Page images
PDF
EPUB
[graphic][ocr errors][subsumed][merged small]

à cet asile ouvert à toutes les détresses, misères de gueux et misères de gentlemen. Il ne devait certes pas être fermé pour le dandy idiot; mais qu'il était difficile de l'y conduire !

L'on eut recours alors à la ruse habituellement employée, une promenade en voiture par un beau jour de soleil. Et le malade sans méfiance, de bonne humeur, s'en va avec gaité vers la tombe des vivants. Mais il ne devait point en être ainsi pour le malheureux Brummell. Un matin de mars, Fichet entre dans sa chambre. « M. Brummell, la voiture est à la porte. Le pauvre dandy, un blaireau à la main, couvrait sa perruque de crème de savon, comme s'il voulait en raser les boucles, derniers fleurons de sa couronne de fashion. Et, dérangé « Quelle voiture, Fichet? » « Celle qui doit nous conduire au Cours. Vous m'avez promis d'y venir avec moi. » — « Mais pas aujourd'hui, Fichet, pas aujourd'hui. » Et comme il s'entêtait, il fallut appeler deux garçons de l'hôtel pour violenter ce grêle et pauvre corps, et le jeter dans un fiacre.

[ocr errors]

La voiture partit. Avec une enfantine versatilité, le dandy passa de la colère au calme et du calme. à l'enjouement. Il eut même une reprise de coquetterie. L'un de ses amis, M. de Sainte-Marie, avisa la voiture près de la Place Royale. Et le Beau qui était en robe de chambre, se drapant comme en un péplum dans sa dernière guenille: « Oh! M. de

Sainte-Marie, s'écria-t-il, s'il me voyait comme cela! >>>

Nous appelions tout à l'heure la tombe des vivants l'asile où l'on abrite les intelligences mortes. Jamais tombe ne fut plus soignée et plus fleurie que celle de l'ancien dandy. Le soleil de mars y jetait de clairs rayons sur les floraisons naissantes et les premières verdures. Brummell était logé dans un pavillon isolé, que Barbey d'Aurevilly nomma magnifiquement le Pavillon de Hanovre de sa folie (1). Les fenêtres du pavillon s'ouvraient sur un parterre tout empli de fleurs, aux allées sablées et bordées de petits buis, en une méticuleuse propreté de béguinage. A travers ces allées, l'on promenait le vieux Brummell dans la petite voiture de sa seconde enfance. Et si ces dernières sorties firent naître en lui des visions suprêmes, il ne revit sans doute ni le club à l'heure du jeu, ni le palais à l'heure du vin, mais quelque pelouse très verte de l'Angleterre, où il se retrouvait un tout petit garçon. Enfin, il s'alita pour ne plus se relever. Une sœur du Bon-Sauveur priait près de

(1) « Vu les fenêtres du pavillon qu'habita Brummell dans les derniers temps de sa vie, le pavillon de Hanovre de sa folie. L'historien et le médecin de cet homme qu'avait aimé

[ocr errors]

George IV et qu'avait envié Byron étaient là à trois pas du dernier théâtre de ce dieu de la mode... Et le médecin donnait à l'historien des détails si dégradants pour l'ancien Beau que même ici, dans ce memorandum intime, il est impossible de les répéter.» (Barbey d'Aurevilly, Premier Memorandum).

son chevet. A la dernière heure, il se retourna vers elle en une instante demande d'intercession. Et il s'endormit doucement, sans terreur, comme ayant placé entre lui et son juge, pour obtenir le pardon de toute une vie d'égoïsme, la plus sublime des vertus, l'abnégation chrétienne.

« PreviousContinue »