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intérêt à se faire recevoir presqu'exclusivement comme peintre de fleurs les commandes royales étaient alors la grande ambition des artistes, et tout espoir devait être laissé du côté du portrait sous le règne triomphant de Mignard et de Rigaud; du côté de la peinture de fleurs, il y avait au contraire tout à attendre. C'était le beau moment des entreprises décoratives de Versailles et des maisons. royales, et l'on sait quel rôle considérable y joua la peinture de fleurs. Le genre n'avait alors d'autre représentant que Monnoyer, qui, bien qu'aidé de son fils, n'eût pu suffire à des commandes aussi multiples; il est tout naturel qu'il ait songé à son gendre Fontenay pour l'aider dans ses ouvrages, et le seul moyen de le faire agréer des Bâtiments, c'était de le faire recevoir de l'Académie spécialement comme peintre de fleurs.

Le portrait n'est pas celui de Mme de Parabère. Clément de Ris, de Lescuré, M. Buret dans une intéressante étude (1), en ont apporté des preuves multiples la plus valable est fournie par la confrontation du portrait du musée de Caen avec ceux connus de Mme de Parabère. Les principaux

De Les

(1) Clément de Ris, Les Musées de province. cure, Les Maîtresses du Régent; Bulletin de la Société des Beaux-Arts de Caen, 6o volume, 2o cahier. tableaux du musée de Caen, par A. Buret.

De quelques

furent exécutés par Santerre, Rigaud et Van

Loo (1).

Santerre, deux fois, représenta la Parabère, et chaque fois en compagnie du Régent, mais dans des postures combien différentes. Ce fut, d'abord, dans les personnages d'Adam et d'Eve... après le péché sans doute; je n'ai pu voir ce tableau dont il existe, parait-il, une esquisse dans la famille de Santerre et dont l'original serait actuellement au musée impérial de Vienne. L'autre portrait est à Versailles (n° 3.701). Mme de Parabère, suivant une tradition, y est représentée sous les traits de Minerve et conseillant le Régent; l'accoutrement dont elle est chargée ne facilite guère une comparaison, mais il parait bien que le modèle soit tout différent de la jeune femme du musée de Caen. Le portrait par Rigaud ne laisse aucun doute; il se trouve au château de Borand, en Oise, et appartient à Me de Sancy-Parabère, jamais il ne quitta cette famille; une lettre de Rigaud, qui en annonçait l'envoi en 1713, affirme son authenticité et il fut gravé par Valée (2). C'est

me

(1) Largillière peignit aussi Mme de Parabère en grands atours. Son œuvre fut vendue 1250 fr. à la vente du comte d'Houdetot.

(2) La gravure de Valée est accompagnée des vers suivants :

Sous le riant aspect de Flore
Cette beauté touche les cœurs,

un portrait jusqu'aux genoux », comme on disait alors On y voit Mme de Parabère cueillant un ceillet, un nègre lui présente une corbeille de fleurs. Dans ce portrait, Me de Parabère a vingt ans; ce n'est pas le moins du monde la petite personne fluette et accorte du tableau de Caen, mais une beauté opulente et majestueuse (1); elle accuse d'incoercibles dissemblances avec la pseudo-Parabère qui nous occupe, et quant à la stature, et quant aux traits, et quant à la chevelure, et quant aux yeux gris-verts dans le portrait de Caen, noirs dans celui de Rigaud. Ces deux portraits, au reste, furent placés l'un à côté de l'autre, en 1878, à l'Exposition des portraits nationaux au Trocadéro, et alors la vérité apparut.

Enfin, le portrait par Van Loo, que grava Chereau, nous montre Mme de Parabère comme une

Et par le contraste du More
Relève ses attraits vainqueurs.

Mais, que dis-je ? Des dons de Flore
Son teint augmente la fraîcheur,

Et la noirceur même du More

Tire un éclat de sa blancheur.

(1) Ce qui concorde tout à fait avec cette déclaration de La Palatine, touchant les amours de son fils le Régent et de Mme de Parabère « Mon fils a une sultane-reine, Mme de Parabère... elle est de belle taille, grande et bien faite, elle a le visage brun et ne se farde pas, une jolie bouche et de jolis yeux; elle a peu d'esprit peut-être, mais c'est un beau morceau de chair fraîche. »

très grande femme, au visage fort et allongé, aux yeux noirs, et dont la chevelure avance en pointe au milieu du front, tandis que cette pointe est, au contraire, rentrante chez la jeune femme du musée de Caen.

J'en étais là de mes recherches quand un concours imprévu vint me confirmer dans mes suppositions et me convaincre que je n'avais point fait fausse

route.

Au cours d'un travail qu'il entreprenait sur le château de Pardaillan, dont Mme de Parabère avait été châtelaine, un érudit de Gascogne, M. Philippe Lauzun, avait été amené à s'occuper un peu de la fameuse maîtresse du Régent et le désir lui vint naturellement de placer dans son travail le portrait de cette dame.

me

Il détenait justement une gravure exécutée par Leguay d'après un portrait de Coypel, qui représentait Mme de Parabère sachant qu'il existait à Caen un autre portrait de Me de Parabère par Coypel, il voulut confronter les deux modèles et à cet effet il s'adressa à notre confrère M. Émile Travers, qui eut l'obligeance de me transmettre. cette demande, qui avait pour moi un si vif intérêt.

L'examen de la photographie de cette gravure, moins décisif cependant que le portrait par Rigaud, établissait clairement la fausse identification du tableau du musée. La comtesse était représentée par Coypel en toilette décolletée, avec une guirlande

de roses au corsage: au premier abord la ressemblance ne s'impose point avec la femme représentée par Rigaud; la faute en est à l'attirail de toilette tout différent entre l'un et l'autre, et surtout aux libertés prises par les graveurs (c'est dans des cas semblables que la photographie est un aide indispensable et parfaitement probant). Vieillie et alourdie par Rigaud ou tout au moins par le graveur Valée, Mme de Parabère est au contraire toute rajeunie et embellie par Coypel et très modernisée par le graveur Leguay; mais à bien examiner les deux modèles on leur retrouve même bouche, mêmes yeux, même nez, mêmes particularités de chevelure, même opulence de formes.

L'essentiel serait de retrouver l'original de Coypel, d'après lequel fut exécutée cette gravure; un point déjà est acquis, c'est que l'original jadis a dû appartenir au duc d'Orléans; c'est là une indication précieuse et une piste qui peut mener au résultat souhaité.

Quoiqu'il en soit, il me semble absolument hors de doute que Mme de Parabère, beauté opulente et un peu sotte, n'a rien de commun avec cette gracile dame, ès yeux de qui luit un esprit affiné et qui vraiment ne fait nullement songer à une rouée de la Régence et de la sorte de la Parabère. Semblable figure oncques ne vit le Régent!

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