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PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES

SÉANCE D'OUVERTURE DU LUNDI 18 JUIN 1912 A ANGOULÈME

PRÉSIDENCE DE M. E. Lefèvre-PontaLIS.

La séance d'ouverture de la soixante-dix-neuvième session du Congrès archéologique de France s'est tenue dans la salle des fêtes de l'Hôtel de Ville d'Angoulême, le lundi 18 juin, à 9 heures 1/2.

M. E. Lefèvre-Pontalis avait à ses côtés sur l'estrade: MM. Fabre, préfet de la Charente; Héron de Villefosse, membre de l'Institut, délégué de M. le Ministre de l'Instruction publique; Mulac, sénateur, maire d'Angoulême; le vicomte Amaury de Ghellinck-Vaernewyck, délégué du Gouvernement belge; L. Labande, délégué de S. A. S. le prince de Monaco: J. Guiffrey, membre de l'Institut: P. Verlet, membre de l'Institut; Deshoulières, directeur adjoint de la Société; Louzier, inspecteur général des Monuments historiques; Chauvet, secrétaire général du Congrès Chevallier et Serbat, secrétaires généraux de la Société le marquis de Fayolle, inspecteur général de la Société; P. Vitry, conservateur au musée du Louvre ; Jacquard, inspecteur d'Académie.

On remarquait dans la salle: MM. A. Besnard et A. Gosset, délégués de la Société centrale des Architectes; M. de Buggenoms, délégué de la Société archéologique de Bruxelles, MM. Hambye, le colonel Lambert, le comte Ch. Lair, L. Bégule, E. Jarry, P. Lauzun, inspecteurs divisionnaires; MM. le comte Ch. de Beaumont, A. Levé, H. Macqueron, G. Musset, Ch. Legrand et Birot, inspecteurs départementaux; MM. P. Dubois, F. Martin-Sabon, MichelDansac, L. Régnier, A. Rhein, J. de Valois et A. Boinet, membres du Conseil de la Société; MM. P. Bordeaux, Ch. Dangibeaud, Jean George, l'abbé Mazière, D. Touzaud, P. Mourier, A. Guérin-Boutaud, A. Gosset, A. Mayeux, Lorber, archiviste des Basses-Pyrénées, Imbert, archiviste de la Charente.

Au nom de la ville, M. Mulac, maire d'Angoulême, souhaite la bienvenue aux Congressistes, qui trouveront l'accueil le plus empressé auprès des habitants du pays, fiers de les voir en si grand nombre visiter et admirer leurs richesses archéologiques.

M. Chauvet, secrétaire général du Congrès, prononce ensuite le discours suivant :

MESDAMES,
MESSIEURS,

Chaque année vous visitez une région de la France, pour y étudier plus particulièrement sur place, en dehors des textes, les œuvres tangibles des hommes du passé. Aujourd'hui, vous désirez voir ce qu'ont fait, autrefois, chez nous, les anciens architectes, sculpteurs, miniaturistes, émailleurs,..... et tous ces ouvriers si habiles de l'époque romaine, du moyen âge et de la Renaissance.

Nous sommes heureux de vous voir et vous remercions pour l'intérêt que vous portez à l'Angoumois. Vous avez bien fait d'y venir, car vous retirerez grand profit des excursions indiquées dans l'excellent Guide que vous avez entre les mains.

Vous trouverez en Charente des monuments de toute sorte: aux Bouchauds, près Saint-Cybardeaux, les ruines de l'ancienne Sermanicomagus de la carte de Peutinger, qu'il faut lire Germanicomagus, la ville de Germanicus, avec son théatre récemment déblayé, l'un des plus grands de la Gaule. La belle cathédrale d'Angoulême, restaurée par un architecte moderne, et une longue suite d'églises romanes, dont plusieurs ont conservé - sans retouches leurs sculptures du moyen âge. Puis, le château de La Rochefoucauld, le château de Verteuil où, parmi de beaux objets d'art, vous pourrez admirer la tapisserie dite de la Licorne, fin chef-d'œuvre de la Renaissance.

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Notre sol a fourni aussi d'admirables pièces, passées dans des collections étrangères, mais dont le souvenir est conservé dans nos Bulletins, par de bonnes figures et des descriptions précises; notamment le trésor liturgique de Cherves, découverte capitale pour l'histoire de l'industrie limousine du XIIIe siècle: plusieurs bijoux recueillis dans nos cimetières barbares. Il y a là matière importante pour nos annales.

Mais l'Angoumois a la bonne fortune de posséder, en outre, de nombreux matériaux d'étude se rapportant à des chapitres plus anciens de notre histoire. Les époques antérieures aux textes sont bien plus longues que ne l'avait supposé la chronologie classique l'apparition de l'homme, chez nous, remonte à une antiquité dont on est à peine habitué à envisager les limites extrêmes dans la nuit des âges.

MM. de Caumont et de Marsy, ces deux bons archéologues dont je n'ai pas besoin de faire ici l'éloge, avaient déjà signalé l'importance de ces temps primitifs: ils sentaient vivement, l'un et l'autre, que pour bien comprendre une époque, il faut en découvrir les racines profondes, les traditions inconscientes, presque toujours déformées, héritières d'un passé lointain, oublié en partie, et que cependant il faut essayer de connaître.

Tout se tient dans l'histoire humaine; aussi, la Société archéologique et historique de la Charente a porté une partie de ses efforts vers l'étude de ces anciens peuples, insoupçonnés il y a quelques années, et dont les documents écrits ne parlent pas. Elle a soigneusement recueilli les traces laissées dans leurs

campements; le classement et l'étude méthodiques de ces débris montrent l'évolution de l'industrie charentaise depuis les temps les plus reculés.

Grâce à la bienveillance de M. le Maire et du Conseil municipal d'Angoulême, notre Société réorganise actuellement son musée et sa bibliothèque dans des salles de l'Hôtel de Ville gracieusement mises à sa disposition. Nous regrettons que cette nouvelle installation ne soit pas terminée.

On aura alors une leçon de choses donnant une idée approximative des premiers Charentais. Nous avons appris bien des nouveautés à leur sujet. Je ne crois pas sortir du cadre du Congrès en vous entretenant d'eux.

En 1844, quand l'abbé Michon publia sa Statistique monumentale de la Charente, il nous parlait, au début de notre histoire, des Santons, des Gaulois, des druides cueillant le gui sacré avec une faucille d'or, et sacrifiant des victimes humaines sur les dolmens de Luxé, d'Edon, etc..... Il nous indiquait aussi, très vaguement, d'après les géographes grecs, divers peuples imprécis, Celtes, Ibères, Ligures, dont nous savions bien peu de chose, alors comme aujourd'hui.

Nous n'osions pas alors regarder plus loin. Mais ces idées devaient être revisées. Depuis lors, l'observation directe et l'étude attentive de nos alluvions, grottes, dolmens, tumulus, retranchements, cachettes de l'age du bronze, ont permis à la Société archéologique de la Charente de découvrir plusieurs peuples successifs, dont les noms sont ignorés, mais dont les habitudes et l'industrie sont en partie connues.

Sous la vieille couche romaine, il y a dans notre vallée de nombreuses traces d'une longue succession d'états sociaux différents et inconnus il y a trois quarts de siècle; leur description formerait plusieurs chapitres d'une histoire primitive constituée en dehors des livres, au moyen des objets divers laissés dans leurs stations par les premiers Charentais.

L'homme modifie incessamment son outillage, son costume, ses armes, ses bijoux, et grâce à ces changements continus, il laisse, partout où il séjourne, des traces d'un caractère particulier, variables suivant le temps, ce qui permet de les classer par époques. C'est ainsi que vous reconnaissez facilement, à sa

facture, l'âge d'une colonne, d'un chapiteau, d'un bas-relief; à première vue, vous distinguez si une église est romane ou gothique.

Ce même mode d'observation, joint à la méthode stratigraphique des géologues, a permis aux préhistoriens de classer les périodes antérieures aux textes. Ce classement ne peut trouver ici sa place; en voici, cependant, les lignes principales.

Excusez, Messieurs, je vous prie, un préhistorien, de vous parler peut-être un peu trop longuement d'un sujet faisant surtout l'objet de ses recherches. Les premiers hommes apparaissent en Charente, armés de simples cailloux taillés en pointes, à une époque de grandes pluies, à climat très doux; ils habitaient des huttes, le long des cours d'eau, chassant l'hippopotame, le rhinocéros de Merck, les grands lions d'espèces éteintes, l'éléphant antique dont la taille atteignait 450 au garrot. Une défense de ce grand éléphant, longue de 2" 85, a été trouvée dans les sablières de Tillou, près de Jarnac, et déposée au muséum. Vous pourrez voir, dans notre musée, les silex taillés en usage à cette époque. Nos rivières couvraient alors toutes les vallées; les prairies que vous avez vues autour d'Angoulême étaient inondées par les eaux courantes. Les volcans d'Auvergne étaient en pleine activité et la France soudée aux Iles Britanniques.

Un squelette humain trouvé récemment à La Quina, non loin d'Angoulême, permet de se figurer approximativement les hommes qui habitaient alors notre vallée; leur front fuyant, terminant un crâne allongé, leurs arcades sourcilières énormes, indiquent une race inférieure, analogue à certains sauvages actuels.

Après cette époque, les pluies diminuent, la Charente rétrécit son lit, la température se refroidit, les animaux des pays chauds disparaissent, peu à peu, pour faire place à de nouveaux arrivants : le mammouth, éléphant de Sibérie à fourrure épaisse, dont les os abondent dans nos alluvions; puis toute une faune polaire : rennes, marmottes et, çà et là, des espèces plus rares: le renard bleu, le lièvre des neiges, le rhinocéros à narines cloisonnées, dont une machoire inférieure vient d'être trouvée sous

nos murs.

De grands progrès successifs s'accomplissent, par étapes, dans la taille du silex, matière première par excellence des primitifs;

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