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La Société centrale des architectes a délégué à notre Congrès MM. Alfred Besnard et Gosset. La Société des architectes diplômés s'est fait représenter par notre confrère M. Mayeux. Je tiens à les remercier de l'intérêt qu'ils portent à nos études et des comptes rendus passés et futurs de nos laborieuses sessions. Tous ceux qui m'écoutent appartiennent au moins à l'une de ces Sociétés savantes qui sont l'honneur de notre pays, car elles sont des écoles de dévouement et de désintéressement. Elles se sont multipliées depuis l'époque où M. de Caumont encourageait leurs débuts, elles organisent des Congrès régionaux, mais le Congrès archéologique de France, qui répond à l'idée de décentralisation et qui conserve toujours son caractère provincial, offre à leurs membres l'occasion de sortir de leur domaine et de connaitre peu à peu les plus beaux fleurons de la couronne artistique de notre pays. C'est notre nombre qui fait notre force, mais le succès de nos sessions nous oblige à perfectionner sans cesse notre organisation.

L'exploration rapide de l'Angoumois et de la Saintonge ne suffira pas à vous donner l'idée de l'incroyable abondance des églises romanes dans cette région de la France et de la richesse de leur ornementation. Il faudrait visiter toutes les paroisses pour être surtout frappé du très grand nombre d'églises à nef unique, qui voisinent avec quelques églises à bas-côtés nettement poitevines, comme celles de Saint-Amant de Boixe, de Châteauneuf-sur-Charente et de Saint-Eutrope de Saintes. Cependant le premier type, inspiré par une idée d'économie et de simplicité, se rattache également à cette grande école du Poitou, qui a fait sentir son influence depuis les bords de la Loire jusqu'à la chaine des Pyrénées, car les églises à nef unique ne sont pas rares autour de Poitiers, bien que leur étude ait été complètement négligée pour simplifier des théories plus ou moins

surannées.

La plupart des archéologues ont attaché à la présence d'une série de coupoles sur la nef des églises du Périgord et de l'Angoumois une trop grande importance. Hypnotisés par le criterium de la voùte dont Quicherat s'était fait l'apôtre, ils n'ont pas réfléchi que le parti des églises à nef unique, adopté dans les Charentes, impliquait comme conséquence l'emploi du berceau

brisé ou de la coupole. La première méthode entraina presque toujours le déversement des murs goutterots et l'effondrement de la voûte, comme à Rioux, à Retaud et à Chadenac. La coupole devenait donc une nécessité de construction pour éviter les poussées latérales, et il ne faut pas l'envisager comme un genre de voûte systématique qui engendra les églises sans bas-côtés. D'ailleurs, l'exemple de Saint-Hilaire de Poitiers, où les coupoles de la nef voisinaient avec les voûtes d'arètes des doubles collatéraux, suffit à prouver pourquoi la coupole eut souvent les préférences des architectes.

En réalité, la coupole pouvait seule s'adapter sur une nef de 1450 de largeur, comme celle de la cathédrale d'Angoulême et de l'abbatiale de Fontevrault, jusqu'au jour où la croisée d'ogives fournit aux constructeurs une solution plus élégante et plus commode, comme à Sainte-Radegonde de Poitiers, à la cathédrale et à La Trinité d'Angers ou à Saint-Yrieix. Tels sont les principes qui s'imposeront aux nouvelles générations d'archéologues, parce qu'ils sont conformes à la logique des architectes du moyen âge. Il faudra bien se décider à tenir compte des variétés de type qui existent dans les églises rurales d'une même école au lieu de subordonner ses caractères à ceux des grands monuments de telle ou telle province.

Pourquoi faut-il qu'en parcourant vos fraîches vallées ou vos plateaux si bien cultivés, on constate trop souvent, en s'arrêtant devant une église, les traces du passage d'un de ces partisans du système déplorable qui consiste à rebâtir les monuments sous prétexte de les restaurer. Ici c'est une façade ou un clocher dont il ne reste plus une vieille pierre, ici c'est un portail entièrement neuf, ailleurs c'est un dôme recouvert d'écailles, ou des lanternons imaginaires, ou encore des bahuts flanqués de gargouilles dont les architectes du XIIe siècle n'ont jamais eu l'idée. A l'intérieur, le mal est parfois plus irréparable: ce sont des faux joints qui dissimulent le décrochement des assises, ce sont des coupoles, appareillées suivant les lois de la stéréotomie moderne, qui ont remplacé des voûtes où l'on voyait la trace des tâtonnements des appareilleurs. Heureusement beaucoup d'églises rurales, qui n'étaient pas encore classées, ont échappé à ce rajeunissement si regrettable, mais les grands édifices en

ont réellement souffert. Par quelles raisons pourrait-on justifier la démolition de cette délicieuse chapelle Renaissance qui se trouvait au chevet de la cathédrale d'Angoulême et la dépose des superbes chapiteaux romans recueillis dans le jardin de l'évêché? Comment excuser la reconstruction presque totale de la rotonde de Saint-Michel d'Entraigues?

Les distinctions honorifiques accordées cette année aux membres de notre Société n'ont jamais été aussi nombreuses. Il est vrai que le cinquantenaire du Congrès des Sociétés savantes offrait à M. le Ministre de l'Instruction publique une occasion exceptionnelle pour récompenser les mérites de ceux qui se sont dévoués à leur prospérité. M. R. de Lasteyrie et M. l'abbé Thédenat, membres de l'Institut, ont été promus au grade d'officier de la Légion d'honneur. M. Georges Durand, inspecteur général de notre Société, MM. Chauvet, Jadart et Rouchon, inspecteurs départementaux, et notre confrère M. André Hallays, ont été nommés chevaliers du même ordre. Si votre Directeur a obtenu la même distinction, croyez bien qu'il en reporte tout l'honneur sur ses chers collaborateurs et sur tous ceux qui ont contribué à développer la prospérité toujours croissante de la Société française d'Archéologie. Notre inspecteur divisionnaire M. Labande a été nommé correspondant de l'Institut, et la dernière promotion d'officiers d'Académie renferme les noms de MM. Boinet et Sauvage.

Au concours des Antiquités de la France, nos savants confrères MM. Jadart et Demaison viennent d'obtenir la première médaille pour le Répertoire archéologique de l'arrondissement de Reims. C'est un précieux encouragement qui devrait décider les principales Sociétés savantes de France à suivre leur exemple, et je félicite l'Académie de Mâcon de se mettre à l'œuvre. M. Victor Mortet a mérité la seconde médaille pour ce Recueil de textes indispensable à consulter pour connaître les sources de l'histoire monumentale au XI et au XIIe siècle. La troisième médaille a été décernée à M. Sauvage pour l'Histoire de l'abbaye de Troarn, près de Caen. M. Georges Durand et M. Philippe Lauer se sont partagé le prix Fould, l'un pour sa Monographie de Saint-Riquier, l'autre pour son Histoire du Palais de Latran, dont je ne saurais trop louer la valeur archéologique. Notre confrère M. Paul Denis

est également au nombre des lauréats de l'Académie des Inscriptions pour son excellent livre sur Ligier Richier.

Nous avons eu cette année la douleur de perdre deux dignitaires qui avaient rendu d'éminents services à notre Société. M. Adrien Planté, inspecteur divisionnaire, ancien magistrat, ancien député des Basses-Pyrénées, maire d'Orthez pendant de longues années, était un fidèle adhérent de nos Congrès. Président de la Société des sciences, lettres et arts de Pau et de l'Escole Gaston Fébus, il avait su donner une vive impulsion aux études d'histoire et d'archéologie locales. La mort l'avait privé de son fidèle collaborateur, notre regretté confrère Maurice Lanore, mais il savait encourager les débutants et recruter de futurs travailleurs. En 1888, il avait eu le plaisir de recevoir les membres du Congrès de Dax dans cette ville d'Orthez, dont tous les habitants lui étaient profondément dévoués. Le Béarn était pour lui une seconde patrie, et son aménité lui ralliait toutes les sympathies.

M. Anthyme Saint-Paul, membre du Conseil, était inscrit sur les listes de notre Société depuis quarante ans. Il avait done connu mes trois prédécesseurs et sa vocation archéologique fut très précoce, car il avait seize ans quand il envoya au Bulletin Monumental son premier article sur les châteaux de Comminges. Né à Montréjeau, il aimait le pays toulousain, où il comptait tant d'amis, mais les fonctions qu'il remplissait à Paris comme rédacteur des Guides Joanne l'entraînèrent peu à peu à visiter toute la France. Ainsi s'explique qu'il ait pu étudier aussi bien l'abbatiale de Saint-Denis que Saint-Bertrand-de-Comminges, l'église de Poissy et la cathédrale d'Évreux que Saint-Sernin de Toulouse. C'était un esprit critique qui aimait la discussion et qui ne craignait pas d'aborder les plus délicats problèmes de l'archéologie médiévale. Son étude sur Viollet-le-Duc et son système archéologique est un livre du plus haut intérêt où certaines erreurs fondamentales du célèbre architecte sont réfutées d'une façon décisive.

Ses articles sur nos monuments historiques, son mémoire sur l'Architecture française et la guerre de Cent ans, qui ont paru dans le Bulletin Monumental; son Histoire monumentale de la France, dont la dernière édition a paru après sa mort, suffiraient

à donner la preuve de son activité scientifique, mais je tiens à rendre hommage à sa loyauté et à sa courtoisie. C'était un penseur très original, un écrivain délicat, qui représentait une époque intermédiaire entre les anciennes traditions et les nouvelles méthodes. Il préférait aux études techniques le brillant exposé d'une doctrine personnelle, mais il était heureux de voir les jeunes générations marcher sur ses traces et partager son enthousiasme pour les œuvres des artistes de l'époque romane et de l'époque gothique.

Ancien inspecteur général de notre Société, M. Paul de Fontenilles avait habité tour à tour le Quercy et la Gascogne. Il s'était beaucoup intéressé à l'étude des coupoles, mais depuis de longues années ses nouvelles occupations ne lui permettaient plus de consacrer son temps aux études archéologiques. Tous ceux qui l'ont connu conserveront le souvenir de son amabilité. Je tiens à rendre aussi un dernier hommage au commandant Simon, membre correspondant de l'Académie de Reims, qui a passé sa vie à faire des fouilles autour de Fismes, sa ville natale, dont il a été le bienfaiteur. Sa précieuse collection de poteries, de chapiteaux et d'épitaphes, a été acquise par le musée de Reims.

Le vicomte René de Marsay, ancien officier de marine, qui avait pris une part brillante au combat naval de Fou-Tcheou, était un nouveau venu parmi nous, mais il avait l'ardeur d'un néophyte. Propriétaire de la chapelle ronde du Liget, près de Loches, il avait suivi nos dernières excursions avec son frère Edmond qui vient de mourir. Nous nous joindrons à leurs amis pour regretter ces aimables compagnons frappés dans la force de l'âge. Notre confrère M. Henry Hymans, conservateur honoraire de la Bibliothèque de Bruxelles, ancien président de l'Académie royale de Belgique, correspondant de l'Institut de France, était l'auteur d'importants ouvrages sur les peintres flamands et d'une monographie des Van Eyck. Il avait décrit Bruges, Gand et Ypres dans la collection des Villes d'Art et il s'était dévoué au succès de ces Expositions des Primitifs flamands et de la Toison d'Or. C'était un érudit très affable, que j'avais toujours plaisir à rencontrer dans les Congrès de la Fédération belge.

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