Page images
PDF
EPUB

dans la noblesse Normande accompagna le Duc dans sa grande entreprise.

Après avoir traversé la France et franchi les Alpes, le duc Robert en arrivant près de Lucques rencontra le pape Urbain II, qui venait de rentrer en Italie, et en reçut la bénédiction apostolique (1). Puis continuant sa route, il parvint avec son armée à entrer dans Rome, que l'antipape Guilbert, créature du misérable Henri II, empereur d'Allemagne, tenait alors presque tout entière. Les Croisés campèrent dans la Ville Sainte, et, voulant aller prier sur les tombeaux des Apôtres, ils virent avec douleur la basilique de St-Pierre transformée en une sorte de forteresse, où les Schismatiques maltraitaient et rançonnaient impudemment les fidèles. Suivant Fleury (2), les pèlerins délivrèrent d'abord Rome de ces bandits, qui n'y gardèrent plus que le Môle d'Adrien, alors appelé la tour de Crescentius, et aujourd'hui le Château StAnge. Robert, avec Hugues le Grand, alla visiter le Mont Cassin (3). Puis les Croisés reprirent leur route vers le midi, et parvinrent à Bari. Là, ils ne purent trouver assez de navires pour leur faire franchir

de son Histoire de Normandie, est une liste de fantaisie, puisqu'il y fait figurer dès la première page plusieurs membres de la famille d'Harcourt, vivant au XIVe siècle.

(1) « Urbanus.., cum quo locuti sunt comes Robertus Normannus, et comes Stephanus, nos quoque cæteri qui voluimus, et ab eo benedictione suscepta, gaudenter Romam ivimus. » (Fulcherii Carnotensis.

(2) Histoire ecclésiastique, t. XIII. p. 637.

3) Voir les fragments de la Chronique de Tours, dans D. Martène, t. V, p. 1001.

l'Adriatique, et ils se virent contraints d'hiverner dans la Pouille et la Calabre. Ces provinces étaient d'ailleurs presque une terre Normande que d'autres pèlerins Normands, peut-être des compagnons de Robert le Magnifique (1), avaient conquise, et où ces audacieux voyageurs s'étaient taillé royaumes, duchés et comtés sans nombre.

Le duc Robert Courte-Heuse fut magnifiquement accueilli par les Normands d'Italie, et tandis que Hugues de France se jetait dans un piége tendu par la trahison de la cour Byzantine, l'armée du duc Robert attendit dans de bonnes conditions la fin de l'hiver.

Cependant au mois de février, son oncle Odon, l'évêque de Bayeux, le vieux et habile ministre du Conquérant, et le conseiller de son fils, mourut à Palerme, où le comte Roger de Sicile lui fit élever dans la cathédrale un magnifique tombeau.

Les retards, les fatigues, les épreuves de l'expédition avaient déjà ralenti le zèle premier de bien de ceux qui étaient partis. Dès leur entrée dans Rome, certains pèlerins avaient perdu courage et étaient retournés en arrière. Foucher de Chartres, témoin oculaire, raconte que lorsque le moment de l'embarquement fut venu, il y eut encore des courages qui mollirent, et que plusieurs vendirent les armes qu'ils avaient prises en un jour d'enthousiasme, pour prendre le bourdon du retour.

Le pape Urbain II vint visiter les pèlerins au moment de leur départ, et leur donna, à Thiète, une

(1) Pierre Diacre, Chronique du Mont-Cassin. Apud Annales Benedict., t. V, p. 238.

dernière bénédiction. Ils s'embarquèrent à Brindes, le 5 avril, jour de Pâques 1097, et bientôt le duc Robert, à la tête de son armée, aborda à Durazzo. Les Croisés s'engagèrent hardiment dans le pays montagneux et sauvage qu'ils avaient à traverser pour gagner Constantinople. Quand ils arrivèrent devant les murs de cette ville, ils en trouvèrent les portes fermées. Le misérable empereur Alexis, après avoir appelé l'Occident au secours de son empire décrépit, avait été pris de peur à la vue de ses sauveurs. Il reçut cependant très-brillamment le duc de Normandie, et laissa entrer dans sa capitale quelques autres seigneurs Croisés, par petits groupes de quatre ou cinq personnes seulement, tant lui et ses sujets efféminés redoutaient la vaillance des rudes guerriers du Nord.

Il obtint du duc Robert qu'il se conformât à l'exemple donné par Hugues de France, Godefroy de Bouillon et Raymond de Toulouse, qui avaient consenti à faire hommage à l'Empereur des terres anciennes de son empire qu'ils pourraient arracher aux Turcs; puis après cette cérémonie, impatient de rejoindre les Croisés des autres corps d'armée qui l'avaient précédé, le duc de Normandie obtint enfin le moyen de franchir avec ses troupes le Bosphore, qui portait alors le nom de canal St-Georges.

Le 14 mai 1097, le duc Robert et ses troupes opéraient leur jonction avec la Grande Armée des Croisés, qui venait de commencer le siége de Nicée. Il fut reçu avec la plus grande joie, dit Guillaume. de Tyr, et occupa immédiatement la place qui lui avait été réservée sous les murs de la ville.

Nicée, célèbre par la tenue de deux conciles œcuméniques, était la capitale de la Bithynie; c'était l'une des dernières conquêtes des Turcs, et le poste avancé d'où ils attendaient l'occasion de se précipiter sur l'Europe. Il y avait une soixantaine d'années, c'était là que Robert le Magnifique, aïeul de Robert Courte-Heuse, était venu mourir au retour de son pèlerinage. Tout dernièrement, le sultan KilidgjArslan avait écrasé sous les murs de cette ville les bandes indisciplinées des Croisés qui avaient suivi Gauthier Sans-Avoir (1) et Pierre L'Hermite. Quelques rares et malheureux fugitifs, triste reste de tant de milliers d'hommes, apprenaient aux Croisés quels dangers les menaçaient, et, leur montrant les débris sans sépulture de leurs compagnons, qui jonchaient au loin les environs, ils leur faisaient connaître à quels ennemis innombrables et féroces ils allaient avoir affaire.

Suivant Guillaume de Tyr, la Grande Armée Chrétienne comptait alors sept cent mille personnes, mais seulement cent mille sergents et chevaliers montés et armés, car le reste n'était guère composé que de pèlerins, de femmes, d'enfants et de vieillards hors

(1) La famille Sans-Avoir était une noble et puissante famille des environs de Poissy, où l'on trouve encore Boissy-SansAvoir, canton de Montfort-l'Amaury (Seine-et-Oise). Elle était alliée aux familles de Maule, de Poissy, de Dreux, etc... Gautier Sans-Avoir avait plusieurs frères, entre autres Guillaume et Simon, qui prirent part à la première Croisade, et Mathieu Sans-Avoir. En 1105, Hugues Sans-Avoir, cousin de Robert de Maule, et neveu de Gautier de Poissy, partit aussi pour la Terre-Sainte. Voir Orderic, t. III, p. 478, et t. IV, p. 133 et 213.

d'état de porter les armes. Au milieu de cette multitude régnait du moins un ordre merveilleux, et le zèle, la piété, la charité la plus parfaite y unissaient tous les cœurs comme toutes les forces (1).

C'est contre cette masse d'hommes si mal organisée au point de vue militaire, que le sultan KilidgjArslan, accourant au secours de sa capitale, vint se précipiter avec une armée de soixante mille cavaliers. Il fut rapidement mis en déroute, et les historiens citent parmi les Croisés qui se distinguèrent le plus dans le combat: le duc de Normandie, Roger de Barneville et Guy de Garlande, qui étaient de ses chevaliers.

Après cette victoire, le siége fut poussé avec une nouvelle ardeur, et un autre Normand étonna la Grande Armée par son audace. Après un assaut repoussé, comme il voulait ramener ses compagnons au combat, il s'avança seul jusqu'aux murailles, et se mit à travailler à la brèche en arrachant les pierres avec ses mains. Les assiégés, qui l'accablaient de traits, réussirent enfin à le tuer, et après avoir accroché son cadavre avec leurs machines, ils le lancèrent jusqu'au camp des Chrétiens (2).

Enfin tout le monde sait comment, lorsqu'à force de fatigues et d'héroïsme, les Croisés eurent à peu près réduit la ville, l'empereur Alexis sut soustraire aux Croisés le fruit de leurs efforts, et se fit rendre à lui-même la place importante que les Turcs sauvèrent ainsi des mains de leurs vainqueurs.

(1) Baldric., apud Bongars, p. 95 et 96. (2) Guillaume de Tyr, liv. III, ch. IX.

« PreviousContinue »