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à Fontenay la seule guirlande, et donnant le portrait à Boulogne d'abord, puis à Antoine Coypel. Cette double affirmation me semble des plus contestables; et jusqu'à ce qu'un document certain soit venu prouver le contraire, je pense que l'attribution totale du portrait doit d'abord être donnée à Fontenay, et qu'ensuite l'identification à Mme de Parabère ne peut être maintenue.

Que penser d'une collaboration d'Antoine Coypel et de Fontenay?

Je reconnais que cette attribution est des plus séduisantes; cette peinture, dans chacune de ses touches, rappelle la manière du peintre favori de la Régence, et son rapprochement du n° 742 du Louvre Jeune fille caressant son chien, semble en corroborer l'exactitude: il n'est donc pas étonnant que personne jusqu'ici ne l'ait contestée. Après mùre réflexion, cependant, elle ne me parait pas vraisemblable et je crois qu'on a été chercher bien loin ce que l'on avait sous les yeux.

D'abord il est bien établi que l'attribution à Coypel ne fut pas toujours admise; je n'ai pas retrouvé dans les budgets municipaux l'ordonnance de paiement qui signale l'acquisition de ce tableau et en indique les auteurs présumés; mais M. Mancel, le rédacteur du catalogue du musée de Caen, qui était à même d'être bien renseigné, attribuait, en 1835, ce portrait à Boulo

gne (1): ce qui indiquerait que c'est à cet artiste que la tradition le rapportait. Des experts vinrent qui le donnèrent à Coypel, ce qui était plus vraisemblable. Mais ces suppositions. si brillantes soient-elles, ne sont-elles pas démenties par la signature même du tableau; je pense done qu'il est prudent, jusqu'à preuve péremptoire du contraire, de s'en tenir à ce qui est écrit et de restituer l'œuvre entière au seul Fontenay.

La dualité d'artistes ne saurait, en effet, s'expliquer que de deux facons: ou le tableau fut fait en collaboration, ou le portrait fut inscrit après coup dans la guirlande (la pose de la femme ne permet pas d'admettre que la guirlande ait été ajoutée). Peut-on ainsi admettre la collaboration de Coypel et de Fontenay? Certes on observe parfois, à cette époque, de ces collaborations d'un portraitiste et d'un peintre de fleurs; en voici un exemple pris à un inventaire des tableaux de Meudon en 1733 : « un tableau de Batiste (Monnoyer), représentant une figure grande comme nature, appuyé sur une balustrade de marbre, portant un plat de fruits, portant la livrée de M. le duc « d'Orléans les figures sont de M. Houasse. »> Une telle collaboration s'expliquait par ce fait que Monnoyer n'était exclusivement apte qu'à la pein

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(1) Revue de la Basse-Normandie, novembre et décembre 1835.

ture de fleurs; mais tel n'était pas le cas de Fontenay, qui montra parfois qu'il pouvait sortir du genre où il s'était confiné: c'est ainsi qu'au salon de 1699 il exposait un grand tableau de fleurs, fruits et vazes avec un More, et qu'en 1714 les Bâtiments du Roi lui payaient la première pièce de la fameuse tenture de Don Quichotte, qui devait immortaliser le nom de Coypel, et non point simplement la bordure, mais bien le modèle principal, ce qui prouve que la peinture d'histoire lui était également familière, puisqu'une commande aussi importante lui était faite à titre officiel (1).

Mais quand il y avait collaboration de deux peintres, ou ils ne signaient point l'œuvre ainsi faite, ou ils la signaient tous les deux. Est-il admissible que pour un morceau comme celuici, où la part du fleuriste est réduite à un simple accessoire, alors que le portraitiste fit le tableau presque entier (la jeune femme et le négrillon), est-il admissible que l'auteur d'une œuvre aussi réussie, titulaire du nom triomphant de Coypel, ait renoncé à toute prétention sur un tel chef-d'œuvre, et que ce soit le peintre de fleurs (genre très inférieur et dont l'exclusive pratique interdisait à ses adeptes le professorat à l'Acadé

1) Voir à ce sujet, dans la Chronique des Arts de juillet 1896, mon travail sur Charles Coypel, compris dans la série des Commandes officielles de tableaux au XVIII® siècle.

mie) qui ait seul signé, et comment? en lettres hautes, isolées et nettement détachées de la guirlande pour bien revendiquer la totale paternité de l'œuvre.

Il faudrait alors concéder au portraitiste une modestie qui n'est vraiment pas dans la nature humaine.

Peut-on prétendre maintenant que le portrait de la jeune femme fut inscrit après coup dans la guirlande de fleurs? Alors il faudrait supposer que la place de la dame aurait été occupée par quelque buste, vase ou mascaron; en ce cas le négrillon eût été également ajouté, ce qui équivaudrait à dire que l'œuvre fut complètement refaite; comment donc l'artiste de seconde main n'eût-il pas mis son nom à côté de celui de son prédécesseur ?

L'harmonie de la composition contredit au reste semblable hypothèse : l'existence de ce négrillon, la direction de son regard sont des indices assurés de la présence incessante de la dame, comme l'interruption des fleurs de guirlande, au point où il paraît, dénote celle du nègre lui-même; et ce regard du More ainsi dirigé vers le centre de la composition, sur qui se porterait-il sinon sur la personne à qui la guirlande est présentée? Enfin il est évident que le portrait est le motif principal du tableau et sa raison d'être la pose générale de la jeune femme, l'aisance avec laquelle elle se meut dans la composition établissent clairement que les fleurs dans ce

tableau furent faites pour elle et que ce ne fut pas elle qui fut après coup inscrite dans cette guirlande faisant office de passe-partout. Au reste la toile ne décèle aucune trace de repeint, l'unité en est absolue.

Ainsi donc, jusqu'à ce qu'un témoignage précis soit venu établir le contraire, il serait prudent de laisser au seul Fontenay la totale paternité de cette œuvre. On sait encore très peu de choses de cet artiste son origine provinciale et sa qualité de protestant sont des indices certains que l'enseignement du portrait lui fut donné, puisque c'était le seul genre dans lequel un artiste provincial de la religion réformée pût gagner sa vie; au reste n'est-il pas démontré qu'un artiste bien doué peut réussir dans tous les genres : et quel peintre ne fit point de portraits ne vit on pas un peintre de nature-morte comme Chardin, un animalier comme Desportes y exceller; pourquoi en refuserait-on la faculté à un peintre de fleurs, alors surtout qu'il a donné des preuves de son indépendance professionnelle à ce sujet ?

Une objection très forte peut être faite cette œuvre est digne des portraitistes les plus en faveur de ce temps, et si Fontenay eût été capable de cela, il eût mérité d'être reçu de l'Académie avec le titre spécial de peintre de portraits et de fleurs. Mais il me semble qu'on peut répondre qu'en 1686, quand Fontenay se présenta à l'Académie, il avait

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