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(dans son Voyage bibliographique, archéologique et pittoresque en France, t. II, p. 81, trad. de Théod. Licquet), dit de lui: «Il cherchait des livres partout et «< quand il ne pouvait les acheter ou les obtenir de « bon gré, il les dérobait et les emportait dans les « manches de sa soutane. »

J'aurais peut-être fait peu de cas de cette accusation si je ne l'avais trouvée que sous la plume de Dibdin, qui, de l'aveu général, « a souvent outrepassé les «< bornes de la bienséance et faussé la vérité dans ses « récits (1); » mais je l'ai retrouvée dans les papiers manuscrits de M. Moysant (2), bien qu'exprimée en termes moins durs.

Est-ce une raison pour le croire coupable et l'appeler, comme Dibdin, un magistrat dérobeur de livres ? J'avoue que, pour ma part, j'y répugne, quoique pourtant il ne soit pas sans exemple que les gens les plus honorables, d'ailleurs, poussés par une violente convoitise pour les objets de leurs études, se soient rendus coupables d'actes indélicats et qu'au fond leur conscience réprouvait. C'est l'histoire de la fameuse tache d'encre de Paul-Louis Courier; c'est l'histoire du dieu Pépétius dérobé par l'anglais Crawfurt, et dont le bibliophile Jacob (P.-L.) nous a raconté les tortures morales d'une

ouvrage. Comme il est un de vos meilleurs amis, et que c'est une excellente plume, ne peut-on pas en espérer un exemplaire ? Le Res angusta domi me fait recourir au Rogo. » Lettre du P. Martin à D. Huet, 6 décembre 1703.

(1) Biographie usuelle et portative des contemporains, t. II, p. 1374. (2) La Bibliothèque des Cordeliers de Caen (élait) belle et nombreuse. La moitié avait été fournie par un P. Martin, qui quêtait des livres partout et fesait des emprunts forcés... de M. Moysant, à la Bibliothèque de Caen, in-folio.

D

Papiers mss.

façon si saisissante et si remarquable (1). — Mais je ne lui ferai ni à lui, ni à ceux qui comme lui, peut-être, auraient quelque faute de ce genre à se reprocher, l'injure de les comparer à M. Lindner, professeur de théologie à l'Université de Leipsig, traduit en Cour d'assises et condamné à six années de réclusion pour de nombreux vols, pratiqués notamment dans les riches collections de manuscrits de la Bibliothèque de l'Université (2). »

Il eût été à désirer, pour ses amis, que le P. Martin eût pu rester tranquille à Caen, jouissant de loisirs qu'il utilisait si bien en préparant les matériaux de son grand ouvrage, l'Athena Normannorum, et en envoyant à son illustre ami Huet (3) des notes et des renseignements pour son livre des Origines de Caen, notes dont l'auteur tira un très-grand parti dans la seconde édition de son ouvrage, en 1706.

(1) P.-L. Jacob, bibliophile: Le dieu Pépétius, roman publié dans la Revue contemporaine, 31 octobre 1858, et les trois livraisons suivantes. — Voir aussi l'étude consacrée par M. Hauréau à Jean Aymon (Singularités historiques et littéraires). Paris, M. Lévy, un vol. in-48.

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(2) « Il a lui-même révélé que, depuis le mois d'avril 1858 jusqu'en janvier 1859, il s'était rendu cent vingt fois à la Bibliothèque de « l'Université pour commettre des vols et des lacérations, et il a été « prouvé qu'il avait échangé et vendu plusieurs des objets volés. » Annuaire du Bibliophile, etc., pour 1861, p. 176.

(3) « Maintenant, mon révérend Père, que vous êtes fixé à Caen, puis-je espérer, qu'en exécution de vos promesses, vous voudrez bien me continuer vos bons offices et m'éclairer sur quelques articles de l'ouvrage que vous avez vu (les Origines de Caen)?» Lettres de Huet au P. Martin. Paris, 21 juillet 1699. Dans plusieurs autres lettres encore, Huet demande des renseignements sur divers personnages de Caen.

Malheureusement nous le voyons en butte pendant dix ans (de 1700 à 1710) à des tracasseries de toutes sortes dont l'accablait l'évêque de Bayeux, Mgr. de Nesmond; il fut même obligé d'aller à Rome (1) à ce sujet, voyage dont son ami Huet ne le félicite pas. Poursuivi toujours par Mgr. de Nesmond, il se réfugia tantôt à Bernay (2), tantôt à Vernon (3), tantôt en

(1) « Je ne me réjouis point de votre voyage à Rome. » Huel au P. Martin; Paris, 22 février 1700. P.-S. Vous ne me dites

rien de vos affaires avec Mgr. de Bayeux. tembre 1702.

Id., Aunay, 10 sep

*

(2) « Je fus fort surpris, mon révérend Père, et fort fâché, lorsque j'appris que vous aviez quitté Caen. J'étais en peine du lieu de votre retraite, et je n'en savais point le sujet. Je ne le sais pas même encore ; car, en m'alléguant la persécution de Mgr. de Bayeux, vous ne m'en dites point le motif. J'ai su que vous étiez retiré à Bernay. Vous auriez pu, dans cette solitude, me donner de vos lettres. » Huet au P. Martin, 23 août 1709. « ..... J'ai été bien aise d'apprendre par vousmême le sujet de la retraite que vous avez faite en ce lieu (à Bernay), et plus encore de sçavoir que ce différend est terminé et que celle réconciliation te redonavit Quiritem Dis patriis italoque cœlo... • Id., 2 septembre 1709.

(3) • Je suis bien fâché, mon cher Père, de voir votre vieillesse agitée, comme vos lettres m'apprennent qu'elle l'est par ceux même qui devraient la respecter et la conserver, et qu'une maison religieuse, qui devrait être un lieu de paix, soit au contraire une source de brouilleries et de divisions. Si votre père Provincial en est l'arbitre, je ne doute pas que l'affaire ne se termine à votre satisfaction. Je le souhaite de tout mon cœur, et vous en sentiriez les effets si mon crédit allait jusque-là. On ne saurait trop louer le bon usage que vous faites de votre temps et de vos talents à l'honneur de la Sainte-Vierge. J'ai lu vos anagrammes avec étonnement et votre élégie sur la mort de M. Cally avec applaudissement. Tâchez de revenir à Caen et d'y rétablir votre commerce littéraire. Mais rentrez-y par la belle porte, pour y demeurer paisible et y jouir d'une pieuse et savante oisiveté. »

Picardie (1). Il est même très-probable qu'il alla jusqu'en Belgique, et c'est sans doute pendant son séjour dans ce pays qu'il publia à Louvain, en 1701, ses Reflexiones ad nuperrimam declarationem doctoris Hennebel. Peut-être est-ce de ce voyage qu'il s'agit dans sa lettre à D. Huet, du 10 août 1701: « A mon retour « d'un voyage de six semaines que j'ai été obligé de « faire par obéissance, etc.... »

Quelle était la cause de l'animosité dont l'Evêque de Bayeux semblait animé contre le P. Martin? Nous l'ignorons; mais elle ne devait pas être déshonorante pour celui qui en était l'objet, d'après la lettre que lui écrit Huet, le 2 septembre 1709. En tous cas, l'acrimonie de Mgr. de Nesmond fut telle que son adversaire, obligé de céder, fuyait son cher couvent de Caen sans que ses meilleurs amis fussent prévenus de son départ, sans que l'on sût quand il devait revenir. Ce fut en vain que, pour calmer la querelle, Huet essaya de faire intervenir (2) l'Intendant de la généralité de Caen, M. de Foucault, qui estimait fort le P. Martin et se montra très-disposé à lui rendre service. Ce fut en vain qu'il

Lettre de Huet au P. Martin (alors chez les Cordeliers de Vernon), le 14 février 1710. Le P. Marlin était encore chez les Cordeliers de Vernon au mois de juin 1710. Huet lui dit qu'il regrette de ne pouvoir s'entremettre pour lui près de l'Evêque de Bayeux; au contraire, les préventions que ce prélat a contre lui, les explications fâcheuses qui sont intervenues entr'eux rendaient cette intervention plutôt nuisible qu'utile (Analyse d'une lettre de Huet, 9 juin 1710 ).

(1) • Dans le peu de temps que je passai à Caen, mon révérend Père, j'envoyai chez vous pour apprendre de vos nouvelles. On me rapporta que vous étiez en Picardie, et qu'on ne savait le temps de votre retour..... » Huet au P. Martin, 2 juin 1707.

(2) Lettre de Huet au P. Martin; Aunay, le 12 octobre 1702.

essaya d'intervenir lui-même; Mgr. de Nesmond ne se laissa fléchir que vers la fin de 1710 (1).

Malgré ces déplorables vexations, qui attristèrent la vieillesse du vénérable Père, il ne cessa pas de cultiver les Muses latines, pour lesquelles il avait un goût exquis. Il envoyait ses vers à ses amis, qui en faisaient leurs délices et s'étonnaient « qu'un aussi bon

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théologien et un aussi bon prédicateur pût encore « être un fort bon poète (Huet au P. Martin, 18 août 1698).

Un jour, il faisait un distique sur la mort de M. de Segrais (2), que l'on trouva « fort bon, simple, chrétien « et bien tourné » (Huet au P. Martin, 11 avril 1706). Un autre jour, en relevant de maladie, il envoyait à l'évêque d'Avranches une pièce de vers « qui ne sont << pourtant pas d'un fébricitant» (Huet (3), 4 septembre 1704).

Tantôt c'était une épigramme, que Huet lisait avec autant de plaisir que de surprise; car il n'avait pas compté parmi les talents du P. Martin celui d'être aussi bon poète (Lettre de Huet, 19 janvier 1705).

C'était une pièce de vers sur l'affaire de PortRoyal (4), vers pleins de feu et que l'on prendrait pour l'ouvrage d'un jeune homme, si on n'en connaissait l'auteur (Lettre de Huet, 24 août 1707).

(1) Lettre du même au même; Paris, 24 juillet 1710. •

(2) Le P. Martin nous a conservé cette pièce dans un de ses recueils. Cette feuille autographe était pliée en forme de lettre pour être envoyée à M. Belin, curé de Blainville.

(3) Il s'agit peut-être ici des vers qui valurent au P. Fr. Martin le prix de poésie au Puy de Caen, en 1704 (Athen. Normann.).

(4) Nous avons ces vers et la lettre du P. Martin à laquelle Hust répond ici. Voir la fin de cette Notice.

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