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Les deux vases dont il s'agit, semblables de métal et de proportion, diffèrent essentiellement dans leur forme.

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L'un d'eux (le numéro 1er), haut de 29 c., est d'une forme soignée et élégante. Par la tournure, on dirait une théière ou une cafetière comme celles dont nous nous servons aujourd'hui. La panse, gracieusement renflée, pose sur un pied de forme conique et assez élevé. L'ouverture est fermée par un couvercle en métal adhérent à l'anse, comme cela se pratiquait autrefois dans nos vieilles chopines d'étain. Le couvercle, rond et bombé, se termine par un bouton. A l'endroit où une charnière l'unit à l'anse, on remarque un gland, destiné à le soulever à l'aide du doigt. L'anse est contournée avec art; mais la plus grande élégance a été déployée dans le goulot qui, sorti de la panse, s'élève jusqu'à l'embouchure. Ce goulot imite une tête de serpent, de la bouche duquel sort un double bec, ter

minaison qui ne manque pas de coquetterie. Pour attacher le goulot au cou du vase, l'artiste a employé une espèce d'arc-boutant, décoré de dentelures. Sur le pied de cette pièce, l'une des plus élégantes que nous ayons vues, on remarque deux lettres en relief, qui tout à l'heure nous aideront à la dater.

L'autre vase de Tréforest (le. numéro 2) est loin de valoir le précédent, comme objet d'art. Il est aussi en bronze, et compte également de 28 à 29 c. de hauteur; mais la ressemblance se borne là. Il s'agit ici d'un broc de forme simple et tout-à-fait usuelle. Il pose sur trois pieds, particularité qui le rapproche de beaucoup d'autres. L'anse dont il est muni est très-primitive. Elle est strictement faite pour l'usage. Ce vase n'a pas de couvercle et paraît n'en avoir jamais possédé, seulement il est, comme son voisin, armé d'un goulot terminé par une tête de serpent grossièrement faite. Une simple traverse, sortie du cou du vase, soutient la tige du goulot qui jaillit du haut de la panse.

Ce deuxième vase, quoique moins intéressant par sa forme que le précédent, le devient beaucoup plus par les nombreux analogues que nous lui connaissons. Le Musée de Rouen possède deux brocs entièrement pareils à celui-ci. Nous ignorons la provenance de l'un d'eux, mais il en est un que nous savons avoir été trouvé à Étretat, dans des circonstances que nous allons ra

conter.

En 1833, un marin fouillant autour de sa demeure, située rue des Galeries, au pied de la côte du Camandel, rencontra une grosse pierre qu'il souleva non sans peine. Sous elle se trouvait une chaudière de cuivre, en forme de seau, entièrement remplie d'ustensiles de ménage, dont la plus grande partie était en fer. Dans

ce curieux mobilier domestique se trouvaient une fourchette à deux dents avec manche de bois, un grand couteau, un marteau, une hache, une fourche à deux dents, deux verrous, une tarière et une foule d'instruments en fer dont le poids total n'était pas moindre de 100 kilogrammes. Je n'ai gardé souvenir que de deux objets de bronze, une cuillère à pot et un broc de la contenance de 1 litre 5 décilitres et du poids de 2 kilogrammes. Ce curieux vase, qui repose sur trois pieds, possède une anse et un goulot terminé par une tête de serpent. Il avait été hermétiquement fermé avec du mortier, et cependant il ne contenait que deux clous en fer à tête plate. Nous donnons le dessin de cette pièce intéressante, qui a été achetée 30 fr. par le Musée de Rouen.

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Le milieu dans lequel s'est rencontré le vase d'Étretat n'est pas facile à dater, mais en voici un autre qui me semble beaucoup plus déterminant.

Un broc en bronze, se rapprochant considérablement

de ceux d'Étretat et de Tréforest, a été recueilli, en 1859, à Duranville, dans le département de l'Eure. Il était dans un puits, avec huit ou dix assiettes en étain. Ces plats portaient des noms d'hommes en caractères du XIIIe siècle et des écussons de cette époque. Ce broc est à présent à Bernay chez M. Le Métayer-Masselin, qui a bien voulu nous en communiquer le dessin. Bien que

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BROG EN BRONZE DE DURANVILLE (1859).

supérieur en élégance à tous les précédents, il appartient cependant à la même famille.

Le cinquième exemple que nous connaissions existe à Elbeuf, chez un amateur qui l'a exposé en 1862, avec un manche de couteau reproduisant une image de la Vierge tenant l'Enfant-Jésus. Nous ignorons si le broc et le couteau ont été trouvés ensemble, mais nous sa

vons que le premier des deux meubles a été recueilli vers 1835 sur le territoire du Neubourg, au lieu dit le Bois de la Bataille. Comme ses pareils de Rouen, d'Étretat, de Tréforest et de Duranville, ce vase est en bronze, posé sur trois pieds et est muni d'un goulot terminé par une tête de serpent.

Il nous reste maintenant à essayer de déterminer la date de ces différents vases, qui tous ont un air de famille et témoignent d'une période contemporaine. Il y a trente ans, lorsque la découverte d'Étretat se fit et que nous n'en connaissions pas d'autre, il nous eût été malaisé d'en donner une attribution un peu motivée. Rien, dans le dépôt de 1833, ne nous paraissait trahir une date; néanmoins tout se réunissait pour exclure l'art romain et l'art mérovingien. Mais, depuis la découverte de Duranville, un véritable jour s'est fait sur cette question. La présence d'assiettes en étain, évidemment du XIIIe siècle, nous force de descendre jusqu'à cette date le broc trouvé au milieu d'elles. Le couteau qui accompagnait, à Elbeuf, le vase du Neubourg nous reporte aussi très-vivement vers le moyen-âge. Mais ce qui achève de nous convaincre de cette origine relativement récente, ce sont les deux lettres marquées sur le pied du principal vase de Tréforest. On y lit, en effet, très-distinctement un P et un T, en caractères qui me semblent rappeler le XIVe siècle.

Aujourd'hui donc je suis très-disposé à voir dans tous. ces différents vases un produit de l'art du moyen-âge. Comme les brocs à trois pieds sont assez nombreux dans les collections et qu'on devra en retrouver fréquemment de pareils, j'ai cru devoir essayer de fixer sur ce point l'incertitude des découvreurs, et appeler aussi sur eux l'attention de nos confrères en archéologie. J'accepterai

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