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jeune comte du Maine son fils. Geoffroy de Mayenne voulut prolonger la résistance. Le duc de Normandie alla le relancer jusque dans son château d'Ambrières, et à Mayenne qu'il incendia. Geoffroy se soumit (1).

Le comte d'Anjou, qui était alors Geoffroy le Barbu, consentit à venir jusqu'à Alençon, où il confirma les fiançailles du jeune Robert de Normandie avec l'héritière du Maine, et il reçut solennellement l'hommage des deux enfants pour ce comté (2). La prise de possession féodale était complète.

Mais la pauvre jeune comtesse survécut bien peu de temps à cette cérémonie. Ses pieux désirs, qui lui faisaient désirer le cloître, furent prévenus par la mort. Peu de temps après elle fut ensevelie en grande pompe dans l'abbaye de Fécamp. Cependant le duc Guillaume avait laissé dans le Maine des garnisons qui maintinrent la soumission du pays; aussi en 1064, au bas de la charte de fondation de la collégiale de Cherbourg, à côté de la signature de Robert de Normandie, alors âgé d'une dizaine d'années, on lit: S. (ignum) Roberti Comitis Cenomannorum (3). Son père voulait alors que les droits de son fils sur le Maine s'affirmassent formellement.

Pendant les trois années qui suivirent, le jeune Robert ne paraît plus dans les pages de nos historiens, tout entiers aux préparatifs de la conquête de l'Angleterre.

(1) Ord. Vital, t. II, p. 103, et Guillaume de Poitiers.

(2) Ord. Vital, t. II, p. 104 et 253.

(3) A. Le Prévost, note sur Ord. Vital, t. V, p. 18,

Il n'avait encore que treize ans environ lorsque son père partit pour cette audacieuse entreprise. Avant de s'embarquer le duc fit renouveler par tous ses barons le serment de fidélité à son fils, qu'il laissa sous la tutelle de sa mère veillant au gouvernement de la Normandie pendant son absence (1).

Robert était un enfant de petite taille, mais vigoureux, actif, déployant déjà beaucoup d'aptitudes à toutes les choses de la guerre, et un vieil historien nous montre son père s'écriant avec une paternelle complaisance : « Par la Résurrection! ce sera un brave, que mon petit Robert Courte-Botte» (2). C'est ainsi sans doute que le jeune prince reçut le surnom de Courte-Botte ou Courte-Heuse, que sa taille peu élevée lui conserva toute sa vie.

En s'embarquant pour aller conquérir une couronne royale, Guillaume le Bâtard avait laissé le Maine sous la garde d'un sénéchal, nommé Onfroy, de Turgis de Tracy et de Guillaume de la Ferté. Mais quand les Manceaux virent le duc de Normandie engagé dans son audacieuse expédition, excités d'ailleurs par le nouveau comte d'Anjou, Foulques le Réchin ou le Querelleur (3), ils essayèrent de recouvrer leur indépendance.

(1) Ord. Vital, liv. IV, t. II, p. 177.

(2) Fortitudinis probatæ, quanquam exilis corpore et pinguis... • Per resurrectionem Dei! probus erit Robellinus Curta-Ocrea: » (Willem. Malmesburiensis, liv. IV, § 389.)

(3) Foulques venait de remplacer en Anjou son frère Geoffroy le Barbu, qu'il jeta en prison, où il le retint près de trente

ans.

Une vaste conspiration fut organisée. Des députés furent envoyés jusqu'en Italie auprès d'Azon d'Est, qui avait épousé Gersende, fille d'Herbert II, comte du Maine (1), et à un jour convenu la révolte éclata. Les seigneurs prirent les armes sous les ordres de Geoffroy de Mayenne, les habitants du Mans se constituèrent en commune, Onfroy, le sénéchal du duc Guillaume, fut assassiné, tous ses compagnons chassés, et l'évêque Arnoul, qui voulut garder la foi jurée, fut lui-même obligé de s'enfuir; il alla chercher un refuge en Angleterre (2).

Bientôt les excès de la commune, dont le gouvernement se livrait à des actes de férocité inouie (3), découragèrent Azon d'Est, qui repartit pour la Toscane. Mais sa femme et son fils Hugues restèrent auprès de Geoffroy de Mayenne, qui soutint en leur nom la guerre contre les Normands.

Toutefois après de sanglants désordres, après de

(1) Orderic Vital rapporte à l'an 1090 la venue d'Azon d'Est au Maine. Les Acta Episcoporum Cenomannensium, rapportés par D. Mabillon, Vetera Analecta, et qui ont été écrits sur les lieux par un contemporain, lui opposent un formel démenti. C'est aussi ce que confirme la comparaison des généalogies des maisons d'Est et de Blois.

(2) Voir les Acta Episcop. Cenomannensium, D. Mabillon, p. 308, et Ord. Vital, t. II, p. 253.

(3) Passim plurimos sine aliquo judicio condemnantes quibusdam pro causis minimis oculos eruentes, alios vero pro culpa levissima suspendio strangulantes, etc... » L'annaliste reproche aussi fortement aux révoltés de n'avoir pas observé les lois de la trève de Dieu, et d'avoir attaqué des villes pendant le carême et le temps pascal, Acta, ibid.

longs démélés avec l'évêque Arnoul toujours fidèle aux Normands, Geoffroy de Mayenne dut renvoyer le jeune Hugues d'Est en Italie, et bientôt Foulques le Rechin le chassa lui-même du Mans et s'y établit en maître (1).

Les graves intérêts qui absorbaient toutes les forces de la Normandie empêchèrent alors Guillaume le Conquérant de châtier les Manceaux. A son premier retour sur le continent son séjour fut abrégé par la révolte d'Eustache, comte de Boulogne, et de la province de Kent. Il se rembarqua précipitamment à Dieppe, laissant encore une fois son duché patrimonial aux mains de sa femme, et de Robert Courte-Heuse, leur is aîné (2).

Il avait amené (3) à ce dernier un jeune compagnon, qui devint rapidement son ami, et que nous retrouverons jusqu'à la fin fidèle à sa fortune, ou plutôt à ses malheurs. C'était Edgar Adeling (4) son cousin, le petit-fils d'Edmond Côte-de-Fer,

(1) Acta Episcop. Cenomann.

(2) Ord. Vital, p. 177-188, t. II, et Guillaume de Jumiéges, liv. VII, ch. XL: « Rex vero Willelmus... Roberto filio suo juvenili fervore vernanti Normannici ducatus dominium tradidit.»> Voir ces variantes et falsifications, Historiens de France, t. XI, p. 630.

(3) Guillaume de Poitiers, édit. Guizot, p. 425. Ord. Vital, t. II, p. 167, et t. IV, p. 70. — Cependant les chroniqueurs anglais retardent l'arrivée d'Edgar en Normandie, et disent qu'il vêcut d'abord en Écosse.

(4) Ou Etheling, ce mot dont le radical Ethel veut dire noble, illustre, était porté par l'héritier présomptif de la couronne.Il avait la même valeur que le nom de Clito parmi les Normands.

et le plus naturel héritier de la couronne d'Angleterre (1).

Les deux jeunes gens suivirent sans doute la reine Mathilde lorsqu'elle passa l'année suivante en Angleterre pour y être solonnellement couronnée, et le Conquérant associa son héritier présomptif aux cérémonies de l'hommage qui lui fut prêté par Malcolm, roi d'Écosse (2).

Robert Courte-Heuse avait déjà deux frères, Richard et Guillaume. En Angleterre, il lui en naquit un troisième, Henri, celui qui devait un jour lui ravir tous ses droits et devenir son geôlier et son bour

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(2) Orderic Vital a voulu dissimuler ce fait, qui est cependant établi par le discours de Malcolm, rapporté t. III, p. 395. — En outre, dans une charte en faveur de l'abbaye de St-Ouen, relative à Criqueboeuf et datant de 1063, on voit la souscription de Robert à la suite de celle de ses parents. Après avoir parlé de leur consentement, le rédacteur ajoute: « Et Rodberti eorum filii, quem elegerant ad gubernandum post suum obitum. » Il faut remarquer qu'il avait déjà deux frères, Richard, qui mourut dans la Forêt-Neuve, et Guillaume Le Roux.-A. Le Prévost, note sur Ord. Vital, t. V, p. 18.

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