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MOSAÏQUE

DE MONT-SAINT-JEAN

(SARTHE);

Par MM. Charles DROUET et E. HUCHER,

Membres de l'Institut des provinces et de la Société
française.

Le 13 septembre dernier, M. le V. de Dreux-Brézé, propriétaire de la ferme de Moullé, commune de Mont-St.-Jean (Sarthe), a fait la découverte d'un monument gallo-romain fort intéressant, en fouillant un pré dépendant de ce domaine qui n'indiquait aucun vestige de substructions.

Les travaux dirigés et surveillés par le propriétaire, avec un soin tout particulier, ont bientôt été couronnés du plus rare succès; car à peine avait-on déblayé quelques mètres de décombres, qu'on parvint à une riche mosaïque de style gallo-romain, comme l'édifice lui-même, qui formait le pavage d'une chambre terminée par une abside semi-circulaire. Trois autres pièces affectaient la forme carrée, et n'offraient d'ailleurs qu'un béton assez épais, semblable à celui qu'on rencontre généralement dans les monuments de cette époque.

L'aire de la mosaïque, semi-circulaire, comme nous l'avons dit, à l'une de ses extrémités, et offrant une longueur de 5 mètres 3 centimètres sur une largeur de 4 mètres 17 centimètres, a été anciennement détruite pour moitié environ,

mais l'autre moitié, qui est la plus intéressante, est dans un fort bel état de conservation, et suffit pour permettre de restituer dans son entier, ce curieux monument.

Les parties qui subsistent encore dans la portion semi-circulaire, présentent une riche archivolte composée de fleurons et de rinceaux alternés, et un tympan chargé d'une grande coquille cannelée, au-dessous de laquelle se font remarquer deux dauphins d'un fort bon style; dans la partie rectangulaire qui fait suite à la précédente, les fleurons de bordure affectent la forme de palmettes, et diffèrent, à partir de l'archivolte, de ceux qui décorent cette dernière, sans qu'il y ait entre eux de liaison; de même qu'il n'existe pas de coins au sommet des deux angles droits du rectangle; cette circonstance donne à penser que cette mosaïque n'a pas été faite sur les lieux.

La portion centrale du rectangle, comprise entre le tympan de l'hémicyle et les bordures, est entièrement occupée par un système de carrelage à six pans composé de petits cubes jaunâtres cernés d'autres cubes noirs ou brun très-foncé, qui caractérisent la forme hexagone de ce carrelage; les éléments qui le composent présentent chacun un diamètre de 15 centimètres environ.

Les cubes ou fragments quadrilatères de cette mosaïque ont eux-mêmes un diamètre qui varie de 7 à 15 centimètres, ceux du fond affectent une couleur jaunâtre; quant aux feuillages, ils sont composés d'un rang extérieur de cubes. noirs qui dessinent la forme, puis vient un filet rouge, et enfin le centre de toutes les feuilles consiste en un rang de cubes jaunes; la coquille est d'un bleu grisâtre, qui devient plus fanée dans les ombres et se termine par des pointes aiguës qu'on nomme vulgairement dents de loup; les dauphins crêtés à la manière romaine, lancent par la bouche des flots simulés par de légers filets bleuâtres; ils nagent eux

mêmes sous les vagues pour lesquelles le mosaïste a adopté le même système d'expression.

Les murs de la chambre à la mosaïque, étaient ornés de placages recouverts de fresques de diverses nuances, ainsi que le témoignent les vestiges qui apparaissent encore vers le sommet de l'hémicycle; leur épaisseur est moindre qu'à Alonnes; mais le système de construction est le même dans les deux localités; ils sont formés d'un blocage à bain de chaux et de ciment, revêtu de pierres en petit appareil sans cordons de briques; et les aires qu'ils comprennent comme à Alonnes, mais moins épaisses toutefois, reposent sur une couche de ciment mêlé de briques pilées, au-dessous de laquelle gît un blocage de petites et de moyennes pierres placées de champ.

A tous ces détails il est bon d'ajouter que les fouilles, surveillées avec persévérance par M. de Brézé, ont produit une grande quantité de débris d'amphores, de verre épais, de fresques, de tuiles creuses et à rebords, de grandes et petites briques carrées et rondes, de tuyaux de chaleur, en terre cuite, pour hypocaustes; de fragments de poterie rouge ornée, noire ou grise; des écailles de grandes huîtres, des défenses de sanglier, un andouillet de cerf, deux morceaux de siflet ou de flûte en os; un éperon en fer, une lame de couteau, des clous, également en fer, deux petites médailles ou quinaires, en bronze, dont les légendes manquent, mais qui appartiennent à l'époque de Claude-le-Gothique, ainsi qu'un petit fermoir en bronze, orné de palmettes assez semblables à celles qui forment la décoration du rectangle de la mosaïque. Enfin M. de Brézé a fait recueillir, avec un soin religieux, les ossements d'environ cinquante squelettes qui gisaient çà et là sous les décombres des aires des quatre chambres découvertes jusqu'à ce jour. Cette dernière circonstance rappelle naturellement à l'esprit le souvenir de cette dévastation générale, accompagnée d'incendies, et arrivée

dans les Gaules au temps de la grande invasion des Barbares. Alors eut lieu sans doute la destruction totale de notre ville, ainsi que semblent l'indiquer encore les cendres et le charbon qui jonchaient le sol lors de sa mise à nu.

Mais l'archéologue n'est pas le seul qui doive se féliciter de ces découvertes; elles offrent encore un véritable intérêt pour l'historien et le généalogiste.

Une tradition conservée dans la famille de Courtarvel fait dériver son nom des deux mots latins Curia-Rouelli; cette opinion s'appuyait jusqu'ici sur un titre de 1242, ou Godefroy de Courtarvel paraît comme seigneur de Curia-Rouelli.

Un fait positif matériel vient donner aujourd'hui une autorité nouvelle à cette tradition de famille; en effet, les ruines que nous venons de décrire, ont été trouvées dans un pré dépendant d'un domaine (Curia) nommé Roullé, qui a toujours appartenu à la famille de Courtarvel; n'est-il pas permis d'en conclure avec quelque vraisemblance qu'elles sont le berceau de cette ancienne famille?

Quelques observations démontreront d'ailleurs jusqu'à l'évidence, l'identité des mots Curia-Rouelli et Courtarvel.

Tout le monde sait que les Romains prononçaient la lettre U ou, et que l'U et le V, s'employaient indistinctement et n'étaient en quelque sorte qu'une seule et même lettre.

De plus, il résulte positivement de nombreuses chartes citées par Ducange, tome II, que Curia avec la signification de prædium rusticum, domaine rural, a pour synonyme Curtis, .... in villa sive in curia... Curtes sive Curias...., et que le mot Curtis a persisté dans la langue vulgaire où il a donné naissance au mot court, tandis que son synonyme Curia est resté plutôt affecté au langage diplomatique où il a pris surtout le sens de cour de justice.

Il résulte évidemment de ces rapprochements, que le domaine Curia Rouelli a dû être appelé en langage vulgaire

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Mosaïque

trouver an Mont St

Jean. / Sarthe

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