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elle a perdu son cachet mystique qui pouvait ( ainsi que l'ont prouvé les premiers peintres et les architectes du Nord) pourtant s'allier avec elle. L'ordre chronologique des œuvres de Raphaël nous montre cette dégénérescence; la sculpture, sous le scalpel étonnant de Michel-Ange, s'est livrée à des anatomistes exacts qui ont perfectionné la matière, telle que le paganisme l'avait formulée. On a excellé dans les tableaux d'histoire, dans les portraits, dans les bustes, dans toutes les représentations de l'humanité. Mais le cachet religieux a disparu et l'impression profonde que produisait les œuvres imparfaites des premiers maîtres de l'art, s'est évanouie sous la science et la diffusion du talent.

Faudrait-il donc conclure de tout ceci que l'art se perd lorsqu'il devient savant? non, ce serait une injustice de le prétendre; car dans toutes les représentations de la nature, comme dans nos exigeances sociales, l'étude et le travail peuvent ramener l'art à la perfection qu'il a déjà acquise et même la dépasser, peut-être, car tout marche constamment dans l'humanité, mais il faut plus que du travail, plus que de l'étude, plus que de la science, lorsque l'art a pour but les représentations surnaturelles ou les exigeances religieuses; alors, il n'atteindra son but, que sous l'inspiration exclusive de la foi; inspirations difficiles à trouver dans les temps de raisonnement et d'intérêt où nous sommes tombés.

RAPPORT

SUR

L'AMPHITHEATRE DE SAINTES,

Par M. MOUFFLET,

MEMBRE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE.

(Lu dans une séance du Congrés de la Société française, le 20 juin 1844).

MESSIEURS,

Vous m'avez chargé de reproduire les impressions et les souvenirs que vous a laissés le monument peut-être le plus ancien de la ville de Saintes, vous avez voulu en mêmetemps que je joignisse à mon rapport le résultat de mes observations personnelles sur ce monument je viens remplir ce double mandat, avec l'espoir que ma bonne volonté me donnera quelques droits à votre indulgence.

L'amphithéâtre de Saintes est assis au midi de l'ancien Mediolanum, au milieu d'un vallon qui, se dirigeant de l'ouest à l'est entre les faubourgs modernes de St.-Eutrope et de St.-Macoul, va plus loin déboucher perpendiculairement sur la Charente. Les Romains n'auraient pu trouver un terrain plus favorable pour élever ce théâtre de ce qu'ils appelaient leurs jeux. Au nord et au sud le vallon est resserré entre deux collines parallèles, d'une hauteur à peu près

égale c'est sur ces deux collines qu'ils ont appuyé les deux courbes allongées de l'édifice, dont la forme est elliptique. Il a dû résulter de là pour eux une économie considérable de travail et de dépense, point qui cependant ne les préoccupait guère, comme vous le savez très-bien. En effet, la déclivité des collines a été utilisée, et sur ces deux côtés les murs destinés à porter les voûtes ne descendent pas au niveau de l'arène : ils ne servent qu'à compléter l'élévation de l'amphithéâtre proprement dit, et sont suffisamment, je ne dirai pas plus solidement, suppléés à la base par la roche calcaire. C'est seulement dans les courbes extrêmes des absides que les constructions sont complètes.

D'après La Sauvagère, cité et vérifié par Bourignon, la longueur du grand axe de l'ellipse extérieure est de cent trente-trois mètres', celle du petit axe de cent huit; le grand axe de l'ellipse intérieur a quatre-vingt mètres de longueur, et le petit axe cinquante-six. D'où il suit que la profondeur de la construction voûtée destinée à porter les gradins, est d'environ vingt-sept mètres; que la plus grande ellipse, l'extérieure présente un développement de trois cent soixante dix-huit mètres, soixante-deux centimètres, et la petite, celle qui est intérieure en présente un de deux cent treize mètres soixante-dix centimètres, et que la surface de l'arène mesure environ trois mille six cent trente-deux mètres carrés, ou trente-six ares trente-deux centiares.

En partant de ces données, il nous sera facile d'évaluer, approximativement du moins, le nombre de spectateurs que ce monument pouvait contenir.

Bourignon, sans s'appuyer d'aucune autorité, sans faire connaître les renseignements ou les calculs qui lui ont servi de base, dit que l'amphitéâtre n'avait que trois rangs de gradins, pouvant contenir environ cinq mille spectateurs. Je suppose qu'en parlant de rangs de gradins, ce qui est assez peu clair,

Bourignon a voulu dire que l'étendue du visarium, c'est-à-dire de l'ensemble des gradins, était partagée en trois étages par deux allées concentriques, appelées præcinctiones. Mais sur quoi son assertion serait-elle fondée ? on conçoit l'utilité de deux précinctions par conséquent de trois étages de gradins dans un amphithéâtre à trois rangs de voûtes; mais notre antiquaire venait de dire que l'amphithéâtre de Saintes n'avait qu'un rang de voûtes, et cela est exact, à quelques exceptions près, qui tiennent à des détails de l'intérieur. Il était plus simple de n'admettre qu'un étage de gradins, ce qui eût été conforme à la règle.

Mais, dans la supposition même de Bourignon, serait-il exact de dire qu'un développement aussi considérable que celui des trois étages de gradins n'eût contenu que cinq mille spectateurs ? C'est ce que nous allons examiner.

Vitruve, un des plus grands maîtres de l'art architectural chez les Romains veut que les gradins aient une élévation dont la mesure répond à trente-trois centimètres, et il admet pour la profondeur deux dimensions, l'une de trente-trois centimètres, l'autre de quarante-un. On peut penser, quoiqu'il n'en dise rien, qu'il entendait que l'emplacement sur lequel posaient les pieds des spectateurs eût une dimension égale à celle des sièges. Vous voyez que je ne veux prendre aucun avantage. Dans l'amphithéâtre de Saintes donc chaque gradin avec son marchepied aurait pu occuper une profondeur de soixante-six ou de quatre-vingt-deux centimètres. Si nous adoptons la plus grande dimension, nous trouvons trente gradins seulement, plus un espace large de deux mètres trente-trois centimètres. Pour la galerie circulaire dont les traces paraissent à l'une des extrémités. Le développement de ces trente gradins est de neuf mille quatre-vingt-deux mètres quatre-vingt-cinq centimètres, et aurait suffi largement à dixhuit mille six cent soixante-cinq personnes. Si au contraire nous

nous arrêtons à la petite dimension, qui est celle des gradins de l'amphithéâtre de Nîmes, nous obtenons trente-cinq gradins, plus un espace d'environ trois mètres, par conséquent un développement total de dix mille sept cent soixante-un mètres soixante-six centimètres, pouvant donner place à vingt-un mille cinq cent vingt-trois personnes.

Ces évaluations laissent sans doute bien loin celle de Bourignon, que serait-ce donc, si je n'avais tenu à mettre les spectateurs à l'aise ? Toutefois on pourrait défalquer du nombre que je viens d'indiquer quinze cents personnes, 1o. A cause de l'espace occupé par les escaliers, Scala, qui divisaient de haut en bas l'ensemble des gradins en coins, cunei, et qui devaient rester librement ouverts à la circulation; 2o. Parce que l'espace n'était pas aussi sévèrement distribué entre les personnages de distinction qui prenaient place au podium; 3o. Parce que j'ai reconnu que la ligne du périmètre intérieur subissait quelques interruptions pour donner ouverture à des vides en retraite d'une certaine profondeur.

J'espère, Messieurs, que vous ne m'accuserez pas de m'être donné trop libre carrière dans mes évaluations. Elles sont basées par analogie sur les dispositions que présentent les amphithéâtres qui nous restent, et les calculs sont rigoureusement mathématiques. Le nombre des spectateurs ne vous paraîtra pas exagéré; car quand bien même Mediolanum n'eût pas été plus populeux que Saintes, les Santons ne peuvent-ils pas affluer aux jeux publics de tous les points de leur pays.

Abordons maintenant l'examen des détails qu'il m'a été possible de relever, je ne dirai pas la description de l'amphithéâtre; car, Messieurs, je dois me borner à constater ce qui existe encore, ou du moins je n'y dois ajouter qu'autant que me le permettront les lois d'une rigoureuse analogie. Or, qu'existe-t-il aujourd'hui de ce qui a été une gigan

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