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par la lettre b. qui contraste absolument avec le ton du plaidoyer « docte et élégant », cité par l'avocat Le Normand et qui est assez rude aux oreilles timorées pour qu'un humoriste, en cette occurrence doublé d'un casuiste, Sterne, ne l'ait placée sur les lèvres de deux nonnes arrêtées dans leur voyage par la halte d'une mule entêtée, qu'en leur sauvant, par un ingénieux partage, la honte de prononcer un mot effrayant pour leurs scrupules, chacune d'elles n'articulant qu'une des deux syllabes dont se compose ce vocable mal sonnant.

Interpellé par Sallet, le conseiller commissaire, Le Grand joua le rôle de ces témoins qui ne sont ni à charge, ni à décharge; il nia le propos qu'on mettait dans sa bouche et déclara n'avoir pas enlendu les paroles grossières qu'on prétait à Henry Halley, figurant avec quelque ressemblance par la réserve peu compromettante de son attitude le héros de l'opuscule historique intitulé « Le Normant sourt, muet et aveugle ». A des fautes réciproques, quelle sanction d'ailleurs imposer, et ne convient-il pas de compenser des torts mutuellement commis et dénoncés en leur appliquant la leçon de modération enseignée par une anecdote du siècle dernier ? Le maréchal de Duras menait des dames à l'Opéra; mais il ne parvenait pas à les placer; toutes les loges étaient remplies. Une restait, gardée par un laquais qu'il contraignit à sortir pour y faire entrer la société qu'il conduisait. Forcé

de subir momentanément cette violence, le locataire évincé assigna le guerrier au tribunal des maréchaux de France, où, plaidant lui-même sa cause, il dit « qu'il était bien malheureux d'être obligé de « se plaindre de l'un d'entre eux qui de sa vie << n'avait pris que sa loge »; après quoi, il demanda justice. « Vous venez de vous la faire »>, lui répondit le président.

Je me suis attardé, Messieurs, et j'ai retenu votre attention trop patiente en lui imposant la revue de ces détails variés qui m'ont, je le confesse, assez vivement intéressé pour que je m'y sois étendu avec une complaisance dont la manifestation prolongée a pu vous paraître indiscrète. Je n'aurais pas eu la témérité d'esquisser, même par un exposé sommaire, le tableau des faits accomplis durant la longue existence du corps savant dont je vous parlais; mais, en essayant, dans une causerie sans doute bien libre et familière, de tracer quelques traits saillants de l'image à peine ébauchée de votre vieille Université, en glanant à l'avance quelques gerbes éparses de la riche moisson qu'un avenir prochain, je l'espère, récoltera, en constatant l'attrait dont on ne se défend pas dès qu'on aborde l'examen, même superficiel, de ses curieuses annales, je désirais surtout me rendre l'interprète d'un vœu depuis longtemps formulé par les amis des lettres en cette province. C'est à vous qu'il appartient de l'exaucer, à vous qu'il incombe, à l'aide

des documents que possèdent nos archives normandes et en complétant les études substantielles de nos confrères MM. Cauvet et de Bourmont, de conter l'histoire d'une institution digne de cet honneur par son origine, sa durée, ses services, les souvenirs et les noms qu'elle évoque. Faire revivre ces témoins de l'ancienne France, c'est continuer à parfaire l'œuvre saine et utile à laquelle vous avez voué vos efforts et, en servant la science, bien mériter du pays dont le patrimoine intellectuel se grossit du résultat des travaux poursuivis avec un dévouement si désintéressé. L'étude approfondie du passé n'éclaire-t-elle point le jugement impartial du présent et, sans nous inspirer le dédain, ni le fétichisme de ce qui n'est plus, ne nous fait-elle pas apprécier équitablement et, pour les bienfaits qu'il nous a apportés, aimer le temps où nous vivons? Les pages écrites sur un de ces grands établissements que nous a légués l'initiative hardie et féconde de nos pères ne font-elles pas partie de ce livre toujours ouvert où se groupent en un faisceau compact et harmonieux les incidents de notre histoire provinciale, mêlés aux événements dont la décisive influence s'est exercée sur les destinées d'un peuple qui a si laborieusement conquis, et qui, au jour marqué par la justice éternelle, recouvrera son indestructible unité?

Aussi, quel que soit le but où tendent vos investigations, que les anciennes civilisations, les pre

miers temps du christianisme, le moyen âge, les vestiges préhistoriques, les inscriptions, les fouilles, les chartes, les documents imprimés se disputent vos préférences, antiquaires, historiens, archéologues, persévérez, j'ose à peine dire: persévérons ! Malgré les railleries banales ou les vulgarités d'un prosaïsme qui se prétend pratique, opposons à la marée montante des appétits matériels, bientôt balayée par le reflux, les aspirations qui élèvent et purifient les âmes; sectateurs du beau et du vrai, gardons-nous, quoiqu'en pense le scepticisme contemporain, d'abdiquer l'enthousiasme, cette vertu française, qui inspire les hautes pensées et provoque les grandes actions; conservons pieusement, réveillons au besoin le culte de l'idéal, et entretenons sur son autel un foyer de chaleur et de lumière toujours rayonnant, comme le feu que la superstition païenne confiait à la vigilance de la vestale, comme le flambeau de la vie que, dans le vers d'un poëte philosophe, les coureurs antiques se transmettent tour à tour, comme la flamme inextinguible, spontanément allumée au monastère de Kildare, sur le tombeau de sainte Brigitte, et dont l'éclat symbolique, sans cesse ravivé par la piété des humbles femmes qu'elle appelait ses filles, semblait, en luisant pendant de longs siècles sur sa terre natale, promettre à l'illusion de l'Irlandais, persécuté et traînant la vie du vaincu, le triomphe toujours rêvé de sa foi religieuse et de ses espérances nationales.

RAPPORT

SUR

LES TRAVAUX DE L'ANNÉE

Par M. E. DE BEAUREPAIRE.

MONSIEUR LE DIRECTEUR,

MESDAMES,

MESSIEURS,

Je viens vous présenter le compte-rendu sommaire des travaux de notre Société pendant l'année 1895 comme vous le verrez, l'activité de nos membres titulaires et correspondants ne s'est pas ralentie. Pendant cette période, en effet, nous avons pris communication d'un certain nombre de mémoires importants, touchant aux diverses branches de la science archéologique. Qu'il nous soit permis d'en énumérer quelques-uns.

M. Pierre Carel nous a donné lecture d'une note très attachante, qui paraîtra d'ailleurs dans le prochain Bulletin, sur les Boucherville au Canada. L'exemple donné sur cette terre lointaine par le chef d'une famille distinguée qui compte encore

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