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mais il était destiné a périr avec elle. Dès les premiers moments de la Révolution, l'Assemblée constituante, qui voulait que le pouvoir législatif émanât tout entier des représentants de la nation, défendit expressément aux corporations judiciaires toute décision promulguée en vue d'un intérêt général, en dehors des questions particulières qu'elles étaient appelées à juger. Cette interdiction, reproduite plusieurs fois dans les diverses constitutions politiques de l'époque révolutionnaire, a été définitivement consacrée par l'article 5 du Code Napoléon : « Il est défendu aux juges de prononcer, par voie « de disposition générale ou réglementaire, sur les cau« ses qui leur sont soumises. »

La nature des travaux de notre Compagnie ne me permet pas de vous présenter un exposé détaillé des divers points de jurisprudence qui ont trouvé place dans le livre de M. de Vilade. Souffrez, cependant, que je signale à votre attention une règle de voisinage fort importante en ce qui concerne les héritages ruraux, dont notre auteur prouve très-bien la persistance en Normandie, malgré le silence du Code Napoléon. Il s'agit de la répare des fossés non mitoyens.

D'après les règles du Droit, qui sont en même temps. celles du bon sens, chacun peut construire sur son fonds tel ouvrage que bon lui semble; mais c'est sous la condition formelle qu'il ne causera aucun préjudice à ses voisins. De ce principe incontestable, la sagesse de nos aïeux avait tiré la conséquence que celui qui établit un fossé à la limite de son héritage ne saurait en appuyer le creux sur l'héritage limitrophe. L'article 13 du réglement de 1751, consacrant une coutume constante, observée de tout temps en Normandie, l'oblige, en ce cas, à laisser de l'autre côté du fossé, sur son propre

terrain, un espace de 2 pieds appelé répare, destiné à parer aux éboulements et aussi à fournir un emplacement pour les curages. Les Cours impériales de Caen et de Rouen ont, toutes les deux, jugé que cette sage prescription était demeurée en vigueur parmi nous. D'un autre côté, tout citoyen étant présumé s'être conformé à la loi, le propriétaire exclusif d'un fossé est censé, par cela même, propriétaire de sa répare, même quand il ne saurait alléguer de titre ou de possession bien constante, justifiant sa maîtrise sur cette bande de terre juxta-posée à l'héritage voisin.

Le travail utile dont j'ai essayé de vous rendre compte, bien que consacré entièrement à la jurisprudence pratique, présente, vous le voyez, avec nos occupations habituelles, cette similitude qu'il s'occupe, lui aussi, d'anciens usages territoriaux d'origine exclusivement normande. Aussi vous partagerez, j'espère, le vœu que j'exprime en finissant: c'est que M. de Vilade complète ses études sur le réglement de 1751, en nous faisant connaître, de la même manière, les usages de la Normandie, auxquels le Code Napoléon a renvoyé par ses articles 674, 1736 et suivants, en matière de constructions et de loyers de maisons.

J. CAUVET.

Sur un registre de notes archéologiques prises sur les lieux mêmes.

MESSIEURS,

Vous savez par vous-mêmes quelle vive satisfaction nous procure une trouvaille, si minime qu'elle soit, pour peu qu'elle nous paraisse de nature à intéresser

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ceux qui comme vous, sont curieux de connaître le passé de notre pays, parce que nous comprenons tout ce que l'on peut tirer de la moindre découverte : une hache en silex, un débris de mâchoire, une tuile à rebords, un manuscrit, une inscription, une charte, une pièce de monnaie, un simple moellon, deviennent des objets de communication qui peuvent faire avancer l'archéologie. J'avais, pour ma part, un bien vif plaisir, il y a six ans, à vous annoncer la découverte d'un complément du Poème de la Conception de maître Wace. Eh bien! Messieurs, mon plaisir est plus complet aujourd'hui que je vous dois entretenir d'une trouvaille précieuse. Il ne s'agit plus, en effet, d'une simple découverte, mais. d'un instrument de découverte, instrument vivant et intelligent, d'un antiquaire villageois, d'un artisan, doué d'une sagacité inventive et d'un absolu dévouement à notre Société.

Depuis plusieurs années, le modeste artisan envoyait note sur note à son frère, un de nos collègues de l'Académie dont nous avons si vivement ressenti la perte, ou à tels et tels d'entre nous. Ces notes, je lui conseillai de les transcrire sur un registre, en y joignant celles qu'il aurait pu recueillir depuis. C'est ce registre que j'apporte aujourd'hui, et dont je sollicite l'achat dans l'intérêt de notre Répertoire archéologique, dont la révision a été confiée au zèle de notre savant et actif Secrétaire. L'auteur ne se doute guère ni du rapport que je vous fais, ni de la proposition que je vous soumets; il ne m'a envoyé son manuscrit que pour savoir, m'écrit-il, « si son travail est utile pour l'histoire et s'il doit continuer cet été ses excursions. »

Oui, certes, son travail est utile, et utiles aussi sont de telles excursions; mais elles ne sont heureuses qu'à

la condition d'être quelque peu coûteuses. La marche et le soleil ou la pluie exigent des temps d'arrêt; et puis pour obtenir les clefs que garde le custos, un coup de main pour déranger ces bancs massifs d'église, une échelle pour atteindre jusqu'à cette inscription de la cloche, un seau d'eau, du savon et une éponge pour laver et lessiver cette pierre tombale, enfin telles complaisances, tels renseignements, il faut, dans notre beau pays de Normandie, comme ailleurs, faire quelque petite honnêteté aux gens désintéressés qui nous les procurent. Aussi ne croirais-je pas, en conscience, devoir conseiller à ce brave homme d'acheyer son manuscrit, uniquement entrepris dans les intérêts de la Compagnie, sans quelque dédommagement.

Du reste, Messieurs, je ne doute pas que vous ne partagiez ma manière de voir, dès que vous aurez eu la bonté d'écouter le compte-rendu des découvertes consignées dans le recueil de M. Désiré Gautier, et surtout les extraits que je vais vous en soumettre.

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Ce registre contient actuellement les notes recueillies sur 30 paroisses de l'arrondissement de Falaise et du canton de Bourguébus, déjà étudiées dans la Statistique monumentale du Calvados.

L'auteur improvisé a le bon goût, qui est du bon sens, de ne prétendre nullement refaire ce qui a été si bien fait par M. de Caumont, notre maître à tous; seulement il a suivi à la lettre les indications qui lui étaient données et il a pris note de ce qui ne se trouvait pas dans la Statistique, où les minutieux détails que nous demandons à notre touriste auraient souvent paru un hors-d'œuvre.

La Statistique de M. de Caumont est l'oeuvre intelligente et heureuse d'un initiateur et d'un propagateur;

mais cette partie de son œuvre, dont l'impression a été commencée en 1842, peut recevoir aujourd'hui, pour les parties publiées dès cette époque et même depuis, plus d'un complément utile: et il serait à désirer que nous eussions, sur plusieurs points qui n'ont pu être suffisamment explorés, des collaborateurs dévoués comme le modeste horloger de St-Sylvain.

Pour avoir une juste idée de la valeur des notes consignées dans son Registre, il faudrait les suivre, le texte de la Statistique monumentale en main, et voir les additions qu'y fait notre antiquaire nomade.

Ainsi, dans son excursion en 1860 à Renémesnil, après avoir remarqué la bizarre orientation de la chapelle, en dehors des règles ordinaires usitées pour nos églises paroissiales, il signale un autel en pierre, à colonnes et fronton triangulaire bien conservé et trèsélégant, et les modillons de la corniche figurant des têtes d'animaux et une tête de brebis.

A Cauvicourt, qu'il visitait en 1862, il remarque que la petite église vient de subir des réparations considérables; il apprécie ces réparations, le plus souvent heureuses, bien que certains détails lui semblent pécher par leurs proportions. Il donne, selon son usage, l'inscription de la cloche et décrit avec précision les moindres particularités des ruines.

En 1863, il visite le Mesnil-Touffray, dont l'église a été dépouillée de ses ornements au profit de celle de Barbery. On partage le regret qu'il éprouve de voir abandonnée une église où figure un joli rétable en pierre blanche, d'une heureuse proportion, et qui rappelle celui de la Charité de Caen... « Ses gradins, ses tablettes, ses crédences, son bénitier en marbre d'Italie supposent une ancienne splendeur passée. » Je cite textuellement.

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