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tesque contruction? Des ruines; et, vous en conviendrez, si debout sur ces ruines, vous avez vu les détails, l'ensemble et la physionomie du monument, c'est que votre science a pu évoquer tout cela pour le plaisir de votre imagination.

Bourignon assure que le système total des constructions portant les gradins, comprenait soixante voûtes. Il ne dépendait que de lui pourtant, pour être plus exact dans ses renseignements, d'aller compter les murs sur lesquels s'appuyaient les voûtes. De son temps ils étaient sans doute moins dégradés, par conséquent plus apparents qu'aujourd'hui; et en moins de temps qu'il ne m'en a fallu mettre hier, il aurait facilement distingué, dans la courbe qui s'arrondit vers le nord, entre les deux voûtes principales situées, l'une à l'est, l'autre à l'ouest, trente-cinq murs ayant servi à porter trentesix voûtes. Jugeant ensuite d'après la symétrie de leur disposition, que la même ordonnance avait dû exister dans la courbe qui s'arrondit en face vers le sud, il aurait été amené à penser que cette courbe avait également compté trente-six voûtes, pour conclure que le nombre total des voûtes, Y compris les deux voûtes principales et extrêmes, était certainement de soixante-quatorze.

Ces soixante-quatorze voûtes devaient être disposées avec une parfaite symétrie, ainsi que je viens de le dire. Aux deux extrémités est et ouest du grand axe, et partagées par cet axe, se voient encore les deux principales, plus larges qu'aucune des autres; deux murs, qui se font face, marquent la ligne du petit axe, l'un appuyé au coteau nord, l'autre au coteau sud, chacun d'eux servant d'appui à deux voûtes d'égale dimension. Entre ces quatre jalons que je viens de poser, les voûtes se rangent dans un ordre et avec des dimensions d'une correspondance tout-à-fait symétrique. Il me suffira de décrire l'un des quatre intervalles compris entre deux de ces jalons, pour que vous preniez une idée

exacte de tout le système, chacun de ces intervalles reproduisant un système partiel parfaitement identique, si vous l'étudiez en partant, soit de la droite, soit de la gauche, de l'une ou de l'autre des voûtes principales de l'est et de l'ouest.

A cet effet, portons-nous au centre de l'arène et tournonsnous vers l'est. En face de nous s'abaisse, tronquée, il est vrai, à son extrémité inférieure, l'une des deux voûtes principales derrière nous est la voûte correspondante tout-à-fait semblable, qui a disparu entièrement sous des éboulements de terre, mais dont vous avez pu visiter l'intérieur; à notre droite et à notre gauche descendent vers nous, l'un en regard de l'autre, les deux murs construits sur la ligne du petit axe. Nous portons nos regards sur la courbe qui part de la voûte orientale pour aller finir au mur que nous avons à notre gauche, et qui forme un des quatre intervalles. Nous ne tardons pas à reconnaître que cet intervalle se partage lui-même, par la variété de ses dispositions, en trois autres que nous appellerons compartiments, pour plus de clarté. Le premier et le second compartiment, si nous partons de la voûte de l'est, nous paraissent embrasser une étendue égale à celle du troisième. Le premier compte quatre voûtes, le second cinq, toutes de largeur à peu près égale; le troisième en compte neuf, cinq grandes et quatre petites, se succédant alternativement de telle sorte que la première est de grande dimension, la seconde de petite dimension, la troisième de grande dimension, ainsi de suite jusqu'à la neuvième. Puis nous remarquons que le compartiment du milieu, c'est-à-dire, le second, au lieu de venir s'abaisser doucement vers l'arène, est brusquement interrompu et coupé à une certaine distance, par un mur vertical qui fait le fond d'un de ces vides en retrait déjà signalés. La même particularité se reproduit dans la disposition de la seconde

voûte du premier compartiment. Enfin nous voyons que le mur qui sert d'appui à la dernière voûte du second compartiment et à la première du troisième est exactement orienté au nord-est; que le mur vertical qui coupe le second compartiment ouvre sur l'arène par trois portes cintrées; et nous ne pouvons nous refuser à penser que le mur vertical de la seconde voûte du premier compartiment ouvre également sur l'arène par une autre porte que des terres amoncelées dérobent à notre vue.

Donc, résumant ce que nous venons de remarquer, et quadruplant dans son ensemble et dans ses détails ce premier intervalle, nous nous disons: la construction totale de l'amphithéâtre comprenait soixante-quatorze voûtes, deux de première grandeur, que l'on nous pardonne cette expression; soixante de seconde grandeur, et douze de troisième grandeur. Elle présentait en regard de l'arène huit vides en retraite, quatre d'une étendue assez considérable, les quatre autres d'une étendue beaucoup moindre; et les murs qui formaient le fond de ces vides ouvraient sur l'arène par seize portes cintrées.

A droite de l'observateur, et à peu près au milieu de la courbe qui s'appuie sur le versant du coteau méridional, on voit, sous une voûte légèrement surbaissée et taillée dans le roc, un bassin également taillé dans le roc, rempli d'une eau aussi fraîche que limpide. Cette eau provient d'une fontaine dédiée aujourd'hui à sainte Eustelle, disciple chérie de saint Eutrope, premier évêque et apôtre de la Saintonge, et martyrisée comme lui, si l'on en croit la tradition. Je ne vous entretiendrai pas des propriétés attribuées par la crédulité populaire à l'eau de cette fontaine. Je me bornerai à dire que si ces propriétés sont en plus d'un point merveilleuses, le nom de la fontaine, le lieu qu'elle arrose, les souvenirs de souffrance et d'oppression que ce lieu rappelle, tout cela a

bien pu contribuer à jeter quelque chose de surnaturel sur son origine elle-même. Pour moi, je me suis plus d'une fois pris à regretter de ne pouvoir croire, avec quelques âmes simples, que la fontaine jaillit autrefois sous le corps martyrisé de sainte Eustelle: il me semblait que ce ne serait pas reconnaître trop de fécondité au sang des martyrs.

Si, quittant le centre de l'arène où nous étions placés, nous pénétrons sous les voûtes qui se partagent l'intervalle que nous avons examiné à l'extérieur, nous nous apercevons bientôt que le troisième compartiment ne comprenait aucune de ces caveæ, dans lesquelles on renfermait les bêtes féroces destinées aux spectacles de l'arène ; que le second devait être occupé par quatre cavea sous ses quatre dernières voûtes; que la première voûte de ce compartiment, les quatre voûtes du premier, recouvraient, vers le milieu de la construction une longue cavea transversale que j'appellerai grande salle, pour la distinguer des autres cavea, et qui se prolongeait sous les cinq voûtes au moyen d'arceaux spacieux ouvrant leurs murs de séparation; qu'en arrière de cette grande salle, et à hauteur de premier étage, existaient trois petites pièces carrées, la première et la seconde de ces pièces sous la quatrième voûte du premier compartiment, et la troisième pièce sous la première voûte du second compartiment; qu'on pénétrait sous la voûte principale de l'est et sous les neuf voûtes du premier et du second compartiment par des vestibules particuliers; que le premier compartiment devait comprendre quatre petites cavea, et qu'à chacune de ses extrémités se trouvait un petit escalier étroit et raide, ici pratiqué dans l'un des murs extrêmes, là appuyé sur l'autre mur extrême, tous les deux conduisant à la partie supérieure de l'édifice. Puis, fidèles à notre système de raisonnement par analogie, nous concluons que le monument comptait quatre grandes salles, douze petites pièces carrées ou cabinets, trente-huit vestibules, par

conséquent trente-huit portes extérieures, enfin trente-quatre cavea de diverses grandeurs et probablement quelques autres que l'état actuel des ruines ne permet pas de retrouver.

En explorant les ruines avec attention, on découvre sous les ronces une sorte de couloir large d'un mètre environ, et recouvert de dalles épaisses, qui paraît plonger parallèlement dans l'épaisseur de l'enceinte appuyée au coteau nord. On pourrait se croire un instant sur la trace d'un conduit d'aqueduc, qui aurait porté l'eau dans l'intérieur de l'arène. Mais, si l'on pénètre dans ce couloir, on doit renoncer à ses conjectures, en reconnaissant qu'il n'a pas plus de quatre ou cinq mètres de longueur, et qu'il est terminé, à chacune de ses extrémités, par un mur appareillé comme devait l'être le reste de l'édifice.

Du baut des ruines où l'on parvient par deux des petits escaliers dont j'ai parlé, et qui sont à la rigueur encore praticables, on trouve les restes de deux murs concentriques ayant formé la double paroi d'une galerie qui régnait dans tout le pourtour de l'amphithéâtre. Les restes de la paroi intérieure sont assez considérables; mais on n'aperçoit que de faibles vestiges de la paroi extérieure. Le pied de la galerie devait être de niveau avec deux plate-formes qui se voient encore à la partie supérieure des coteaux nord et sud. Mais à quelle hauteur les murs de la galerie s'élevaient-ils au-dessus de ce niveau? Le mur extérieur était-il percé de fenêtres? Etait-il surmonté d'un entablement ? La première question ne peut recevoir de solution; mais il me paraît impossible de répondre négativement aux deux autres, attendu que l'architecte romain, qui a déployé tant d'art dans ce qui nous reste, ne pouvait avoir laissé sa galerie sans air et sans lumière, ni avoir refusé un couronnement quelconque à son édifice.

C'est encore du haut des ruines que l'on s'explique comment pénétraient sur les gradins du visarium les masses de specta

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