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qu'il y avait dans l'armée des Normands plusieurs états (1), mais elles nous donnent rarement des renseignements exacts à ce sujet. Les annales irlandaises mentionnent des rois et des jarls (earls), et la chronique anglo-saxonne nomme trois catégories de chefs dans l'armée, savoir les rois, les jarls et les holds. Les limites des deux premières classes semblent indécises, de manière que la même personne est tantôt appelée jarl, tantôt roi. Les rois et les jarls sont mentionnés comme les chefs de l'armée; le hold (paysan propriétaire) est cité (905, 911) comme nom de plusieurs guerriers décédés; ils étaient sans doute les plus estimés parmi ceux-ci. Cependant des personnes sans titre sont aussi mentionnées parmi les morts. Quoi qu'il en soit, la chronique ne donne que ces trois dénominations, et, dans la classe au-dessous, se trouvent donc certainement les guerriers ordinaires et enfin les paysans ordinaires et les serfs.

Un complément de ces renseignements se trouve dans l'histoire de l'époque fabuleuse chez Saxo le grammairien. Cette époque s'étend cependant sur un très-long espace de temps; il pouvait donc sembler douteux que l'on pût tirer parti de son livre, surtout parce que les dénominations de rang sont très-variables. Cependant, comme je vais prouver par les recherches du chapitre suivant que les lois du roi Frode datent d'environ 900, et qu'elles ont été faites pour l'armée des Vikings à l'étranger, nous ne nous tromperons pas en nous appuyant sur cette collection de lois.

(1) Pertz, Scriptores, I, 518. Three fragments, 123.

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Selon le § 1 de ces lois, au partage du butin, l'or appartient aux chefs (duces), devant lesquels les drapeaux sont portés dans la bataille; l'argent aux gregarii milites »; les armes aux « pugiles »; les vaisseaux aux « populares. » La base de la distribution est ainsi la sorte du butin; au partage, tous les guerriers reçoivent des parts égales des objets du même genre, le porte-étendard (primipilus) seul reçoit une part plus grande que les autres.

Les «duces » sont donc les commandants en chef, et Saxo y comprend tous les chefs, soit les rois de mer, soit les jarls ou les «lendermænd » (administrateur des biens royaux), quand ils sont désignés comme des chefs devant lesquels on portait les drapeaux. Selon une autre règle du roi Frode, les funérailles les plus glorieuses, celles d'être brûlé dans son propre navire sur les flots, étaient dues au personnage désigné par les mots dux aut rex »>: aux chefs, soit qu'ils eussent le titre de roi ou de jarl. Nous savons d'ailleurs que c'était une ancienne coutume que les guerriers descendants des princes qui commandaient une flotte portaient le titre de rois, quoiqu'ils n'eussent pas de royaume (1). Quand les enseignes sont portées devant eux, ils sont désignés comme chefs de l'armée; car, comme le dit l'Edda de Snorro, lorsque le roi ou le jarl est absent, l'étendard est porté devant le « herse» ou le «<lendermand, et alors ceux-ci deviennent chefs aussi bien que les rois ou les jarls (2).

(1) Saga d'Olaf Tryggvason, ch. LVIII. le Saint, ch. IV.

(2) Edda de Snorre, I, 456.

Snorre, Saga d'Olaf

Au-dessous des rois ou des jarls se trouvent, dans le rang des commandants, le satrapa ou le centurion, qui avait droit aux funérailles de seconde classe, c'est-à-dire qu'il devait être brûlé dans son navire, mais pas à la mer. Satrapa signifie chez Saxo celui qui est chargé d'administrer une province, gouverneur, duc ou jarl.

Par centurio, Saxo comprend le chef d'une division de l'armée. Les funérailles des gubernatores ou des << styrismænd » (pilotes) étaient les mêmes que celles des centuriones, excepté que dix styrismænd sont brûlés sur le même navire.

Le Primipilus est chez Saxo le porte- étendard (merkismand), celui qui porte le fanion de la compagnie. Comme officier, il avait droit à une plus grande part de butin que les soldats (cæterus miles). Dans l'ordre de bataille il était à la tête, et le soldat qui le devançait dans le combat était récompensé (voir le chapitre suivant). La position du porte-enseigne était toujours donnée à un guerrier distingué.

Les simples soldats étaient de deux sortes, les champions (pugiles), hommes libres qui s'étaient appliqués spécialement à l'art militaire (1), et les paysans (agrestes). Au-dessous des uns et des autres se trouvaient les serfs, à qui on confiait les ouvrages les plus simples.

La différence entre les champions et les paysans se montre d'abord en ce que les armes prises en butin étaient données aux champions seuls, pas aux

(1) Cf. Eyrbyggjasaga, ch. XXIX: les Vikings de Jomsbourg furent appelés « champions » (var thar kappi kalladr).

paysans qui n'en avaient pas besoin ; leur métier était d'équiper les navires et de les faire avancer à l'aide des rames et des voiles; c'est pourquoi les navires du butin étaient donnés aux paysans. La différence de ces deux classes est marquée aussi par les règles sur l'avancement. Le serf qui se distinguait dans la guerre était libre; le paysan devenait homme noble (illustris), et l'homme illustre ou le champion devenait satrapa.

Il faut se rappeler que selon Saxo il n'y avait que trois états en Danemark, les serfs, le paysan ou l'homme simple (popularis agrestis) et enfin les nobles (nobiles, ingenui, optimates, illustres).

Les nobles se trouvent dans l'armée comme champions, porte-enseignes et chefs. On comptait dans chaque navire beaucoup de champions commandés par le pilote, et les différents vaisseaux s'alliaient sous le centurio ou le satrapa (1). Ce n'est que parmi ces personnes que nous trouvons les commandants en chef; centurio et satrapa sont donc conformes à la désignation « Jarl » dans l'AngloSaxon chronicle (2).

(1) Voir, du reste, mes études sur les classes du peuple dans Indledning, p. 282-287.

(2) Nous trouvons chez Saxo encore une autre règle du temps du roi Frode, qui nous donne peut-être des renseignements sur les différentes manières de s'attacher à ces chefs.

Le roi Frode donne la règle suivante sur la solde que devaient donner aux troupes les rois qui étaient sous son pouvoir : « Patrius domesticusque miles » recevraient pendant l'hiver 3 livres d'argent, « gregarius aut conductitius » 2 livres et « privatus ac militiæ laboribus defunctus » 1 livre. Puisque

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Comme nous l'avons vu, les annales de l'étranger attribuent le plus souvent le commandement supérieur de l'armée à plusieurs chefs. Ainsi, en 871, l'armée danoise, en Angleterre, était formée de deux divisions l'une commandée par les deux rois Bagsæc et Halfdene, et l'autre par plusieurs jarls; dans la bataille, le roi Bagsæc tomba et aussi les jarls Sidroc, Asbjörn, Fræne et Harald. En 875, trois rois sont nommés comme des chefs: Gudrum, Oskytel et Anwind, et aussi dans les autres pays, nous voyons le commandement des Vikings partagé entre plusieurs chefs. Zain et Jargna étaient, par exemple, chefs de la flotte des Lochlanns, en Irlande, et l'annale irlandaise appelle Zain « roi de demipouvoir des Lochlanns (1). » Le rapport du chef à l'armée est bien éclairci par les mots de la convention d'Ethelred avec les Danois : « tels sont les accords et la convention que le roi Ethelred et tous ses Witans ont faits avec l'armée chez laquelle se trouvaient Anlaf, Justin et Gudmund, fils de Stegitan (2). » Ce

la règle regarde expressément le temps d'hiver, il est trèsvraisemblable que nous avons là une règle pour le paiement des soldats quand ils prenaient leur quartier d'hiver. Alors les rois donnaient aux guerriers, qui étaient indépendants et qui se retiraient complètement du service personnel, i livre; à ceux qui lui servaient tous les jours, 3 livres, et 2 livres à ceux qui restaient sous les armes comme des guerriers, mais sans rendre service tous les jours. Cf. l'expression de Hincmar, 861 (Pertz, I, 455) : « Quos imminens hiems ingredi mare prohibuit unde se per singulos portus ab ipso loco Parisius usque secundum suas sodalitates dividunt. »

(1) Three fragments, 123.

(2) Schmid, Gesetze der Angelsachsen, p. 204.

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