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Et de Rollon :

(v. 757) Et il meismes senz délai

Saut tut armez el cheval bai...

(v. 1871) Joius fu Rou del mandement;
De ces compaignons a pris cent,
Gent aturnez sun lor usage

Od le conduit de lur message.
Chevalcherent dreit vers le rei

Qui contre eus vint od gent conrei...
(v. 2417) (Rou) hurte de sei et de cheval
És major presses livre estal...

(v. 3856) E Rou tint nu le brant d'acer
Enteint de sanc glacié de cors,

Sur un cheval sist qui fu sors.

Dudon suppose que Rollon a toujours été capable de monter à cheval; il rapporte que dans sa vieillesse Rollon était si épuisé qu'il ne pouvait plus monter à cheval (1). Il serait complètement absurde de supposer que le surnom norwégien date de cette époque de sa vie (2).

V. Les Sagas et les sources françaises nous donnent

(1) Dudon, 174 (86): « Postea, uno lustro vivens, ætatis suæ defectu, effetoque viribus corpore, equitare non valens regnumque pacificatum solidum et quietum tenens..... plenus dierum migravit ad Christum. »

(2) Il serait également absurde de penser à la différence de force des chevaux norwégiens et français. Les Sagas nous racontent très-souvent que des Vikings hauts et lourds sont à cheval; les chevaux de Sigurd, duc d'Orcades, portaient même deux guerriers revêtus de leur armure. Munch, Norske Folks Historie, I, 507.

les noms de quelques parents de Rolf et de Rollon. Examinons si ces parents sont identiques.

Plusieurs Sagas racontent que Gangerrolf avait, en Écosse, une fille, Kadlin, qui épousa le roi d'Irlande, Bjolan (1). Ce prince est sans doute Beollan Littill, tué à Limerick en 969 (2); au moins, son surnom scandinave (Le Petit) rend cette supposition vraisemblable, et les annales d'Irlande du Xe siècle ne parlent pas d'un autre Beollan. — La tradition normande ne parle pas d'une enfant de Rollon née avant son arrivée en France; et elle ne connaît pas de parenté entre les princes normands et les dynasties irlandaises. D'autre part, la tradition du Sud sait que Rollon avait un frère Gurim, mort avant sa fuite de la patrie, sur quoi les Sagas gardent le silence. Guillaume de Jumiéges connaît un certain Hulc, oncle de Rollon, qui prend part à la conquête de la Normandie, où sa famille fut encore longtemps florissante. Les Sagas ne connaissent pas cet oncle de Rollon; ils ne nomment que le frère de Ragnvald, Sigurd, qni gouverne les Orcades.

Une chronique nous dit même le nom du père de Rollon, Ketil (3), mais cette source n'est pas solide, et je ne veux pas m'en prévaloir. Il est cependant assez singulier que parmi toutes ces sources solides ou non solides qui parlent de Rollon, nous n'en

(1) Olafs saga Tryggvasonar dans Flateyjarbok, I, 308. Laxdælasaga, ch. XXXII. Landnamabok, II, ch. XI.

(2) The war of the gaedhil. 85 (969). Chronicon Scotorum et Four Masters. 967.

(3) Richer, I, 27 ¡Catillus'). Pertz, Scriptores, III, 578.

trouvons pas une seule qui reproduise la tradition norwégienne (1).

VI. Nous pouvons prouver que la tradition norwégienne se lie d'une manière si intime à quelques noms que la façon dont cette tradition s'est produite est évidente au premier abord. On pourrait même dire comment elle devait naître.

Ainsi que nous l'avons dit, la tradition du Nord est extrêmement simple et pauvre; les Sagas nous apprennent seulement que « Gangerrolf passa la mer vers l'Ouest et vint à Sudero; puis il alla à Vallande qu'il pilla et où il fonda un grand duché, qu'il peupla de « Nordmænd » (Di. Norwégiens), c'est pourquoi le pays prit plus tard le nom de Normandie. » Presque tous les Sagas renferment cette dernière phrase; on y trouve le mot de l'énigme.

J'ai déjà dit plus haut que le changement des dénominations que les pays et les peuples ont subi dans la suite des temps a été très-nuisible à la science historique. La tradition populaire s'occupe beaucoup de l'étymologie; une ressemblance de nom lui suffit pour en faire une combinaison historique. Au moyenâge combien de fois n'a-t-on pas confondu Dani avec

(1) Lib. VII, ch. III: « Rogerius Toenites de stirpe mala Hulcii, qui Rollonis Ducis patruus fuerat, et cum eo Francos atterens Normanniam fortiter adquisierat, vir potens et superbus ac totius Normanniæ signifer erat. » L'édition de Duchesne dit : « De stirpe Malahulcii »; mais c'est corrigé dans l'édition de Bouquet, Historiens de la France, XI, 38: « Male in edito, Malahulcii; in Chronicis enim S. Dionysii legitur : de mauvaise racine.

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Danai? Ou Sueones avec Svevi? Ou Roxolani avec les Russes, etc? Dans la tradition qui prétend que les habitants de la Suisse et surtout de la vallée de Hasli descendaient des Suédois, il semble qu'on ait confondu la Suisse (Suedia et Suecia) avec la Suède (Svecia), et également Gothi avec les Gothi (1). Pendant l'époque normande les peuples du Sud ne connaissaient guère les pays du Nord et ne savaient pas faire de distinction entre les différentes races; «Normanni » était la dénomination des peuples du Nord et surtout du peuple Danois. Après les conquêtes normandes les connaissances géographiques et historiques sur les pays s'accrurent, et aux X et XIe siècles, les peuples du Sud avaient découvert que les noms des trois nations du Nord étaient « Dani, Northmanni et Sueones.» Or, le nom de « Northmanni » était passé aux habitants danois de la Normandie.

Il y avait donc deux nations portant le nom << Northmanni », les Norwégiens et les habitants de la Normandie, et ceux-ci, comme on le savait, étaient descendants d'un peuple du Nord. On peut soutenir, je crois, que de ces faits, cette tradition dut naître : que des Norwégiens, ainsi qu'un chef norwégien, avaient fondé le duché de Normandie (2). J'ai déjà cité (chapitre II) des auteurs de cette époque qui

(1) Voir l'essai de M. Schiern sur la tradition de Palnatoke et de Guillaume Tell, Historisk Tidsskrift, I, 91.

(2) Le récit de Mathieu de Westminster (Flores Historiarum, Francofurti, p. 179 et suiv.) est par exemple très-caractéristique Rollon est natione Danus « et venu de Dania sive Dane marchia » ; mais quant au nouveau nom de la Neustrie Normannia, il a ab ipsis Norensibus dicitur. »

disent que les Normands venaient de Norwége. Voici quelques exemples de la façon dont on a fait de Rollon un Norwégien. Gaufred Malaterra parle (vers 1100) de « Rholo dux fortissimus pirata a Dacia vel Norweja (1). » Guillaume de Malmesbury (vers 1141) sait que Rollon était «< nobili sed per vetustatem obsoleta prosapia Noricorum ortus, Regis præcepto patria carens » (2); nous retrouvons peut-être (3) ici la tradition norwégienne qui s'est égarée en Angleterre. Chronicon Alberici suit la fable adoptée par de Guillaume (4).

Les Norwégiens avaient entendu dire qu'une province de Vallande, nommée la Normandie, avait été conquise par un héros du Nord; il est évident qu'il devait être Normand, Norwégien; il fallait seulement trouver dans l'histoire un Rolf qui, à ce moment, eut fait des expéditions à l'étranger. On choisit Gangerrolf, on s'en empara et la tradition fut com

(1) Liber I, ch. 1. Muratori, Scriptores, V, 549.

(2) Gesta Regum Anglorum, liber II, § 127 (éd. Hardy, I, 199): « Primo Hasteng, mox Rollo, qui nobili sed per vetustatem obsoleta prosapia Noricorum ortus, regis præcepto patria carens, multos quos vel æs alienum vel conscientia scelerum exagitabat magnis spebus solicitatos secum abduxit. Itaque piraticam aggressus, cum ubique libera spatiaretur insania, apud Carnotum hæsit, etc. »

(3) Cependant, il n'est pas nécessaire que Guillaume, par son patria carens », pense au châtiment de Rollon pour son pillage des côtes norwégiennes; car, suivant la tradition normande, tous les Vikings étaient expulsés de leur patrie par l'ordonnance du roi. Voir mon Indledning, ch. Ix et X, sur les causes des expéditions normandes.

(4) Bouquet, Historiens, IX, 62.

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