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L'année suivante, il passa en Normandie, ainsi que le prouvent les chartes de Ste-Trinité et de StÉtienne de Caen; en 1083, il figure encore avec le titre de comte au bas d'une charte relative à ces deux abbayes; il la signa le premier après son père, qui depuis longtemps avait changé les titres de duc ou de comte de Normandie et du Maine, contre celui plus vague de Princeps Normannorum et Cenomannorum qui n'indiquait plus peut-être qu'un simple droit de suzeraineté (1).

Bien qu'Orderic Vital attribue une durée de cinq années au dernier exil du jeune prince, on voit qu'il est néanmoins impossible de faire remonter son dernier départ avant cette année 1083.

Quelle fut la cause de la querelle nouvelle qui sépara pour toujours Guillaume le Conquérant de son fils? Le roi se prenait, paraît-il, souvent à regretter les concessions qu'il avait dû faire à Robert, se laissait aller à de violents reproches contre lui, et même en public ne lui épargnait pas les plus dures insultes (2); le rôle de ses frères, envieux et avides, tel que l'a laissé entrevoir Orderic lui-même (3), n'était pas fait pour adoucir la difficile position du malheureux prince.

(1) Gallia Christ., t. XI, Instr. col. 75. Et une autre charte de janvier 1083, en faveur du prieuré de St-Hilaire-du-Harcouet, rapportée par l'abbé Desroches, dans ses Annales religieuses de l'Avranchin.

(2) « Animosus vero princeps ob ignaviam ejus crebris cum redargutionibus et conviciis palam injuriatus est. » Ord. Vital, t. II, p. 390.

(3) T. II, p. 295.

Enfin il partit, et avec un petit nombre d'amis (1) se retira chez les parents de sa mère, qui, elle du moins, conserva toujours pour son premier né une affection tendre et dévouée.

Presque en même temps, Guillaume faisait arrêter son frère utérin, Odon, comte de Kent et évêque de Bayeux, jusque-là son premier conseil et son premier ministre. Lanfranc, longtemps l'émule d'Odon dans la faveur du roi, l'y remplaçait définitivement après avoir fait jeter son rival (2) dans une prison qui ne finit qu'avec la vie de leur maître. La cause de cette révolution semble jusqu'ici assez peu connue, malgré, ou peut-être à cause des explications obscures ou bizarres qu'en fournissent Orderic et quelques autres historiens attachés de trop près à la cour des rois anglais.

Peu de temps avant le départ de Robert CourteHeuse, son frère Richard, le seul qui semble ne l'avoir point poursuivi de son envie, venait de trouver une mort misérable dans la célèbre Forêt-Neuve, désert fait de main d'homme autour de l'habitation du Conquérant, en Angleterre, et où la moitié de ses fils et un de ses petits-fils devaient arroser des dernières gouttes de leur sang l'espace envahi par leur père sur les églises, les habitations et les champs cultivés de la nation vaincue.

perdant son

Dans son amère douleur, le roi deuxième fils, maudit encore une fois son aîné fugitif, et, dit Orderic Vital, le voua d'avance à

(1) Ord. Vital, t. II, p. 290.

(2) Willelm. Malmesb., 1. III, § 306.

ennemis. Cependant, comme il ne peut vivre éternellement, il ne défend ses États avec tant de constance que pour les laisser à son héritier. Je vous exhorte donc à ne pas écouter les conseils des hommes pervers, à éviter tout ce qui peut offenser votre père et attrister votre mère, et à vous conformer en tout à la volonté du roi (1). » Mais l'effet de ces paternels conseils fut sans doute prévenu par les événements.

Robert revint-il immédiatement en France après le refus de Mathilde de Toscane, ou demanda-t-il la main d'une autre princesse? Un passage de Mathieu Paris (2) le pourrait faire croire. Quoi qu'il en soit, la naissance de plusieurs enfants, dont on retrouve les noms dans l'histoire, semble se rapporter à cette époque.

Suivant Orderic Vital, il aurait eu alors une assez longue liaison avec une jeune et belle fille enlevée à un vieux prêtre des environs de Gerberoy (3). Il en

(1) Gregor. VII, Epistolæ, liv. VII, no 27.

(2) « Robertus adhuc patre vivente, Normanniam moleste ferens negari, in Italiam rediit ira succensus, ut filia Bonifacii marchionis in uxorem ducta, patri affinibus ductis bellum moveret. » Historia Major.

(3) Decoram pellicem cujusdam senis presbyteri in confinio Franciæ adamavit. » Ord. Vital, t. IV, p. 82. Orderic apprend qu'à la suite de l'invasion des pirates du Nord, la discipline de l'Église de Normandie n'avait pas subi de moindres désordres que la province elle-même. Les conquérants voulurent entrer dans l'ordre du clergé, et ces pirates, à peine acclimatés sur le continent, firent d'étranges néophytes. Le saint pape Léon, au concile de Reims, en 1049, dut défendre aux clercs de porter les armes ni de se marier. Ces défenses furent réité

eut plusieurs enfants, dont une fille, mariée plus tard à Hélie de Saint-Saëns (1), et deux fils, Richard et Guillaume, qui ne survécurent pas à leur père (2). Longtemps après que les rapports de Robert avec la mère de ces enfants eurent cessé, cette femme vint le trouver et les lui présenta en lui demandant de les reconnaître. Bien que Robert ne niât pas ses anciennes relations avec elle, il hésitait à proclamer sienne cette postérité qui avait été élevée loin de ses yeux. Leur mère eut alors recours à un moyen de preuve fort en usage dans la procédure de cette époque. Pour démontrer la vérité de ses affirmations, elle subit victorieusement l'épreuve du fer rouge, et l'origine princière de ses enfants fut regardée comme établie d'une manière incontestable (3).

Cependant, après son rapide voyage au-delà des Alpes, le duc Robert était revenu en France. L'état

rées bien des fois, notamment au concile de Rouen, en 1072, et confirmées par les lois de Guillaume le Conquérant, données à l'assemblée de Lillebonne, en 1080 (Voir Orderic, t. II, p. 171240-317 et 397). — Mais l'exécution de ces règles disciplinaires ne fut, on le conçoit, ni l'affaire d'un jour, ni une œuvre facile et immédiate.

(1) Orderic, t. III, p. 320.

(2) Orderic, IV, p. 82. Richard, comme son oncle fils de Guillaume, mourut misérablement d'un accident de chasse, dans la Forêt-Neuve, fatale au sang du Conquérant. Son frère Guillaume, fils de Robert Courte-Heuse, partit pour Jérusalem après la bataille de Tinchebray, et y trouva une mort rapide.

(3) Orderic, t. IV, p. 82. Il est à remarquer que Guillaume de Malmesbury, en parlant de Richard, fils de notre duc Robert, l'appelle le neveu de Guillaume le Roux, mort comme lui, et la même année, dans la Forêt-Neuve, et ne fait aucune allusion à la tache de sa naissance (Guill. Malm., liv. III, § 275).

égaré par les conseils de jeunes gens dépravés, et cela a causé à beaucoup de gens des malheurs terribles. Robert se repent de son erreur, mais il n'ose se présenter devant vous sans votre permission. Il fait appel à votre clémence, vous prie d'avoir pitié de lui, et sachant notre fidélité envers vous, c'est à nous qu'il s'est adressé pour implorer de vous son pardon. Il est bien coupable, et il a commis de grandes fautes, mais il se repent et promet de se corriger. Nous tous supplions donc votre Clémence, et vous demandons de ne pas vous montrer inexorable, mais indulgent pour un fils qui vous prie. Corrigez un enfant égaré, recevez-le à son retour, et pardonnez avec bonté à son repentir. >> Puis, ajoute Orderic, les seigneurs supplièrent le roi pour leurs propres enfants, leurs frères et leurs parents, qui s'étaient exilés avec Robert.

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Guillaume leur répondit : « Je m'étonne que vous intercédiez si ardemment pour un homme qui s'est rendu coupable d'un crime inouï dans mes États, qui a soulevé contre moi la révolte au milieu des miens, qui m'a enlevé mes soldats, des hommes formés par moi, et par moi armés chevaliers; et qui m'a valu l'hostilité de Hugues de Châteauneuf, et de plusieurs autres seigneurs étrangers. Quel est parmi mes ancêtres, depuis le temps de Rollon, celui qui a eu à subir de telles révoltes venant de son propre sang? Songez à Guillaume, le fils du grand Rollon; aux trois ducs Richard, à mon seigneur et père le duc Robert, et voyez comme chacun d'eux a fidèlement été servi par ses enfants jusqu'à sa mort. Robert, lui, a voulu m'enlever la Nor

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