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soutenu du lion et de la licorne eût disparu de sa porte, les créanciers alarmés vinrent y sonner de toutes parts.

II

Au mois de septembre 1832, Brummell, lassé peut-être d'une semblable obsession, avait cessé d'être le locataire de Mme de Saint-Ursin et s'était installé à l'hôtel d'Angleterre, en quelques chambres du troisième étage. L'hôtel d'Angleterre avait alors supplanté l'hôtel de la Victoire dans la faveur des étrangers et des habitants de Caen. Il avait été ouvert dans de vastes bâtiments, autrefois le siège du bureau des finances. Le Beau, pensionnaire du premier hôtel de la ville, semble avoir réussi, grâce à l'assistance d'Armstrong, à détacher les créanciers de ses sonnettes et avoir obtenu quelque répit sur la voie de la détresse. Il se prit à vivre en un petit regain d'élégance et avec quelques distractions d'esprit et de sentiment. Brummell qui, selon Barbey d'Aurevilly, aurait été, à Londres, un sultan sans mouchoir, en trouva-t-il un à Caen pour le jeter à quelque odalisque de Basse-Normandie? Il pressa bien un peu vivement dans ses lettres l'une de ses correspondantes, car il eut toujours des correspondantes et des amies. Mais

il nous semble que celle-ci prit trop d'effroi d'ardeurs épistolaires et de feux artificiels. Feuilletons donc les lettres de George Brummell. Nous y rencontrerons de l'esprit, de la manière, beaucoup de sentiment personnel, corrigé parfois par une phrase de tendresse, rare comme une larme sur la joue parcheminée du vieux buck.

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Les plus compliqués vont souvent vers les plus simples. La première des correspondantes normandes du dandy avait été, alors qu'il habitat l'hôtel de Saint-Ursin, Mlle Aimable, fille de sa propriétaire. Me de Saint-Ursin recevait de Brummell, entre deux leçons d'anglais il ne payait guère son appartement qu'en monnaie de grammaire de petits billets pleins d'esprit et de gaité. Nous n'extrairons que quelques lignes de ces lettres adressées à une pensionnaire. Les unes, tout emplies de mélancoliques regrets, ont été tracées en une veille de Noël: « Comment! Vous songez à prendre une leçon demain. Christmas day! Quelle époque de joie et de réjouissance ce temps de Noël était jadis pour moi, selon les coutumes de mon pays natal! Tandis que, maintenant, je n'ai plus des fêtes passées que le douloureux souvenir.» Et sans doute, par delà la rue boueuse de la ville, il revoyait une large mansion anglaise, toute décorée de gui et de houx, dont les larges baies jetaient sur la neige des pelouses les lumières de la Noël. Les autres lignes, extraites de cette enfan

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tine correspondance, appartiennent au chapitre des animaux. Car cet amour des animaux, très doux, mais qui n'est souvent qu'un trompe l'oeil de sensibilité à l'usage des égoïstes, était ressenti excessivement par Brummell. Dear miss Aimable, - Il est sans doute bon d'étudier l'anglais et l'italien, mais il ne faudrait pas, pour cela, négliger ses devoirs de cœur. Voilà plus d'une semaine que je n'ai vu de paille fraiche dans la corbeille d'Ourika, tandis que Tigre a toute permission de persécuter le perroquet au point de l'en faire mourir. Il vaut mieux remplir ses obligations vis-à-vis des animaux, nos compagnons muets, que de faire des devoirs dans tous les langages du monde. » Cela est à demi vrai; mais, pour ses devoirs de cravate, combien le dandy n'avait-il pas dédaigné et contristé jadis d'affections humaines !

Passons de ces petites hypocrisies de sentiment à la sincérité de malicieuses critiques littéraires. Elles se trouvent dans des lettres adressées à une anonyme, à un bas-bleu de Caen, et fournissent, sur les écrivains anglais, de curieuses appréciations: << Avez-vous lu le voyage en Amérique de Fanny Kemble? Je commence à être lassé de sa sensibilité factice et surtout de tous ces moi qui encombrent ses souvenirs. » N'est-ce pas un peu la paille et la poutre? Et, d'ailleurs, le dandy, dans son grand moi à lui, est impitoyable pour ses remplaçants sur la scène de la fashion; particulièrement

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