimie. 4. série, t. 96, p. 72. (3) Hæfer.-Histoire de la chimie, t. 1, p. 162. (4) Vitruve. VII. 9.

C'est avec cette matière vitreuse que les artistes romains obtenaient toutes leurs nuances de bleu, en mélangeant le verre pulvérisé très-fin avec des proportions variables de craie, qui servait alors à étendre les couleurs, de même que chez nous on fait usage de céruse pour allonger les autres couleurs à l'huile.

Dans des fouilles, pratiquées à Rome en 1842, on a trouvé plusieurs boules d'un beau bleu céleste ayant environ un demi-centimètre de diamètre; elles étaient dans une boutique attenant aux bains de Titus, et qui a paru être celle d'un peintre ou d'un marchand de couleurs. M. Delesse, ingénieur des mines, qui en a fait l'analyse, donne ainsi leur composition:

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C'est donc encore la fritte d'Alexandrie avec d'autres proportions.

M. l'abbé Cochet m'a remis, en décembre 1843, plusieurs fragments de crépis d'un bleu pâle, qui ont été trouvés en 1842 par M. Triboulet, dans le champ aux Tuiles, à St.Jean de Folleville, canton de Lillebonne (Seine-Inférieure). L'analyse m'a démontré que la teinte de ces crépis est due à la fritte d'Alexandrie.

M. de Caumont m'a envoyé de Caen, en 1844, un petit morceau d'une fresque teinte en bleu pâle, trouvé à Vieux,

(1) Journal L'Institut du 30 novembre 1843. 1. section, p. 416.

dans le Calvados, et d'origine gallo romaine. J'ai encore trouvé là, comme principe colorant, la fritte d'Alexandrie.

Sur de nombreux crépis colorés, recueillis, en 1844, dans la forêt de Brotonne, par "M. Deville, directeur du musée d'antiquités de Rouen, j'ai également reconnu la présence de la même matière colorante métallique.

L'existence de la même couleur bleue à Herculanum et à Pompéïa; à Rome; dans la villa gallo-romaine de la forêt de Brotonne; dans les environs de l'ancienne Juliobona (Lillebonne); aux Vieux, dans le Calvados, démontre que la fritte d'Alexandrie était d'un emploi général pour la peinture et la décoration, à l'époque de la domination romaine.

La beauté et la solidité de cette couleur bleue, qui résíste à l'action des agens chimiques les plus énergiques, et à celle non moins destructive de l'air, de la lumière et de l'humidité, devraient engager nos peintres et nos décorateurs à reprendre l'usage de cette couleur, qui aurait encore l'avantage d'être moins coûteuse que le smalt ou azur de cobalt. On peut l'obtenir en calcinant fortement pendant deux heures à la forge un mélange de 60 parties de sable siliceux, 45 parties de sel de soude et 9 à 10 parties de limaille de cuivre.

II.

Sur des crépis colories trouvés dans des villas galloromaines du département de la Seine-Inférieure.

M. l'abbé Cochet a découvert, en 1843, dans la plaine de Bordeaux, près Etretat (Seine-Inférieure), une villa romaine d'une grande importance, sur laquelle il a publié une intéressante notice au commencement de 1844 (1).

(1) Cochet.-Fouilles d'Etretat en 1843, avec un plan géométrique de la villa romaine de Bordeaux, près Etretat. —Revue de Rouen et de la Normandie. No. 1. Janvier 1844, p. 25.

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