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Commentaires de César, et Dubuisson, cité par lui, font honneur d'une origine si ancienne à la commune de Gratupance, village situé à trois lieues au sud d'Amiens.

Bovelle, autre traducteur de César, voulait voir cette forteresse sur l'emplacement de Grandvillers.

Vigenère, qui a encore traduit les Commentaires, mettait Bratuspantium à Beaumont-sur-Oise.

D'autres écrivains la cherchaient à Clermont en Beauvaisis et à Bavai en Hainaut.

Enfin, un grand nombre d'auteurs veulent qu'elle ait été placée entre Caply, Beauvoir et Vendeuil, dans un vallon qui est limité par les coteaux de Caply, de Calmont et du Catelet, et que l'on appelle vallée de St.-Denys, parce qu'il a son origine auprès de l'église St.-Denys de Beauvoir. C'est le sentiment qu'émettent Louvet, dans son Histoire des Antiquités du Beauvaisis; Mabillon, dans les Annales des Bénédictins; Bonami, dans les Mémoires de l'Académie des inscriptions; Danville, dans sa Notice sur la Gaule; Cambry, dans sa Description du département de l'Oise; Mouret, dans son Histoire de Breteuil, et M. le comte d'Allonville, dans sa Dissertation sur les camps romains de la Somme.

De toutes ces opinions, deux seulement méritent examen : celle qui place Bratuspantium près de Breteuil, et celle qui veut qu'elle ait occupé l'emplacement sur lequel est actuellement bâtie la ville de Beauvais; les autres hypothèses ne peuvent être soutenues, ou parce qu'elles indiquent des localités qui n'ont jamais été renfermées dans le territoire des Bellovaques, ou parce qu'il est impossible de les concilier avec les faits consignés dans les Commentaires de César, ou du moins parce qu'elles sont dénuées de toute espèce de preuves.

Ceux qui soutiennent que Bratuspantium était située dans l'emplacement qu'occupe la ville de Beauvais s'appuient principalement sur un passage de la géographie de Ptolémée qui

indique Cæsaromagus comme la capitale des Bellovaquse. Beauvais, disent-ils, est incontestablement la ville que Ptolémée désigne par Cæsaromagus et qu'il donne pour le cheflieu du Beauvaisis. Or, Cæ saromagus ne peut être lui-même que Bratuspantium, dont César parle dans ses Commentaires, et qu'il indique comme étant la ville principale des Bellovaques. Donc Beauvais remplace Bratuspantium. Ce raisonnement pèche sous bien des rapports. Il est démontré, nous en convenons, que notre ville est bien celle que Ptolémée nomme Cæsaromagus dans sa géographie, et qui a pris par la suite le nom du peuple auquel elle appartenait. Mais est-il également prouvé que Bratuspantium ait été la capitale du Beauvaisis au moment de l'invasion des Romains? César ne le dit pas; il se contente de raconter que lorsqu'il amena son armée dans le Beauvaisis, les habitants de cette contrée s'étaient retirés dans leur oppidum de Bratuspantium exercitumque in Bellovacos duxit qui quum se suaque omnia in oppidum Bratuspantium contulissent, etc.» En admettant même, ce qui est plus probable, pour les raisons que nous donnerons dans la suite, que cet oppidum ait été en effet la place principale des Bellovaques, du temps de César, s'en suivrait-il qu'elle l'ait encore été à l'époque où écrivait le mathématicien Ptolémée, c'est-à-dire, vers la fin du second siècle de l'ère chrétienne? N'est-il pas possible que Cæsaromagus (1) soit devenu le chef-lien du Beauvaisis, et qu'il ait même été bâti après la conquête. Ce qui me semble bien prouver qu'avant l'invasion des Romains. la capitale des Bellovaques n'occupait pas la place qu'occupe actuellement Beauvais, qu'il n'y avait pas même alors dans cet emplacement, de ville, de forteresse ou de village tant

(1) Magus vient du mot gaulois Mag qui signifie grande demeure ou réunion d'habitations.

soit peu considérable, c'est que tandis que les démolitions, les fouilles et les terrassements que l'on a faits à Beauvais, à différentes époques ont procuré un grand nombre d'antiquités romaines; à peine y a-t-on rencontré quelques monnaies gauloises. Cambry, dans sa liste des objets d'art découverts à Beauvais, n'indique aucune monnaie, aucun monument de l'ère celtique. M. Graves, en énumérant les localités du département où l'on a recueilli des objets de l'art gaulois ne cite pas une seule fois la ville de Beauvais. J'ai vu moimême plusieurs collections d'antiquités trouvées dans notre ville depuis quarante ou cinquante ans, et je ne me rappelle pas y avoir rien remarqué qui ait appartenu aux Gaulois.

Une autre considération qui, à mon avis, ne permet point d'admettre que Bratuspantium ait existé dans l'emplacement actuel de Beauvais, c'est que César, en parlant de son départ de Bratuspantium, s'exprime ainsi : « Omnibus armis ex oppido collatis, ab eo loco in fines Ambianorum pervenit. Cette expression pervenit marque la brièveté du temps et de l'espace; elle indique ici que César eut à peine quitté l'oppidum des Bellovaques, qu'il parvint aussitôt sur la frontière des Ambianais. Or, les limites de l'Amiennois, même du côté du Crocq et de Cormeille, sont au moins à cinq ou six lieues de Beauvais, et il y a tout lieu de croire qu'elles étaient beaucoup plus reculées de ce côté au moment de la conquête. Le territoire de la cité ambianaise devait, en effet, avoir alors peu d'étendue, puisque les Bellovaques, dans la coalition des Belges, promirent 60,000 hommes d'élite, tandis que les Ambianais n'en purent mettre sur pied que 10,000 en tout.

Il nous reste maintenant à examiner la dernière opinion et à rechercher si l'on peut admettre que Bratuspantium existait dans la vallée de St.-Denis, entre Bauvoir, Vendeuil et Caply.

1o. Il est incontestable qu'il a existé dans cette vallée

une ville romaine très-importante. En effet, on y a découvert de tout temps et on y découvre encore chaque jour des vestiges de constructions romaines formées la plupart de grosses pierres appareillées et unies par des barres de fer, on n'y peut faire un pas sans voir des tessons de poteries rouges couvertes de bas-reliefs et de fragments de tuiles à rebords. On y a découvert un grand nombre de vases, de statuettes et d'instruments de fabrique romaine. On y a surtout trouvé une quantité prodigieuse de monnaies impériales en or, en argent et en bronze. Le duc de Sully, qui était propriétaire du château de Vendeuil, avait fait une magnifique collection d'objets recueillis dans la vallée de St.Denis. Cambry donne une longue liste de médailles que ce lieu lui a procurées, et il assure qu'il est impossible de se faire une idée de la multitude des vases de formes élégantes qu'on en a extraits en faisant des fouilles et qui lui ont été remis. Un grand nombre de cabinets de France, d'Allemagne et d'Angleterre se sont enrichis d'objets d'art provenant de ce même emplacement. D'ailleurs, autrefois, à l'époque où les terres commencent à se couvrir des premiers jets de la culture, on pouvait reconnaître à la couleur et à la hauteur des herbes, les emplacements des rues et des principaux édifices. « Les rues, les grands chemins, les amphithéâtres, les cirques se dessinent, à l'œil des curieux, dit l'auteur de la description du département de l'Oise; c'est une carte géographique à laquelle l'imagination ajoute quelque chose, mais dont l'homme le plus difficile à convaincre ne pourrait nier l'existence. » Louvet avait fait auparavant la même remarque. Il assure, dans son histoire du Beauvaisis (tom. 1er., p. 25), que « quand cette grande campagne est ensemencée en blé, on y reconnaît encore le compassement des rues où le blé est plus petit qu'aux lieux où les maisons étaient bâ– ties. A force de remuer le terrain, d'enlever les cailloux

et les restes des fondations, ces indices disparaissent de plus en plus. Cependant on voit maintenant encore au printemps des endroits où les blés sont plus courts et moins verts; il y a quelques années, le maire de Vendeuil me fit reconnaître à cette marque trois chemins ou trois rues fort longues, qui venaient aboutir au sommet du mont Catelet.

On rapporta à Cambry qu'à l'est de ce mont Catelet, il y avait eu autrefois une tour dont on trouvait encore quelques murs souterrains; qu'on avait fait des fouilles près de ces murs dans l'espoir de trouver un trésor, mais que les ouvriers n'y travaillèrent pas long-temps, parce que les démons protecteurs des trésors chassaient les travailleurs, comblaient la nuit l'espace creusé pendant le jour, et faisaient entendre des cris lugubres, ce qui a fait donner à ce lieu le nom de fosse serpris, ou fosse aux esprits.

D'après l'auteur que nous venons de citer, la ville pouvait couvrir un espace de 600 arpens (1).

2o. Avant qu'il ait existé dans la vallée de St.-Denis une ville romaine, il y avait eu auparavant une ville gauloise; on ne saurait encore élever là dessus le moindre doute. Les monuments de l'art gaulois n'y sont pas, en effet, plus rares que les monuments de l'art romain; on les y trouve même plus abondamment. Déjà le père de Montfaucon, dans son ouvrage de l'antiquité expliquée, avait fait connaître qu'il avait ramassé une grande quantité de médailles gauloises qui avaient été trouvées en France et principalement à Breteuil, entre Beauvais et Amiens; que le plus grand nombre étaient d'un si mauvais goût que les curieux les rejetaient et ne voulaient pas leur donner place dans leurs cabinets. Il a di

(1) La ville de Beauvais, sans compter les faubourgs, n'a pas 200 arpens; l'ancienne enceinte de cette ville n'a que 10 hectares 40 ares, ce qui équivaut à peu près à vingt arpens; la ville entière n'est guère que huit fois plus grande.

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