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IV

LE PUPITRE DE SAINTE RADEGONDE

A POITIERS

Par M. J. de VALOIS.

Le couvent de Sainte-Croix, qui fut fondé au VIe siècle par sainte Radegonde. possédait, avant la Révolution, un trésor d'une richesse inestimable: plusieurs inventaires des XV. XVIe et XVIIe siècles nous ont révélé la valeur et le nombre de ses magnifiques reliquaires, calices ou monstrances d'or, enrichis de pierres précieuses (1).

Tous ces objets furent pillés en 1793, mais d'autres, qui semblaient sans valeur, furent conservés. Cependant, les religieuses, chassées à cette époque. ne quittèrent jamais complètement la ville et rentrèrent peu d'années après dans leur maison, et les objets qui furent sauvés du pillage sont encore conservés dans le couvent. Parmi ceux-ci, il en est un qui mérite une étude toute spéciale. C'est un petit meuble en bois, dit pupitre de sainte Radegonde et qui est probablement le plus ancien existant en France à l'heure actuelle.

(1) Barbier de Montault: Le trésor de Sainte-Croix à Poitiers avant la Révolution, Paris, 1883.

Il me parait intéressant de rappeler ici de quelle façon ce petit meuble fut découvert. il y a une soixantaine d'années, car, en dehors des membres de la communauté, personne n'en connaissait l'existence. En 1851. M. Paul Durand, de Chartres, qui visitait Poitiers, avait obtenu de son compatriote, Mgr Pie, une autorisation toute spéciale pour étudier le trésor de Sainte-Croix. Après lui avoir présenté une quantité de tableaux, de châsses et le reliquaire de la vraie Croix (1), la Supérieure lui dit : « Monseigneur l'Évêque nous ayant recommandé, Monsieur, de vous montrer tous nos trésors, nous avons encore apporté ici, pour lui obéir, un objet que voici. Vous ne le trouverez peut-être pas très beau, mais pour nous, filles de sainte Radegonde, il est sans prix et nous le conservons avec un grand respect comme une relique, car c'est un meuble qui a appartenu et qui a servi à notre Sainte Mère ».

Je n'ai pas l'intention de donner ici la description complète de ce meuble, bien connu maintenant (2); il en existe d'ailleurs un très bon moulage au musée municipal. à l'hôtel de ville de Poitiers: il me suffira de rappeler qu'il ressemble à un petit tabouret destiné à l'appui des pieds: il mesure 0m 26 de long sur 0m 21 de large. Sa hauteur, du côté antérieur, est de 0m 10, mais elle s'élève de six à sept centimètres du côté opposé.

L'ornementation de la tablette supérieure, seule partie dont nous nous occuperons ici, avait fait croire à quelques archéologues qu'il était difficile de lui assigner une origine aussi ancienne: divisée en neuf compartiments d'inégale grandeur et séparés par des câbles, elle présente, au centre, l'agneau entre deux rameaux, aux quatre angles, les

(1) La relique de la Vraie Croix fut envoyée de Constantinople à sainte Radegonde par Justin le Jeune et sa femme, l'impératrice Sophie.

Voir, dans Grégoire de Tours, la réception de cette relique, 1. IX, § XL. (2) V. Léon Palustre, Bulletin Monumental, 1878, p. 258. Cahier et Martin Mélanges d'archéologie et d'histoire, t. III, p. 157.

emblèmes symboliques des évangélistes, et dans les autres compartiments des croix ou des chrismes entre deux oiseaux affrontés.

La reproduction photographique ci-contre en fera d'ailleurs comprendre tous les détails, mieux qu'une longue description. La petite échancrure pratiquée à la base des

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croix paraissant d'un style trop avancé devait les rajeunir au moins d'un siècle, cependant tel n'était point l'avis de Léon Palustre : « Ce petit meuble, dit-il, qu'on avait attribué au ciseau de la sainte elle-même, pourrait être plus ancien, les deux croix qui se trouvent à droite et à gauche ne sont pas placées ainsi pour la symétrie, mais avec une intention évidente, comme elles le sont souvent par les

écrivains dans saint Jean Chrysostôme ou dans le livre de l'Imitation de Jésus-Christ. Les petits cercles avec point central se retrouvent à chaque instant sur tous les dessins mérovingiens. » Il conclut en disant que rien ne s'oppose à ce qu'on puisse donner à ce meuble une date antérieure. mème d'un demi-siècle, à sainte Radegonde.

Dans la partie supérieure de ces croix on remarque une sorte de petit crochet qui adopte très franchement la forme d'un R latin, et qui, à l'époque mérovingienne, avait remplacé d'une manière à peu près générale, la boucle du P grec placé dans presque tous les monogrammes du Christ de dates plus anciennes. Enfin, l'échancrure inférieure ne semble plus une raison suffisante pour émettre un doute sur la date du travail, car, si elle n'avait pas été remarquée ailleurs, elle se trouvait cependant reproduite identiquement sur la ceinture en cuir brodé de saint Césaire. mort en 542, qui est conservée dans le trésor de la Major d'Arles.

Je ne vois pas non plus pourquoi, au VIe siècle, on n'aurait pas adopté cette forme déjà connue, d'autant plus que les ouvriers mérovingiens s'inspiraient continuellement des modèles romains qu'ils avaient partout sous les yeux. Or, j'ai relevé sur une lampe romaine du IVe siècle, découverte à Ascalon, en Palestine, une croix dont les extrémités sont évidées absolument comme celles qui nous occupent ici (1). Je ne trouve donc plus aucune raison pour que la date de cette intéressante relique puisse être mise en doute. Son authenticité repose, d'une part, sur une tradition conservée de siècle en siècle par les religieuses de Sainte-Croix et. d'autre part, sur la pureté de son style, qui ne saurait ètre en contradiction avec aucunes de nos connaissances archéologiques.

(1) Revue biblique, t. VII, p. 485.

V

ÉTUDE

SUR LES COUPOLES ET VOÛTES DOMICALES

DU SUD-OUEST DE LA FRANCE

Par M. Charles-Henri BESNARD.

« Il est difficile, dit M. Brutails, d'écrire une histoire documentée des coupoles en Bordelais; les textes font défaut pour dater les divers exemplaires subsistants et on est presque réduit à les classer hypothétiquement dans l'ordre jugé le plus vraisemblable, le plus conforme à la succession logique des procédés » (1).

Cette observation de notre savant confrère peut s'étendre à tous les édifices français où ce genre de voûte fut mis en

œuvre.

Les architectes du sud-ouest de la France ont été, à la période romane, hantés par la coupole. De très bonne heure, ils ont saisi le parti à tirer de ce mode de voûte, peut-être ont-ils un peu trop généralisé son emploi aux dépens de l'unité d'aspect des nefs de leurs églises.

La structure de la coupole offrait un grand attrait aux artistes d'une époque où la technique de l'architecture était

(1) Brutails : Vieilles églises de la Gironde; Bordeaux, 1912, in-4o, p. 170.

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