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VIII

NOTE SUR LES VOÛTES

DE

SAINT-EUTROPE DE SAINTES

Par M. Charles-Henri BESNARD.

La technique la plus sûre, jointe à une certaine maladresse d'exécution, à une timidité relative: des tâtonnements et de réelles audaces font de l'église Saint-Eutrope un étrange amalgame où la science du maître de l'œuvre. apparait aussi surprenante que ses défauts.

L'ensemble de la construction a traversé les siècles sans la moindre altération. En aucun point de l'édifice il n'est trace d'une défaillance. le maître de l'œuvre avait tout prévu, on ne saurait nulle part le trouver en faute.

Vouter une crypte fut au moyen âge un grave problème: bien peu d'artistes l'osèrent aborder franchement. L'architecte de la Sainte-Chapelle de Paris lui-même hésita: il ne parvint à couvrir la chapelle basse qu'en employant un subterfuge encore sa technique était-elle exceptionnelle et avait-il l'avantage de manier la voûte sur croisée d'ogives. système de construction le plus souple qui fut jamais.

Le problème qui consiste à établir une voûte très surbaissée est fort délicat. Tracée avec une grande ouverture compas. une pareille voûte engendre des poussées consi

de

dérables. Ce résultat. dù à sa structure même. se trouve encore augmenté de sa fonction: elle doit être apte à supporter la charge des autels et de la foule qui se presse à leurs pieds.

Aussi, tournant cette grave difficulté, les architectes du moyen âge se sont-ils efforcés de supporter le sol du chœur au moyen de voûtes étroites reposant sur un quillage de colonnes. Telles sont les dispositions adoptées dans les cryptes de la cathédrale d'Auxerre, de Sainte-Bénigne de Dijon, du Ronceray d'Angers, et surtout dans la belle crypte de la cathédrale de Spire et dans celle de Winchester.

L'architecte de Saint-Eutrope aborda plus franchement le problème et sut concevoir le plus bel exemple que nous possédions de crypte voûtée en berceau.

C'est bien une voûte en berceau. et non une série de voûtes d'arètes. qui couvre cette magnifique église souterraine (Fig. 1 . L'aspect général peut donner l'impression de ce système de construction, mais l'examen ne laisse subsister aucun doute sur la disposition réelle.

Le chœur est couvert par un long berceau de 5m 40 de largeur, où de profondes pénétrations dégageant les arcs latéraux forment une sorte de voûte d'arète romane. La voûte est renforcée par de gros doubleaux en forme de boudin. L'ensemble est très puissant, et grande était la difficulté de bien contrebuter les poussées. L'architecte de Saint-Eutrope sut résoudre le problème avec l'adresse d'un technicien consommé.

Il se servit de la voûte du déambulatoire pour équilibrer le berceau central, mais, comme le déambulatoire est luimême voûté en berceau surhaussé, nécessité inévitable vu la faible hauteur de la crypte, une nouvelle difficulté surgissait. Il fallut trouver un expédient pour reporter le plus haut possible la poussée du grand berceau.

Si le berceau avait été construit, comme de coutume, jusqu'au point de sa retombée sur les piles, la poussée aurait

eu lieu suivant une direction très inclinée. et le poids mort de la pile de l'église supérieure n'aurait peut-être pas suffi, en chargeant le pilier de la crypte. à lui donner un moment d'inertie lui permettant de résister à l'effort de

renversement.

FIG. 1.

Ch. Besnard, del.

Plan d'une travée de la crypte.

Le maître de l'œuvre, raisonnant fort bien sa conception, imagina de monter une maçonnerie de pierres appareillées en tas de charge au-dessus du tailloir des chapiteaux Fig. 2 et pl. 1). Cette disposition fut élevée à une hauteur nécessaire et suffisante pour servir de point de retombée. d'une part à la portion circulaire de la voûte du déambulatoire. et d'autre part à la voûte du berceau central qui, par sa construction, exerce une poussée presque horizontale.

Cette poussée s'exerce suivant la direction indiquée sur notre croquis. Au moyen de cette ingénieuse disposition, la poussée du grand berceau se trouvait en partie neutralisée par l'effort inverse de la voûte du collatéral, tandis que la seconde partie de cette voûte, se comportant comme un arcboutant continu, reportait l'excédent de l'effort sur le mur extérieur du collatéral. En ce point. le maître de l'œuvre n'avait plus rien à craindre, car le poids des murs goutterots était plus que suffisant pour s'opposer à tout effort de déversement. Cependant, par excès de précaution, il imagina de raidir le mur du pourtour en construisant sous la corniche du comble de grands arcs en décharge (Fig. 3) reportant le poids de la toiture et des parties hautes de la maçonnerie sur des colonnes engagées qui, se comportant comme de véritables contreforts, viennent de toute leur masse raidir la base du mur aux points précis où les poussées des voûtes exerçaient leur action.

Ainsi constituées, les voûtes de la crypte devaient défier les siècles. Cependant, les ouvriers ne valaient pas l'architecte. L'œuvre n'a pas été réalisée avec toute la perfection qu'eût méritée pareille conception.

Nous avons signalé la maladroite exécution du grand berceau et des pénétrations qui ont permis à quelques archéologues, à la suite d'observations trop rapides, de conclure à l'existence de procédés d'exécution tout autres que ceux réellement employés.

Notre confrère M. Rhein a très judicieusement relevé T'erreur de Viollet-le-Duc, qui voyait dans la voûte du rondpoint des arcs de section rectangulaire venant se réunir à une énorme clef. En réalité, la voûte en question est un simple cul-de-four pénétré de profondes lunettes dégageant les arcades du pourtour.

Doit-on déduire de cette observation la maladresse de ces tailleurs de pierre saintongeais qui, par la suite, devaient donner de si beaux exemples de leurs connaissances

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