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arriva près du roi mourant, encore à temps pour être reconnu de lui, et que non-seulement Guillaume lui pardonna, mais que, remettant en son fils aîné ses espérances suprêmes, il le conjura de faire le pèlerinage de Jérusalem pour le repos de son âme (1).

Le Conquérant avait toujours pieusement conservé, au fond de son âme violente, le souvenir de son père Robert le Magnifique, et de sa dévotion. pour les Lieux saints (2). Dans les dernières années de son règne, il avait même envoyé un de ses serviteurs de confiance à Nicée pour en rapporter les restes de son père, qu'il voulait faire reposer dans la terre Normande. La nouvelle de sa mort parvint à son envoyé au moment où il revenait dans la Pouille; elle arrêta la pieuse entreprise. Guillaume le Roux n'était pas pour la continuer, et les ossements de Robert le Magnifique reposent oubliés dans quelque église du midi de l'Italie.

(1) Thomas Rudborne, Historia Major Wintoniensis.

(2) « Patris memoriam quantis poterat occasionibus extollens, ossa olim Nicoæ condita, sub extremo vitæ tempore per legatum transferebat. Sed ille prospere rediens, audita morte Willelmi, apud Apuliam resedit, sepultis ibi illustris viri exuviis. » Guill. de Malmesb., liv. III, § 277.

ROBERT, DUC DE NORMANDIE.

Et utinam longo tempore . . .
Guill. DE JUMIÉGES.

Le désordre du palais ducal à la mort du Duc-Roi n'était que l'image du désordre autrement terrible où ses domaines se trouvèrent tout à coup précipités. On vit bien alors qu'en bannissant son fils aîné, sans doute par avarice du suprême pouvoir, il avait aussi banni la paix publique.

Aussitôt que Robert Courte-Heuse était arrivé à Rouen, tout le monde avait d'abord reconnu son autorité (1). Ses barons le pressèrent de passer en Angleterre pour en réclamer la couronne. « Par les anges de Dieu, répondit-il, quand même je serais à Alexandrie, les Anglais m'attendraient, et n'oseraient disposer du trône avant mon arrivée. Mon frère Guillaume lui-même, que vous dites avoir cet audacieux projet, n'exposerait pas sa tête en y touchant sans ma permission (2). »

Le prince se trompait, et le fantôme de la toutepuissance de son père l'avait ébloui; d'ailleurs au

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(1) Guill. de Jumiéges, liv. VIII, ch. II. Robert du Mont; anno 1087.

(2) Guill. de Jumiéges, ibid.

retour d'un long exil, il se trouvait sans argent, puisque son frère Henri venait de s'emparer des trésors de leur père, et sans forces organisées. La lourde main de Guillaume le Conquérant avait abaissé l'orgueil de ses puissants et turbulents barons, mais la nouvelle de sa mort fut pour eux comme une délivrance. Ils s'empressèrent de chasser les garnisons royales qu'ils avaient été contraints de recevoir dans leurs châteaux pour assurer leur soumission; ils revinrent d'un coup aux traditions de leur farouche indépendance, et Robert CourteHeuse, aux nouvelles qu'il reçut d'Angleterre, dut bientôt comprendre toutes les difficultés de sa situation.

A peine débarqué, Guillaume le Roux avait d'abord couru au trésor anglais de son père, et à force de promesses en avait corrompu le gardien, Guillaume du Pont-de-l'Arche (1). Il y trouva soixante mille livres d'argent fin, avec beaucoup d'or et de pierres précieuses (2). Avec de tels moyens d'action, et malgré le prétendu choix de son père, il est cependant douteux qu'il eût réussi à s'emparer de la couronne, sans le secours que lui donna Lanfranc.

En effet, presque toute la noblesse se prononça contre lui, et se montra hostile à son usurpation (3). Bien que les principes du droit héréditaire fussent encore assez vaguement établis, cependant l'his

(1) Monasticon Anglicanum, t. II, p. 890.

(2) Historia Ingulphi apud Rerum Anglicarum Scriptores, t. I, p. 106.

(3) Henri de Huntingd., liv. VII.

toire anglaise ne présentait que des précédents défavorables à ses prétentions.

Mais Lanfranc avait été son précepteur, et avait même été choisi pour lui conférer l'ordre de la chevalerie. L'archevêque de Cantorbéry craignait d'ailleurs de voir revenir, avec Robert Courte-Heuse, son vieil ennemi personnel, Odon de Bayeux (1); il entreprit donc de faire couronner Guillaume le Roux.

Après avoir pris la précaution de lui faire jurer entre ses mains qu'il suivrait tous ses conseils, respecterait les lois, et gouvernerait avec justice (2), il le présenta à une assemblée où il avait convoqué tous les prélats et tous les barons alors en Angleterre. Beaucoup étaient absents, ceux qui vinrent furent intimidés par la présence du prétendant, ou gagnés par ses promesses, et Lanfranc employa toute son influence à lui assurer l'appui du clergé. Dans la troisième semaine après la mort de son père, il fut proclamé roi, et immédiatement couronné (3).

La plupart des barons anglo-normands furent indignés, et se préparèrent à la révolte (4). Le puissant comte de Kent, Odon, l'évêque de Bayeux, qui venait de sortir des prisons du Conquérant, son frère utérin, Odon se mit à la tête de leur résistance, qu'il s'efforça d'organiser. « D'ailleurs, dit l'historien

(1) Willelm. de Malmesb., liv. III, § 306. (2) Eadmer, Chronica Novorum.

(3) Voir l'Histoire d'Angleterre de Lingard, t. I. (4) Robert du Mont, Henri de Huntingdon, etc.

Lingard, il n'eut pas besoin de grande éloquence pour persuader à ceux qui avaient des possessions en Angleterre et en Normandie qu'il était de leur intérêt de tenir leurs terres d'un seul et même suzerain, et qu'à choisir entre les deux frères, il n'était pas douteux que l'humeur facile et généreuse de Robert ne méritât la préférence sur le caractère soupçonneux, et sur les manières arrogantes de Guillaume le Roux. »>

De son côté, Robert Courte-Heuse indigné de l'usurpation de son frère, se préparait avec une énergie qu'Orderic nie en vain, à aller revendiquer la couronne d'Angleterre. Il lui fallait d'abord se procurer de l'argent, puisque ses deux frères s'étaient emparés de toutes les ressources amassées par son père. Il entra donc en arrangement avec Henri Beauclerc, et lui emprunta trois mille livres d'argent, en lui abandonnant pour sûreté de cette somme le comté d'Avranches et le Cotentin (1). Puis, malgré la pénurie de ses finances, qu'Orderic attribue avec malveillance à ses prodigalités, il dut préparer une entreprise pareille à celle de son père

(1) Roman de Rou, v. 14508 à 14520.- Guill. de Jumiéges. Orderic, toujours avide d'une occasion d'accuser Robert Courte-Heuse, l'accuse de dissipation à propos de cet emprunt. - Aussi a-t-il soin de passer sous silence les grands préparatifs qui nécessitèrent cet emprunt. Puis, il présente comme une aliénation ce qui ne fut qu'un prêt sur gage, et il va jusqu'à dire que Robert vendit ainsi le tiers de sa province, tandis que l'Avranchin et le Cotentin font au plus le cinquième de la Normandie. Guillaume de Malmesbury, au contraire, accuse Robert Courte-Heuse d'avoir enlevé l'argent de son frère sans dédommagement, liv. V, § 392.

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