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SÉANCE PUBLIQUE

DU 5 DÉCEMBRE 1895

Présidence de M. Jules FÉLIX,

Conseiller à la Cour d'appel de Rouen, président de la Société Rouennaise de Bibliophiles.

Le jeudi 5 décembre 1895, la Société des Antiquaires de Normandie a tenu sa séance publique annuelle dans la grande salle de l'École de droit, sous la présidence de son directeur, M. Jules Félix, conseiller à la Cour d'appel de Rouen, président de la Société Rouennaise de Bibliophiles.

Aux côtés du directeur avaient pris place: MM. Langlois, président; le général Chambert; Lebret, maire de Caen et député du Calvados; le comte de Marsy, ancien directeur de la Société, Guillouard, Travers et de Beaurepaire, secrétaire.

MM. le Premier Président, le Préfet du Calvados et Monseigneur l'évêque avaient, ainsi que M. le Procureur général, exprimé leurs regrets de ne pouvoir assister à la réunion.

Sur l'estrade se pressaient les membres de la Société, titulaires, résidants et non résidants; un public nombreux remplissait la salle. Comme d'habitude, une délégation des élèves du Lycée occupait la tribune.

Le programme était ainsi conçu :

Discours d'ouverture, par M. le Directeur; Rapport sur les travaux de l'année, par le Secrétaire;

De quelques fausses attributions du Musée de Caen, par M. Fernand Engerand;

Le manoir de Quilly, par M. Albert Pellerin; Philippe Le Cat, poème, par M. Émile Travers.

Le temps a manqué pour donner lecture du travail de M. Pellerin, sur le manoir de Quilly; tous les autres morceaux ont été lus dans l'ordre porté au programme et ont été favorablement accueillis par la réunion.

DISCOURS DE M. J. FÉLIX

MESDAMES,
MESSIEURS,

« Je serais bien effronté si je n'étais pas modeste »>, devrais-je avouer avec un des valets de Marivaux; mais, pour aujourd'hui, vous m'avez interdit l'exercice de cette vertu facile et l'honneur insigne que vous m'avez conféré m'impose l'illusion, dès demain déçue, de le supposer justifié. Aussi quels que soient sur ce point délicat les doutes dont s'alarment les scrupules de ma conscience, mon amour-propre complaisant se refuse prudemment à les éclaircir, et son intérêt lui commande impérieusement de se dérober à toute comparaison entre les mérites qui distinguaient mes prédécesseurs et les titres que votre excessive indulgence a cru découvrir en m'appelant à leur succéder.

Acette place en effet, après votre digne diocésain, hôte assidu de ces fêtes de l'intelligence, dont la

douleur fraternelle daignera agréer le respectueux hommage de notre profonde sympathie, vous avez accueilli avec une reconnaissante vénération des prélats au cœur français comme le sien, l'un vous rappelant le patronage sacré, étendu sur le mont jalousement cher aux Normands et toujours victorieux des assauts de la mer ou des attaques de l'ennemi, un autre, empressé à prodiguer les plus touchants témoignages de sa pitié attendrie et de sa ferveur patriotique à la naïve paysanne soldat de Dieu, dont le dévouement libérateur s'obstina jusqu'au martyre. Vous savez s'il pratiquait ce double culte, l'esprit généreux, juvénilement épris de toutes les gloires et sensible à tous les revers de son pays, qui avait, débutant comme un maître, jugé les « effrois » de la Jacquerie avec une sereine impartialité et semblait, soit qu'il mit au jour la chronique de la vieille forteresse monastique, soit qu'il contat l'enfance de la vierge lorraine ou la jeunesse de Duguesclin, se délasser par la variété de ses recherches du rude et opiniâtre labeur auquel l'astreignait sa belle édition de Froissart, brusquement arrêtée par la mort qui fauchait l'infatigable commentateur en pleine maturité de l'âge et du talent. En inscrivant leurs noms à côté de celui de l'érudit pour lequel la guerre de Cent-Ans n'avait plus de mystères, vous avez consacré la sagacité persévérante de l'investigateur qui avait surpris dans les carnets de Mazarin le secret de la poli

tique du grand ministre, comme vous applaudissiez au succès de l'écrivain qui popularisait l'héroïsme de Jeanne d'Arc et flétrissait les hontes de la justice révolutionnaire. Vos suffrages enfin n'encourageaient-ils pas à de nouvelles infidélités le transfuge repentant, qui, pour un temps trop court, sacrifiant la société du dieu du commerce à la fréquentation plus aimable de la muse de l'histoire, cédait à l'irrésistible séduction de Louise de La Vallière, et lorsqu'ils se fixaient sur l'éminent administrateur de notre Bibliothèque nationale, ne les incliniez-vous pas devant l'étendue des connaissances les plus diverses unie au charme de la plus exquise et féconde bienveillance?

La présomption la plus robuste n'oserait, en regard de ces existences si remplies, mentionner une vie obscurément confinée dans l'exacte observance du devoir professionnel et dont les loisirs seuls se sont dépensés en ces distractions littéraires ou artistiques, qui attirent ceux que bientôt elles captivent et passionnent. Études aimées ! je leur devais trop de joies intimes et de pures jouissances pour ambitionner d'autre récompense que les faveurs dont elles comblent ceux qui s'y adonnent, et ma reconnaissance ne résiste pas à la tentation de s'approprier l'invocation connue du publiciste au tact subtil, à la plume acérée, de Prévost Paradol, qui, contre une défaillance momentanée, a oublié de réclamer leur fortifiant secours : « Salut, lettres

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