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L'individu qui porte le socle, vêtu d'une robe collante et tête nue, accepte assez patiemment son pénible rôle (1).

St. JUDE n'est distingué que par l'attribut commun des martyrs, la palme; et par celui qu'on donne indifféremment à tous les Apôtres, le livre. Le diable du socle, pareil à celui de l'idole d'Astaroth sous saint Barthélemi, est un de

(1) Nous ne voulons pas qu'on donne à nos opinions plus de valeur qu'elles n'en ont à nos propres yeux. Nous avouerons donc que ce n'est pas sans quelque hésitation que nous avons classé les trois derniers Apôtres qui viennent d'être nommés: St. Philippe, St. Barthélemi et St. Thomas. Il ne serait pas impossible de soutenir que St. Thomas ne soit celui que nous avons pris pour St. Philippe. L'instrument en forme de croix à trois branches serait une équerre d'architecte; le personnage au-dessous du socle, le prêtre armé du bâton ou de la lance qui frappa le saint; en ce cas, l'Apôtre qui suit devrait être St. Philippe la croix à longue tige qu'il porte est en effet son attribut le plus communément reçu; enfin le dernier, nommé tout-à-l'heure St. Thomas, deviendrait St. Barthélemi dont le portraitsuivant tracé par la légende ne s'accorde pas mal avec le caractère énergique que lui a donné le ciseau.....« Ses cheveux sont noirs et rudes, sa figure est blanche, ses yeux grands, son nez droit et régulier, sa barbe touffue et mêlée de quelques poils blancs; il est vêtu d'une robe de pourpre et couvert d'un manteau blanc qui est décoré de pierres précieuses » Malgré ces graves motifs, nous n'avons pas adopté cette opinion, parce que 1°, Il n'est dit nulle part que St. Barthélemi ait été lapidé; 2°. Le portrait de la légende nous apprend qu'il était d'une taille moyenne, « æqualis, » dit Durand de Mende, quæ nec brevis nec longa possi! adverti, dit le faux Adbias. 3°. Il est difficile de voir une équerre dans un insigne ayant la forme d'une croix. 4°. St. Thomas portant une équerre serait le seul Apôtre dont l'attribut n'aurait aucun rapport avec son martyre. 5o. Enfin le diable que nous voyons sous le socle du personnage dont nous faisons St. Barthélemi ne s'expliquerait plus aussi bien avec la légende de St. Philippe. Voir : Bolland, ad diem 25m. Aug.— Abdias Babyl. de Cert. duod. Apost.— Fabricius codex apoc. nov. testam.- Leg. aur. de ss. Philip. Barth. et Thomas. Ribadeneira. ibid. — P. Giry, ibid.

ceux que St. Simon et St. Jude chassèrent des idoles en présence du peuple. « Savez-vous, s'écrièrent-ils, que ces idoles sont pleines de démons? Nous leur ordonnons d'en sortir et de les briser. » Aussitôt deux Ethiopiens noirs et nus, au grand étonnement de tout le peuple, sortirent des idoles, et, les ayant brisées, s'en allèrent en poussant des cris rauques. Voyant cela, les Prêtres se jetèrent sur les Apôtres et les tuèrent (1).

A Chartres on a sculpté au-dessous de ces deux Apôtres une femme tenant ses cheveux avec affectation pour les ajuster. C'est la femme impudique qui accusa de l'avoir séduite un diacre de la suite de Simon et de Jude, et dont ces hommes de Dieu forcèrent l'enfant nouveau-né à confesser l'innocence du disciple en ces termes: « Ce diacre est chaste et saint, et il n'a jamais souillé son corps (2). »

Des recherches que nous avons faites et des détails dans lesquels nous venons d'entrer sur les Apôtres de notre portail, il résulte pour nous que ce sujet est loin d'être aussi compris et aussi épuisé qu'on est tenté de le penser d'abord. Tout n'est pas fait quand pour avoir reconnu St. Pierre à ses clefs, St. Jacques à son épaulière coquillagée et avoir compté douze personnages, on a dit: ce sont les Apôtres; tout n'est pas même fait pour nous qui avons voulu déchiffrer le nom de chacun d'eux, son caractère personnel, ses attributions spéciales. Il nous reste encore à reconnaître et à dire par quels liens ils se rattachent tous ensemble à Jésus-Christ qui est sur le trumeau, et au système général d'ornementation du portail tel que nous l'avons exposé en débutant.

(1) Leg. aur. de ss. Simon et Judå.

(2) Ibid.

Les sublimes métaphores qui font de l'église une mystique et vaste construction dont Jésus-Christ est la pierre angulaire; les prophètes et les apôtres, les premières assises, le fondement et les colonnes; les fidèles, les pierres qui l'achèvent et la complètent (1), étaient trop bien passées des livres saints dans le langage des Pères et dans l'esprit des fidèles, pour n'avoir pas servi de guide et de règle dans l'ornementation même des églises matérielles, dès que cette ornementation fut arrivée par son perfectionnement successif à l'état d'historiation sacrée. Jésus-Christ chef, fondateur et personnification la plus haute et la plus sommaire de l'église spirituelle, est aussi le premier dont l'image apparut sur un frontispice d'église dès qu'il s'y trouva une place assez étendue et qu'il se rencontra un ciseau assez confiant pour l'essayer. Le champ de la pierre acquiert-il quelque développement? l'histoire sainte dont on a écrit seulement le titre, et comme posé le germe sur un simple linteau de porte, se développe aussi, mais dans un ordre de progression et de filiation tout logique, c'est-à-dire tout naturel. Les églises romanes s'élèvent-elles avec un dessus de porte arrondi en une arcade dans laquelle s'encadre un nu de mur de quelque étendue? en même temps arrivent, se rangeant autour du Sauveur, les quatre Evangélistes ou tout au moins les animaux symboliques, avec ou sans les livres. Les cathédrales d'Angers et de Coutances, dans l'ouest, la modeste église de Mareuil, près d'Abbeville, dans le nord, St. Sernin de

(1) S. Paul. Ephes. II. 20 et suiv. estis... superædificati super fundamentum apostolorum et prophetarum, ipso summo angulari lapide Christo Jesu; in quo omnis ædificatio constructa crescit in templum sanctum in Domino: in quo et vos coædificamini in habitaculum Dei in spiritu.

Toulouse, dans le midi, Notre-Dame-du-Port, de ClermontFerrand, au centre de la France, et beaucoup d'autres, témoignent de l'esprit d'intelligence et de savoir sous l'influence duquel ont commencé et ont grandi les œuvres artistiques de la foi. Bientôt il faudra une innombrable assemblée d'images pour peupler les hauts, larges et profonds portails qui succèdent aux simples frontons plats; la même synthèse en se déroulant en fournira les sujets. Jésus-Christ sculpté le premier a résumé, avec l'Incarnation, la pensée créatrice de l'église; les évangélistes ont exposé ensuite, d'après JésusChrist, le plan historique de l'édifice spirituel; quelquefois même on a cherché à jeter du jour sur ces premiers tableaux en y ajoutant quelques-uns des mystères qui en sont la suite dans le nouveau testament ou quelques traits qui les figurent dans l'ancien. Après l'architecte et les dresseurs de plans, ce qui doit venir, ce sont les exécuteurs, les hommes d'action, ceux qui symbolisent par leur présence la mise en œuvre de la pensée du maître et du plan qu'il a fait faire: les apôtres. S'ils n'ont pas toujours la priorité chronologique sur les statues dont on a couvert nos monuments religieux, au temps dont nous parlons, nous ne voyons pas du moins que la préséance topographique leur ait été ordinairement disputée. S'est-on pressé de confirmer par quelque chose de la Bible, ce magnifique sommaire de l'évangile, de dresser les statues de prophètes en compagnie des premières ? c'est seulement sur des parois relativement inférieures qu'elles ont été admises. Mais dès qu'il s'est trouvé place aux tympans pour douze personnes à côté du Sauveur, les Apôtres y sont entrés de droit à la suite et au-dessous des Evangélistes. Citons, par exemple, le portail méridional du Mans et le portail occidental de Chartres, où le collége apostolique est réuni dans la même enceinte que Jésus-Christ, tandis que les prophètes et les figures demeurent à distance et dans

un rang moins honorable sur les faces latérales des éperons. Cependant le XIII. siècle arrive, et la baie des porches se creusant plus profondément, les voûtes les couvrant de leurs pavillons agrandis, et les portes augmentant de dimension en même temps que le vaisseau des temples, un trumeau devint nécessaire pour recevoir, en les partageant en deux, la volée des vantaux. Alors le ciseau du sculpteur demanda des faits nouveaux pour remplir ces cadres élargis et multipliés; l'histoire sainte les lui fournit encore; la fondation et le commencement de l'église du ciel, vint compléter l'idée de l'église de la terre. Auprès de Jésus-Christ sauveur et législateur on fit trôner Jésus-Christ juge et rémunérateur, le second avénement fut raconté à la suite du premier. Un développement si important du plan primitif exigeait en même temps une certaine modification dans la disposition. Les parties hautes sont acquises de droit au souverain juge et aux scènes du ciel; la place du Sauveur fut changée. Le trumeau lui est désormais affecté dans tout portail où il y a un jugement dernier. C'est l'ordre chronologique et hiérarchique à la fois Le jugement vient après la loi, le salut après la rédemption; la gloire du juge est au-dessus de l'humiliation du Sauveur; le ciel et l'éternité au-dessus de la terre et du temps. Quant aux apôtres, comme leur place a été bien choisie tout d'abord au plus près du Sauveur, ils ne changent pas, ou plutôt ils changent avec lui. Du tympan où nous les voyons faisant cortège à leur maître, à la cathédrale du Mans, à l'abbaye de Moissac, à la principale façade de Chartres et ailleurs, ils viennent se ranger autour de lui sur les latéraux, quand il est descendu au trumeau des grandes églises de Reims, de Bourges, de Chartres (transept du midi) et d'Amiens que nous sommes fiers de signaler comme le type le plus fini de cette belle ordonnance.

Du reste, l'attitude des apôtres varie suivant les circon

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