Page images
PDF
EPUB

forma en coupoles? L'hypothèse nous parait d'autant plus admissible que la coupole, certainement contemporaine de la campagne de construction du XIIe siècle, qui couvrait le narthex sous le clocher, procède du système très sage employé à l'église voisine de Saint-Martin-de-Mazerat et à celle de Trois-Palis, où quatre larges arcs-doubleaux reçoivent le poids de la voûte. Comment admettre qu'après avoir pris de semblables précautions les mèmes architectes aient ose monter les coupoles si hardies qui couvrent la nef? (1)

Quelque audacieuse que puisse sembler cette hypothèse, elle nous paraît très vraisemblable. Nous y voyons le moyen d'expliquer la disposition anormale d'un plan comme celui de la nef de la collégiale de Saint-Émilion.

En résumé, les maîtres de l'œuvre romans employèrent simultanément trois procédés fort différents pour assurer l'équilibre de leurs coupoles.

Tantôt ils les firent porter sur des arcades relativement puissantes chargées du poids de superstructures, comme celles qu'offre la présence d'une tour élevée à la croisée du transept. C'est le système le plus répandu; on le rencontre à Aulnay-de-Saintonge, à La Couronne, à Saint-Martinde-Mazerat. à Saint-Amant-de-Boixe, à Trois-Palis, etc.

(1) Ce genre de substitution fut très employé dans le sud-ouest de la France. A propos des églises de la Gironde, M. Brutails dit expressé

ment :

« La coupole n'a jamais été dans nos pays d'un usage courant comme la voûte en berceau. Un certain nombre de coupoles proviennent même d'un remaniement, dans la Gironde comme ailleurs, comme à NotreDame de Saintes, par exemple; à Saint-Philippe d'Aiguille, à SainteGeneviève de Fronsac, monastère de femmes qui dépendait de SaintAusone d'Angoulême, on a logé dans un édifice préexistant des coupoles et leurs puissants piédroits. Ce mode de voûtement s'est superposé à un style local préexistant ». Brutails: Vieilles églises de la Gironde, in-4o; Bordeaux, 1912, p. 170. Voir également sur ce point: De Lasteyrie : L'architecture religieuse en France à l'époque romane, op. cit.

Ailleurs, lorsqu'ils désirèrent couvrir par une série de coupoles la longueur totale d'une nef. ils disposèrent à l'intérieur de l'édifice des piles-contreforts recevant de larges arcs sur lesquels il était aisé de faire porter une coupole. A ce mode, employé dans la cathédrale d'Angoulême, se rattachent les églises de Roulet. de Bourg-Charente, de Châtres. de Saint-Philippe-d'Aiguille, etc.

Tantôt enfin, ils rejetèrent le poids de la voùte sur d'épais murs latéraux. Ce moyen est certes beaucoup moins élégant, il est même contraire à la logique. Ne tenant pas compte de la localisation des poussées à laquelle aboutit l'emploi des trompes et des pendentifs, il entraîne la mise en œuvre d'une quantité de matériaux inutiles. Cette dernière méthode était peu faite pour séduire l'esprit logique des architectes du moyen àge, aussi la rencontre-t-on fort rarement. Nous venons de montrer qu'à Saint-Emilion elle n'est que le résultat d'un simple remaniement de voûtes: il est à peu près certain que les églises présentant un plan analogue ont été l'objet d'une pareille transformation. Les coupoles qui les couvrent doivent donc être datées d'une époque beaucoup moins ancienne que celle attribuée aux maçonneries inférieures.

Signalons, enfin, les coupoles élevées sur un plan circulaire cette disposition tout à fait exceptionnelle se voit à Brantôme et à la chapelle du château de Montmoreau.

Bander deux ares-doubleaux et deux larges formerets, les contrebuter par des piles intérieures renforcées par des contreforts à l'extérieur, formait une conception relativement savante devant laquelle les architectes du Sud-Ouest semblent avoir reculé.

Cette solution, d'un puissant effet dans les grandes cathé drales où la nef a une large ouverture, produit dans les églises de petites dimensions une impression peu agréable. La nef se trouve sectionnée en autant de parties qu'il y a de coupoles. L'unité d'aspect en souffre. Lorsque l'on pénètre

dans une de ces églises étroites, l'œil ne peut embrasser l'ensemble des voùtes, en partie cachées par les arcs-doubleaux. l'impression d'étendue diminue. l'aspect général est celui d'un édifice construit par portions successives accusant l'impuissance de conception des architectes.

Si l'emploi de la coupole permettait d'élever une église composée d'une nef unique relativement large, dans des conditions assez économiques, un berceau central contrebuté par les voûtes des collatéraux présentait un ensemble plus pittoresque, plus vaste et d'une plus complète unité.

Les maîtres de l'œuvre romans furent visiblement séduits par ce dernier programme. Leur vive sympathie pour la forme de la coupole les empêcha de se résoudre à l'abandonner complètement: ils se réservèrent de la placer sous la tour à la croisée des transepts. Les quatre robustes piles de la croisée, bien calées par les voûtes du chœur, des croisillons et de la nef, leur donnaient entière confiance sur la solidité d'un mode de voûtement dont ils ne comprirent jamais complètement l'économie et dont l'emploi semble les avoir toujours inquiétés.

Renonçant à appliquer au plan basilical un système de voûte qui lui convenait assez mal, ils prirent le parti de couvrir le choeur par un cul-de-four, les croisillons et la nef par une voûte en berceau qu'ils contrebutèrent au moyen de la voûte des bas-côtés lorsqu'il leur était donné de pouvoir en élever. La disposition même de ce plan appelait la présence d'une coupole à la croisée du transept: ils n'eurent garde de négliger cette invitation.

Ce parti logique et brillant fut presque érigé en loi. Innombrables sont les églises rurales dépourvues de bascôtés où l'on ne voit qu'une seule coupole disposée sous le clocher placé en avant de la voûte en cul-de-four qui couvre presque toujours le chœur.

Si ces architectes se montrèrent jusqu'à un certain point. avisés, ils ne se révélèrent jamais bien hardis constructeurs.

Ce n'est que très exceptionnellement qu'ils firent œuvre de techniciens consommés.

Leur incertitude des procédés à employer pour arriver à obtenir la forme objet de leur préférence apparaît dans la diversité des moyens auxquels ils eurent recours pour réaliser leur pensée.

Les pendentifs, les trompes, les culs-de-four, les calottes sphériques ou polygonales, la structure, les matériaux mis en œuvre changent avec chaque édifice. Il semble à première vue que tous ces éléments furent employés au hasard, que nulle méthode ne fut suivie avec persévérance et l'on peut dire que ces architectes qui, pendant deux cents ans, élevèrent des coupoles, n'en surent pas créer la technique.

Au milieu de ce chaos, l'archéologue est découragé. Comment espérer mettre de l'ordre parmi des documents lapidaires si variés? Nous allons essayer d'apparenter les diverses méthodes employées en nous basant simplement sur des affinités de construction. Peut-être un de nos confrères pourra-t-il un jour établir quelques dates; pour notre part, nous ne croyons pas à la possibilité de dresser une chronologie complète des églises voûtées par des coupoles.

Les artistes méridionaux firent tout d'abord, semble-t-il, reposer les calottes sphériques sur des pendentifs. Historiquement, le fait s'explique. La coupole n'étant pas une invention nationale, les architectes français. qui, les premiers, eurent la volonté d'en construire, s'efforcèrent tout simplement de reproduire l'ensemble des formes qu'ils avaient admirées ailleurs.

La source de leur inspiration venait-elle de Venise ou de Constantinople? La question pour nous est secondaire. nous ne voulons pas entrer dans la lice où se rencontre

rent successivement: MM. de Verneilh, Phené Spiers, de Lasteyrie, Brutails et de Fayolle. Le fait important pour notre étude est que les constructions dont s'inspirèrent les architectes du moyen âge procédaient du même principe: la coupole byzantine sur pendentifs. Tout naturellement ces artistes, en voulant à leur tour élever des coupoles, étaient amenés à reproduire plus ou moins servilement les formes dont ils s'étaient inspirés.

En ceci, ils étaient logiques. Appliquant leur méthode de raisonnement à un examen forcément bien sommaire des coupoles byzantines, ils devaient fort justement conclure que toutes les parties de la construction concouraient à créer un aspect bien caractérisé. Il ne faut pas oublier que, pour les architectes romans, la forme était la résultante nécessaire d'une disposition constructive et non un tracé plus ou moins fantaisiste imaginé pour satisfaire le goût d'un artiste. Cependant, le judicieux esprit d'observation des architectes méridionaux avait été mis en défaut. Les coupoles de l'Orient, parées d'un magnifique manteau de mosaïque, ne laissaient pas soupçonner leur structure, nos artistes ne la surent deviner. De bonne foi, rentrés en Aquitaine, ils imaginèrent ces constructions byzantines élevées en pierre de taille, et c'est avec ces matériaux qu'ils prétendirent reproduire chez eux les admirables basiliques entrevues au cours de leur voyage.

Les coupoles françaises n'ont avec celles de l'Orient qu'une lointaine ressemblance. Similitude d'aspect peutêtre, mais que de différence dans l'exécution! « Les architectes français admirent les formes byzantines, mais ils les réalisent à l'aide de matériaux de pierre, l'architecture byzantine n'était pas faite pour ces matériaux; leur emploi devait entraver les applications et limiter le champ de ses influences »> (1).

:

(1) Choisy Histoire de l'architecture, t. II,

p. 157.

« PreviousContinue »