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est lui-même vu de face. Il est dans l'attitude d'un prédicateur sa main droite est entièrement ouverte et s'élève, non pour bénir, mais comme pour repousser l'autre figure qui lui tourne le dos. Celle-ci porte à la main un marteau; sur sa tête est une sorte de couronne, d'où pendent, par derrière, comme les fanons d'une mître épiscopale. Elle a une forte barbe et un visage terrible; elle est revêtue d'un manteau. Sous ce manteau, on aperçoit les pieds de deux petits personnages, dont la tête et le corps sont cachés dans l'intérieur. Ils semblent emporter une idole monstrueuse pour la faire disparaître devant l'évêque. Il est évident, en effet, si l'on examine bien, que ces jambes lilliputiennes ne peuvent appartenir au même individu que cette énorme tête et que cette main, relativement colossale.

Mais quelle est cette idole? Si nous cherchons dans la mythologie scandinave, nous trouverons un personnage qui paraîtrait répondre exactement à toutes ces données, c'est le dieu de la force et du tonnerre : c'est Thor, le fils d'Odin et de Frigga. « On le représentait, en effet, avec les traits sévères de l'âge mûr et une longue barbe, une massue ou un sceptre à la main (1). Ozanam (2) nous apprend que Thor portait aussi « le marteau, symbole de la foudre. » L'impitoyable Thor, le tueur de géants, avec son marteau meurtrier, avait la première place dans le temple suédois d'Upsal, et dans les sanctuaires de la Norwége (3).

(1) Suivant un écrivain anglais, on représente Thor, le plus grand des dieux chez les Saxons et les Danois, comme assis sur un trône, avec une couronne d'or sur la tête, ornée d'un cercle sur le front. (Goldmith's History of England.)

(2) Études germaniques, t. I, p. 50.

(3) Ibid., p. 58.

Si l'on admet que cette figure représente Thor, et qu'il personnifie ici le paganisme scandinave, il sera facile de déterminer le nom du saint évêque qui paraît le bannir. Ne serait-ce point notre saint Vigor, qui acheva de convertir les derniers païens du Bessin à Reviers et sur le mont Phaunus ? L'architecte du XIe. ́ siècle n'aurait-il pas voulu consacrer, par ce grossier bas-relief, le souvenir du même bienfait de la prédication de saint Vigor à Rots?

Ce monument nous apprendrait donc que, suivant les idées reçues au XI. siècle, il ne se serait plus agi, du temps de saint Vigor, d'exterminer, dans le diocèse. de Bayeux, le polythéisme romain, mais l'idolâtrie scandinave. On sait en effet que les Saxons, qui s'établirent dans le Bessin au IV. siècle, avaient une origine commune avec ceux qui apportèrent en Angleterre le culte des idoles qu'adoraient les Danois, les Suédois et les Norwégiens. On retrouve encore, en Angleterre, des vestiges de cet ancien paganisme scandinave dans les noms des jours de la semaine, Thursday, Wednesday, le jour de Thor, le jour d'Odin, comme chez nous on dit jeudi, mercredi, le jour de Jupiter, le jour de Mercure.

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Depuis sa fondation, il s'est fait à l'église de Rots bien des modifications On construisit, au XIIIa. siècle, sur la nef romane, une surélévation de murs, pour lui donner plus de hauteur. A cette époque appartiennent aussi en partie les transepts et le chœur. Leurs voûtes et la partie de la tour qui s'élève au-dessus des voûtes du chœur, et forme le dôme intérieur, datent du XIV. siècle. Le dernier étage de la tour, 'surmonté d'une balustrade en pierre, la grande fenêtre à compartiments flamboyants et bouchée du chevet, les deux fenêtres à

compartiments prismatiques de la petite chapelle appliquée sur le mur oriental du transept nord, les contreforts appliqués sur les angles du même transept annoncent évidemment le XV. siècle (1).

Au commencement du siècle dernier, la nef était en ruine et ne servait plus au culte. On avait fait du transept nord le sanctuaire et le choeur; et de celui du midi une nef. Un vieillard, mort, en 1840, à l'âge de 94 ans, se rappelait fort bien d'avoir vu réparer les murs de la nef, et ces souvenirs s'accordent parfaitement avec la date 1755 qu'on lit sur la grande porte et sur un autre côté de l'église. Ce fut alors en effet qu'on bâtit cette porte, style Louis XV, qui fait un si disgracieux contraste avec les belles arcatures romanes du portail et de la nef.

Sur les registres de la paroisse on lit, à la suite d'un acte d'inhumation en date du 7 janvier 1642, une note ainsi conçue : « La première sépulture tournée pour l'église changée. » Il en résulte que ce changement aurait eu lieu avant cette époque. Mais comment avait-il été amené? Nous manquons de renseignements certains pour répondre à cette question. On peut croire cependant que la nef de Rots aura été dévastée, comme tant d'autres églises, en 1562, par les calvinistes. On ne sait pas combien de temps l'exercice du culte catholique y fut interrompu. Quand il fut possible de le reprendre, on s'accommoda, comme on put, des parties de l'église qui avaient le moins souffert, jusqu'à ce que les moines de St.-Étienne de Caen et ceux de St.-Ouen de Rouen, patrons et collateurs, fussent en état de réparer tout ce qui avait été détruit par les malheurs

(1) Voir Statistique monumentale du Calvados, t. Ier.,

p. 278.

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du temps. Mais ces abbayes avaient été elles-mêmes pillées et dévastées dans ces jours néfastes. Elles furent ensuite forcées d'aliéner une partie considérable de leurs domaines, pour aider à acquitter les frais des guerres civiles et étrangères. En 1642, les biens de la communauté étaient dans un tel état, que les religieux se trouvaient dans un dénûment presque absolu; un grand nombre de vassaux, à la faveur des troubles, s'étant emparés des propriétés dépendantes de l'abbaye. Lorsqu'on sait que l'église de St.-Étienne ne put être rendue au culte qu'en 1626, on conçoit que la nef de Rots n'ait été rétablie que beaucoup plus tard.

On a vu que, dès l'origine, l'abbaye de St.-Ouen de Rouen avait une juridiction quasi-épiscopale sur l'église de Rots et sur les chapelles qui en dépendaient. Jusqu'en 1789, St.-Ouen de Rots a été « de l'exemption de St.Ouen de Rouen, » comme portent les anciens registres de la paroisse. Elle avait, dans la contrée, un vicairegénéral : c'est ainsi que, dans l'acte d'inhumation d'un curé de Rots, on voit présider, en 1743, Messire Hippolyte de Corday, prêtre, curé de St.-Jean de Caen, bachelier en théologie, licencié aux droits, grand-vicaire et official de l'abbaye de St.-Ouen de Rouen pour l'exemption de Rots. Elle percevait les grosses dimes de cette paroisse. On voit encore, attenant au cimetière du côté de l'orient, sur le bord du chemin de Caen, le manoir, cour et jardin de St.-Ouen de Rouen et les deux belles granges de cette abbaye. Elle y possédait, de plus, de nombreuses propriétés. En tête du « Marchement du terrain de Rots, faict en l'an mil quatre cent soixante dix-neuf, par D. Martin Lefraire, religieux et trésorier de l'abbaye de St.-Estienne de Caen,» on voit figurer comme témoins, parmi les notables de la « parouesse »

vingt-deux « fermiers au dict lieu pour les religieux de Sainct Ouen de Rouen (1). »

La paroisse de Rots n'était pas gouvernée par un prieur, mais par un prêtre séculier, à la nomination des Bénédictins de St.-Ouen de Rouen. Son presbytère était attenant au cimetière, du côté du nord, à l'emplacement qu'occupe le presbytère actuel. « Les curés de Rots n'avaient, pour eux et les prêtres à leur charge, c'est-à-dire pour les vicaires, obitiers et chapelains, que le revenu de quarante acres de terre, plus la dime des verdages, novales ou petits grains (2).

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Avant 1789, l'église de Norrey n'était qu'une annexe de Rots elle est ainsi portée dans le Livre pelu: « XXXV lib. capella de Noereyo cum persona de Rox. » Les curés de Rots envoyaient un de leurs vicaires pour la desservir, et prenaient le titre de curé de Rots et de Norrey. Ainsi signa, jusqu'en 1802, M. Le Duc, der

(1) Voici les noms de ces témoins (il existe à Rots plusieurs familles qui les portent encore): « Jehan Sortiz, Collin Gouville, fermiers au dict lieu et campart des dic's religieux de Sainct Estienne de Caen, Jehan Dessillons, Guillaume Guillebert, dict Frion, sergens des dicts religieux au dict lieu de Rots, Robin De Gron, Guillaume De Grọn fils Martin, Guillaume Regnault, Thomas Dessillons, Collin La Boize, Collin Saalles, Collin Faucquet, Jehan Duval lesné, Thomas Salles, Robin Sorts (Sortis') lesné, Jehan Salles, Jamet Bize, Roger Gouville, Guyot de Rotz, Roger Le Sénécal, Jehan Bridut, Pyot Bize, Robin Jehan, Martin Pouchin Jehan Gouville, Thomas De Gron, Thomas de Billy, fermiers au dict lieu pour les religieux de Sainct Ouen de Rouen, Jeban Laboize, Jehan De Mouille, Michel Flamant, Thomas Hamel, Jehan Gervaise lesné, Jehan Gervaise le jeune, Guillaume Guillot, Jehan Regnault, Robin Regnault, Noel Pinel, Guillaume Pinel, Coret Pinel, Thomas De Gron, Geffray..... et plusieurs aultres, touts de la dicte paronesse de Rotz, tant du bourgeol que de la ville. (2) Mss. De Gron.

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