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leçon, moi qui avais comme étranger la faveur de prendre part à vos travaux, c'est le sentiment de parfaite loyauté avec lequel M. Courajod sut rendre éclatante justice à mes compatriotes, pour la part qu'ils eurent dans cette grande réforme de l'art.

La parole entraînante de M. Courajod me fit pénétrer dans une branche du domaine de l'art que je n'avais jamais considérée qu'en profane et en curieux, et jeta tout à coup comme une vive lumière sur mes propres études. Ce fut pour moi une révélation.

J'avais été frappé, en visitant les ruines, des formes singulières du dispositif de fortification que j'y voyais appliqué. Ce n'était déjà plus la fortification du moyen âge, et cependant ce n'était pas encore la fortification moderne. J'y voyais la manifestation d'un art qui cherche sa voie et qui, sur le point de la trouver, abandonne tout à coup la route suivie, comprenant qu'il faut se résigner à prendre une direction nouvelle. A la fin du XIVe siècle, l'expérience avait manifestement prouvé l'insuffisance de la fortification du moyen âge, pour résister aux engins nouveaux de l'artillerie à feu; mais il fallut encore deux siècles pour que la réforme de la polyorcétique, ébauchée par le génie des princes d'Orange, arrivât à sa complète plénitude, sous l'influence de votre inimitable Vauban. Je retrouvais, chez le constructeur de La Ferté-Milon, la trace des incertitudes qui nous assaillent encore aujourd'hui nous-mêmes, lorsque nous cherchons à mettre nos travaux défensifs à la hauteur des merveilleux progrès de notre artillerie contemporaine. La date précise de la construction du château de La Ferté-Milon fixe avec une remarquable netteté une des phases du mouvement des idées qui guidèrent nos

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pères dans cette époque de transition, dont l'histoire est demeurée si confuse et qui pour nous cependant, offre d'autant plus d'intérêt que du passé nous pouvons en quelque sorte préjuger de l'avenir. M. Courajod, en faisant remonter la part considérable que les Belges prirent à la construction de La Ferté-Milon et à la réforme artistique de la Renaissance, démontrait en même temps le rôle important, que j'avais souvent soupçonné sans pouvoir le définir complètement, qu'ils eurent dans la Renaissance militaire du XVIe siècle. Il établissait pour mon pays un titre d'honneur réel, car par une étrange conséquence du jugement des hommes, la gloire militaire est encore. de notre temps celle dont toutes les nations se montrent le plus jalouses. Il ne faut pas s'en étonner, d'ailleurs : «La guerre, dit Ancillon, donnant une « forte impulsion aux esprits, fait inventer et découvrir, la paix perfectionne les arts et les talents. >> Ouvrier obscur de la Renaissance contemporaine, dans laquelle, comme par le passé, mon pays peut revendiquer une part légitime, il m'était bien permis de me réjouir de ce que j'entendais.

K

Témoin de mes impressions, vous avez bien voulu, mon cher Directeur, m'en demander une notice pour le compte-rendu du Congrès. La courtoisie, la reconnaissance que j'éprouvais pour l'accueil si cordial qui m'était fait, m'empêcha de vous refuser. Mais, je dois vous l'avouer, rentré dans mon pays, j'ai regretté une promesse imprudente. J'espérais y trouver au moins quelques documents qui me permissent de faire un travail digne d'être présenté à vos savants associés. Je n'ai pu que constater l'extrême pénurie de nos collections publiques sous ce rapport. Il est vrai que

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les travaux de Viollet-le-Duc m'offraient une ample mine à exploiter; mais, en consultant mes notes, mes croquis, les photographies que je m'étais procurées à la hâte, j'y trouvais de nombreuses contradictions avec les indications de votre savant et éminent architecte. Nul mieux que lui n'a étudié l'art du moyen âge, et ces contradictions étaient faites pour augmenter mon hésitation.

Je veux néanmoins accomplir ma promesse. En vous adressant mon travail, je vous prie d'y voir l'expression de ma vivc gratitude pour l'aimable accueil qui m'a été fait au Congrès de Soissons-Laon.

Anvers, 25 septembre 1887.

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