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Les traditions du pays expliquent encore la présence. de toutes ces ruines et de ces débris humains par les guerres des Anglais.

On sait, en effet, que le roi d'Angleterre, descendu à la Hogue-de-St.-Vaast, en 1346, après avoir ruiné Carentan, pillé Barfleur, Montebourg, Valognes, St.-Lo, se dirigea ensuite sur Caen, en passant par Cerisy et Balleroy. Un autre corps de son armée avait longé la côte et il opéra sa jonction à Ouistreham avec celui que commandait le roi. La campagne située entre Rots et Norrey fut le chemin direct que suivit Édouard III pour venir de Balleroy à Ouistreham. Qu'on se rappelle d'ailleurs que les Anglais se signalèrent alors par le pillage, le meurtre, l'incendie et la ruine des villages qu'ils traversaient (1); qu'on se rappelle enfin que, dix ans plus tard, un parti du roi de Navarre, réuni aux Anglais, commandés par Thomas Holland, ravagea de nouveau le Bessin entre Bayeux et Caen: on comprendra comment purent être détruites les nombreuses maisons qui couvraient cette campagne avant l'invasion du roi Édouard III.

Sur la hauteur qui domine le bourg et qu'on appelle la Haute-Roni, le cantonnier de la commune, en creusant un peu sur le bord du chemin nommé la rue Froide, trouva deux énormes squelettes sous de grosses pierres, se réunissant à leur partie supérieure et s'écartant à la base (2).

Au haut de la campagne de Rots, dans la delle de la Croix-Vautier, on découvrit, presque à fleur de terre, il y a vingt ans, de cent-cinquante à deux cents cer

(1) En telle manière ardirent et robèrent grande foison d'autres villes en cette contrée..... Ainsi était ars et exilé, robé, gâté et pillé le bon et gras pays de Normandie ( Froissart). »

(2) Mss. de Gron.

cueils en pierres plates, renfermant chacun un squelette d'homme. Les squelettes de femmes et d'enfants n'y étaient qu'en petit nombre. Il y avait sept rangs de tombes : dans la même tombe, quatre et même cinq cercueils étaient superposés, en sorte que le dernier n'était qu'à cinquante centimètres environ de la surface. On dut trouver, auprès, les débris d'une forge et un amas considérable d'ossements de chevaux. Un cultivateur qui habite au bourg de Rots, nous a affirmé que, dans les tombeaux, étaient des débris de vases portant des inscriptions et ornés de figures; mais, n'en connaissant pas la valeur, il ne pensa pas à les conserver (1). L'ouvrier qui fit, le premier, cette découverte a déclaré dernièrement qu'il trouva surtout une grande quantité de pièces de monnaie de cuivre, les unes de la grandeur de nos anciens liards; les autres, de la grandeur de nos sous de cinq et de dix centimes. Les bords, au lieu d'être unis et réguliers, étaient bruts et inégaux. On y remarquait l'effigie d'une femme. Mon voisin qui sait lire, ajoutait ce brave homme, me dit que c'était de la monnaie ROMAINE; et comme la monnaie romaine n'a plus de cours dans le commerce, il crut n'avoir rien de mieux à faire que de l'abandonner à ses enfants, qui ont tout perdu (2).

Signalons encore deux faits: l'un, que dans ces parages est assise la delle de la Bataille; l'autre que, comme on le tient des vieillards, toute cette contrée fut autrefois horriblement décimée par une affreuse maladie. Un village de Rots, situé à un kilomètre environ

(1) C'est le même qui nous a très-bénévolement offert une petite hache gauloise en cuivre, qu'il avait trouvée avec deux autres pareilles, en cultivant un champ entre Marcelet et Verson.

(2) Mss. de Gron.

au nord-est de l'église, sur la hauteur qui domine, au levant, le marais de l'Ortial, fut entièrement détruit. On dit que, dévorés par une fièvre ardente, les malheureux habitants de ce village se traînaient jusqu'à la Mue, à un endroit où elle est désignée sous le nom de Ricaras ; mais à peine avaient-ils porté l'eau à leurs lèvres brûlantes, qu'ils expiraient (1).

Terminons par quelques détails sur les droits dont les religieux de St.-Étienne de Caen jouissaient à Rots.

Par le don, que leur fit Guillaume-le-Conquérant, des terres qu'il possédait à Rots (villas sui juris), il céda, selon nous, les deux fermes dont les religieux jouissaient dans le champart de Rots.

En donnant Rots avec ses colons, conditionnaires ou hommes libres, Guillaume ne donna pas leurs personnes, mais les droits et coutumes auxquels ils étaient astreints envers lui, en vertu de son droit ducal. Les conditionnaires n'étaient pas des serfs, comme l'a fait observer le savant auteur d'un ouvrage couronné par l'Institut (2).

Il est reconnu que, dès le XI. siècle, on ne trouvait plus de traces de servage en Normandie. C'étaient des paysans-propriétaires, des vassaux qu'on appelait vilains (villani, c'est-dire gens du village), et qui tenaient des terres en fief, à raison desquelles ils payaient certaines redevances, et de là sans doute leur nom de conditionnaires.

Le papier terrier de 1479 (3) donne là-dessus des détails curieux.

Selon ce document, on distinguait, à Rots, parmi les (1) Mss. de Gron.

(2) Etudes sur la condition de la classe agricole et l'état de l'agriculture en Normandie au moyen-ûge.

(3) Chapitre des dignitez, libertez, etc.

terres qui devaient des droits seigneuriaux aux moines de St.-Étienne, d'abord des terres nobles et des terres roturières, appelées vavassories, dont la condition était à peu près celle des terres nobles. Les possesseurs de ces terres étaient francs, c'est-à-dire non astreints à certains droits, quoiqu'ils fussent assujettis à certains autres.

Voici quelles étaient les terres de Rots qui jouissaient de ces priviléges: « Et est à entendre, dit le papier terrier de 1479, les diz francs ceux qui demourent sur la vavassorerie qui fut Jehan de Ros (1) et ceux qui demourent sur le fieu qui fut Guillaume Semyon (sic) de present aus diz religieux appartenans, et aussy ceux qui demourent sur le fieu de St.-Ouen de Rouen (2).

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Il y avait enfin ce que l'on appelait les vilainages de Rots, tenures bien inférieures à celles des vavasseurs, et qui étaient grevées d'une foule de servitudes et de redevances.

Une des principales était que les conditionnaires étaient obligés de faire moudre leur blé au moulin banal des religieux de St.-Étienne, et de leur payer pour cela le 22o. boisseau. C'était ce qu'on appelait la verte moulte. En cas que leur blé restât plus d'un jour naturel au moulin

(4) Quel était ce Jehan de Ros, dont l'abbaye de St.-Etienne de Caen possédait le domaine en 1479? On voit, dans le Catalogue des Rolles Normans, de 1419 à 1420, un Johannem de Ros, établi capitaine du Château-Gaillard par Henri V, roi d'Angleterre. Était-ce un Anglais, descendant des de Ros, compagnons de Guillaume-le-Conquérant? Ne serait-ce pas plutôt un Normand, dont, pour cause de félonie, les biens auraient été confisqués après la réduction de la Normandie, puis cédés à l'abbaye de St.-Étienne ?

(2) On voit encore ici que, en 1479, il n'était question d'aucun fief noble possédé à Courcelles par les de Touchet. Peut-être aussi le fief qui fut Jehan de Ros était-il celui où ils s'établirent plus tard, par cession des moines de St.-Étienne.

à-ban, ils pouvaient le porter ailleurs, mais en payant préalablement demi-droit au meunier des religieux.

Tant que leur blé demeurait auxdits moulins-à-ban, ils pouvaient acheter où ils voulaient du pain pour leur usage, mais pas autrement. Ils avaient la même liberté quand leurs femmes etaient « en gésine » et quand ils avaient la charrette fumeresse en leur fumier» pour fumer leurs terres assises en la seigneurie de Rots.

Personne ne pouvait vendre du pain, à Rots, si le blé n'en avait été moulu au moulin-à-ban.

En cas de fraude, les bêtes de somme, la farine, les poches étaient confisquées au profit de l'abbaye. Dans le même cas, les moines de St.-Étienne, leur sergent, leur fermier ou meunier avaient le droit de saisir le pain, même « à la goule du four. »

Les hommes francs de Rots pouvaient moudre où bon leur semblait, à charge par eux de payer à l'abbaye un boisseau d'orge, mesure de Rots, de rente par chaque vergée de terre à campart par eux labourée, en froment, orge ou avoine, soit que la terre leur appartînt, soit qu'ils la tinssent à ferme; et c'est ce qu'on appelait la secque-moulte.

Personne desdits tenants et résidants à Rots ne pouvait brasser de la bière ni en apporter de dehors pour la vendre, sans la permission des religieux ou de leur meunier, et s'ils ne payaient le treizième boisseau de blé ou le treizième gallon de bière, sous peine de confiscation et d'amende.

Étaient exceptés les hommes francs, qui brassaient comme ils voulaient, en payant secque-moulte.

Les hommes francs et les conditionnaires qui demeuraient sur la rive droite de la Mue payaient à l'abbaye deux deniers tournois de rente, la pre

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