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vêque, donné à ce personnage, serait trop extraordinaire (1).

Quoi qu'il en soit, Robert quitta la Normandie et fut suivi ou rejoint par Robert de Bellême, Guillaume de Bellême, Guillaume de Breteuil, Roger de Bienfaite, Robert de Montbray, Guillaume de Moulins, Guillaume de Rupière, et bon nombre des plus nobles seigneurs, et des plus vaillants chevaliers de la province (2).

Orderic ajoute qu'à la tête de cette brillante et vaine escorte, Robert égaré par les conseils de ses compagnons, qu'à son tour il entretenait de folles promesses, Robert aurait pendant cinq ans parcouru les cours de Flandre, d'Allemagne, d'Aquitaine et de Gascogne. Il n'y a à cela qu'une observation à faire, c'est que le départ du jeune prince est postérieur au traité de Blanchelande, puisqu'il y figura en personne, et que le siége de Gerberoy, qui mit fin à ce premier exil de Robert, est certainement, ainsi que nous le verrons, de janvier 1079. Orderic Vital est donc évidemment inexact et malveillant.

Après avoir rejoint ceux de ses compagnons qui s'étaient retirés près de Hugues de Châteauneuf, le jeune prince se rendit à la cour de France, où il fut très-honorablement accueilli par le roi Phi

(1) Guillaume Bonne-Ame ne fut en effet promu au siége de Rouen qu'en 1079.

(2) Aliique plures generositate pollentes, militari probitate insignes, superbia immanes, feritate contrariis hostibus terribiles, ac ad arduum nefas inchoandum nimis procaces » (Ord. Vital, t. II, p. 381).

lippe Ier, qui était son oncle à la mode de Bretagne (1), et il en obtint pour ses compagnons la permission de s'établir dans le château de Gerberoy en Beauvoisis (2).

Pour lui, il passa en Italie. Béatrix, veuve de Boniface II, marquis de Toscane, venait de mourir, laissant ce riche pays à la célèbre Mathilde, la dernière de ses enfants. Mathilde, âgée déjà de trente-deux ans, était veuve de son premier mari, Godefroy le Bossu, duc de la Basse-Lorraine (3) et avait secrètement donné tous ses biens à St-Pierre. Robert Courte-Heuse demanda vainement sa main (4).

De son côté, Guillaume le Conquérant avait sans doute aussi cherché en Italie un appui moral contre son fils, car vers cette époque Grégoire VII, instruit des tristes querelles survenues entre eux, écrivit au jeune prince une lettre où, après lui avoir rappelé les exploits et la gloire de son père, il ajoutait : «< Ne perdez jamais de vue que tout ce que votre père possède, c'est par sa bravoure qu'il l'a arraché à ses

(1) Orderic Vital, t. II, p. 386.

(2) Roger de Hoveden, Mathieu Paris, Willelmus Malmesburiensis, liv. III, § 274; Thomas Rudborne, Histoire Major Wintoniensis.

(3) La célèbre bienfaitrice de la papauté au XIe siècle, la com ̄ tesse Mathilde, fille de Boniface II, marquis de Toscane, mort en 1052, et de Béatrix de Lorraine, née en 1046, épousa, en 1063, Godefroy le Bossu, fils de Godefroy le Barbu, duc de BasseLorraine, que sa mère avait épousé en secondes noces. Devenue veuve en 1076, et héritière de la Toscane, elle refusa l'alliance de Robert Courte-Heuse, et ne se remaria qu'en 1089 avec Welff II. Voir l'Art de vérifier les dales.

(4) Lambert, abbé d'Usperg. Baronius.

ennemis. Cependant, comme il ne peut vivre éternellement, il ne défend ses États avec tant de constance que pour les laisser à son héritier. Je vous exhorte donc à ne pas écouter les conseils des hommes pervers, à éviter tout ce qui peut offenser votre père et attrister votre mère, et à vous conformer en tout à la volonté du roi (1). >> Mais l'effet de ces paternels conseils fut sans doute prévenu par les événements.

Robert revint-il immédiatement en France après le refus de Mathilde de Toscane, ou demanda-t-il la main d'une autre princesse? Un passage de Mathieu Paris (2) le pourrait faire croire. Quoi qu'il en soit, la naissance de plusieurs enfants, dont on retrouve les noms dans l'histoire, semble se rapporter à cette époque.

Suivant Orderic Vital, il aurait eu alors une assez longue liaison avec une jeune et belle fille enlevée à un vieux prêtre des environs de Gerberoy (3). Il en

(1) Gregor. VII, Epistolæ, liv. VII, no 27.

(2) « Robertus adhuc patre vivente, Normanniam moleste ferens negari, in Italiam rediit ira succensus, ut filia Bonifacii marchionis in uxorem ducta, patri affinibus ductis bellum moveret. » Historia Major.

(3) « Decoram pellicem cujusdam senis presbyteri in confinio Franciæ adamavit. » Ord. Vital, t. IV, p. 82. Orderic apprend qu'à la suite de l'invasion des pirates du Nord, la discipline de l'Église de Normandie n'avait pas subi de moindres désordres que la province elle-même. Les conquérants voulurent entrer dans l'ordre du clergé, et ces pirates, à peine acclimatės sur le continent, firent d'étranges néophytes. Le saint pape Léon, au concile de Reims, en 1049, dut défendre aux clercs de porter les armes ni de se marier. Ces défenses furent réité

eut plusieurs enfants, dont une fille, mariée plus tard à Hélie de Saint-Saëns (1), et deux fils, Richard et Guillaume, qui ne survécurent pas à leur père (2). Longtemps après que les rapports de Robert avec la mère de ces enfants eurent cessé, cette femme vint le trouver et les lui présenta en lui demandant de les reconnaître. Bien que Robert ne niât pas ses anciennes relations avec elle, il hésitait à proclamer sienne cette postérité qui avait été élevée loin de ses yeux. Leur mère eut alors recours à un moyen de preuve fort en usage dans la procédure de cette époque. Pour démontrer la vérité de ses affirmations, elle subit victorieusement l'épreuve du fer rouge, et l'origine princière de ses enfants fut regardée comme établie d'une manière incontestable (3).

Cependant, après son rapide voyage au-delà des Alpes, le duc Robert était revenu en France. L'état

rées bien des fois, notamment au concile de Rouen, en 1072, et confirmées par les lois de Guillaume le Conquérant, données à l'assemblée de Lillebonne, en 1080 (Voir Orderic, t. II, p. 171240-317 et 397). - Mais l'exécution de ces règles disciplinaires ne fut, on le conçoit, ni l'affaire d'un jour, ni une œuvre facile et immédiate.

(1) Orderic, t. III, p. 320.

(2) Orderic, t. IV, p. 82. Richard, comme son oncle fils de Guillaume, mourut misérablement d'un accident de chasse, dans la Forêt-Neuve, fatale au sang du Conquérant. Son frère Guillaume, fils de Robert Courte-Heuse, partit pour Jérusalem après la bataille de Tinchebray, et y trouva une mort rapide.

(3) Orderic, t. IV, p. 82. Il est à remarquer que Guillaume de Malmesbury, en parlant de Richard, fils de notre duc Robert, l'appelle le neveu de Guillaume le Roux, mort comme lui, la même année, dans la Forêt-Neuve, et ne fait aucune allusion à la tache de sa naissance (Guill. Malm., liv. III, § 275).

et

de ses affaires y avait subi un changement considérable. Philippe Ier, qui l'avait d'abord accueilli avec faveur et avait commencé à le soutenir contre son père, était revenu à l'alliance de Guillaume le Conquérant.

Vers la fin de l'année, les deux rois avaient même réuni leurs forces pour venir mettre le siége devant Gerberoy, où nous avons vu que les partisans de Robert avaient trouvé un refuge (1). D'un autre côté, beaucoup de seigneurs normands, et même de barons français (2) s'étaient prononcés en faveur du jeune prince, et avaient donné à son parti une force considérable qu'Orderic dissimule en vain, et que les faits démontrent assez.

En effet, non-seulement, malgré les efforts des deux rois, Gerberoy ne put être pris, mais encore, dans une sortie que firent les assiégés, les assiégeants furent mis en complète déroute. Guillaume le Roux, le second fils du Conquérant, fut blessé au bras, et, dans la mêlée, le terrible roi d'Angleterre,

(1) Dans une charte en faveur de l'abbaye de St-Quentin, on lit les souscriptions suivantes, qui établissent d'une manière formelle le fait de la ligue des deux rois, et la date du siége. « Ego Philippus Francorum rex propria manu subscripsi. Ego Willelmus Anglorum rex propria manu subscripsi. Actum publice in obsidione regum prædictorum videlicet: Philippi regis Francorum, et Willelmi Anglorum regis, circa Gerboredum. Anno incarnati Verbi M° LXX° VIII•. » Il résulte clairement du rapprochement de cette date avec la circonstance fournie par Orderic, que le siége commença en hiver, après Noël, et qu'il eut réellement lieu au mois de janvier 1079 (Note de A. Le Provost, t. II, p. 387 de son Orderic).

(2) Orderic Vital, t. II, p. 386.

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