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« Il n'a jamais été écrit Regnobertus que depuis cinq ou << six cents ans, encore moins Renobertus. Le seul

adoucissement que les premiers siècles, depuis le «< christianisme des Germains et des Francs, y apportèrent fut de changer le ch en g et de retrancher « l'aspiration finale. De là vint que, au lieu de Rachno« berchtus, le nom du saint se trouve signé Ragnobertus. « Mais, quelque adoucissement qui soit survenu à la << prononciation de ce nom, il n'est pas moins vrai qu'il est teutonique, et que ce point est décisif pour « montrer la bévue ou la fourberie de ceux qui ont fait « vivre dès le IIa. siècle l'évêque qui l'a porté. Il est vrai « qu'en reculant la mission de saint Exupère à la fin du « IVe siècle, on recule aussi l'épiscopat de son suc« cesseur; mais ce délai n'est pas encore suffisant pour « persuader qu'un évêque ait pu porter ce nom dans. «< une ville romaine, et que, tandis qu'ailleurs dans les « Gaules les évêques avaient des noms romains ou « grecs, ou tout au plus des noms hébreux (ce qui était «< plus rare), la seule Église de Bayeux ait eu, pendant « la plus grande partie d'un siècle, un prélat dont le «< nom était pris de ces barbares desquels à peine avait-on « encore ouï parler dans l'Empire....... »

« La terminaison bert » ajoute, ailleurs, l'abbé Lebeuf, « est un indice certain que saint Regnobert n'a pu « être évêque, dans le Ier siècle, de l'Église de Bayeux, »

Les Bollandistes n'avaient présenté cette objection que comme vraisemblable: « Nomen Ragnoberti Fran<«< cicum nec verisimiliter, ante Francorum in Galliam << adventum, quinto seculo, in Gallia auditum. » Baillet n'avait pas osé être plus affirmatif, et il s'était contenté de dire que « ce nom, par rapport au siècle et au << pays dont il s'agit, pourrait faire regarder saint

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Regnobert comme étranger dans le rang des évêques « de Bayeux (1).

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L'abbé Lebeuf a renchéri de beaucoup sur les Bollandistes et sur Baillet, et il n'a pas craint d'appeler tout crûment la tradition de l'Église de Bayeux sur saint Regnobert une bévue ou une fourberie! Jugement (disons-le) qu'ont accepté sans opposition Béziers, l'abbé De La Rue et M. Alfred Du Méril.

Sans vouloir faire le moindre tort au mérite bien connu de ces savants, qu'il me soit permis, cependant, de soutenir qu'ils se sont gravement trompés euxmêmes sur cette question; qu'un de nos évêques a très-bien pu, à la fin du Ier. siècle ou au commencement du II., porter un nom teutonique ou germain, et que l'Église de Bayeux a raison d'honorer toujours, envers et contre tous, saint Regnobert comme le successeur immédiat de saint Exupère, apôtre du Bessin et contemporain du pape saint Clément.

Nous ne répéterons pas ce qu'on a pu lire dans un ouvrage publié dernièrement pour défendre cette tradition. Nous avons à produire aujourd'hui un témoin nouveau, témoin dont l'autorité irréfragable va jeter le plus grand jour sur ce problème si plein d'intérêt au point de vue de l'histoire de notre diocèse.

C'est Jules César qui, dans ses Commentaires, s'est chargé de démentir, de la façon la plus directe, ces assertions soutenues avec tant d'assurance par l'abbé Lebeuf, que, « à la fin du IV. siècle, à peine avait-on «ouï parler, dans l'Empire, de ces Germains, desquels << saint Regnobert avait pris son nom; et que la termi

(1) Les Vies des Saints (1er. aoust), Vie de saint Spire, évesque de Bayeux.

«naison bert est un indice certain qu'il n'a pu, au «Ier siècle, être évêque de l'Église de Bayeux. »

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César (De bello gallico, lib. VII, cap. xIII) nous apprend que, dès le commencement de la guerre des Gaules, il s'était attaché six cents cavaliers germains. On les voit paraître pour la première fois au siége de Noviodunum, et venir au secours de la cavalerie romaine qui commençait à plier sous le choc des Gaulois: Cæsar, laborantibus jam suis, Germanos equites circiter DC submittit, quos ab initio secum habere constituerat.

Voyant que l'ennemi lui était supérieur en cavalerie, dit César un peu plus bas, et que tous les chemins lui étant fermés il n'y avait nul moyen de tirer du secours de l'Italie ni de la province, il envoya, au-delà du Rhin, dans la Germanie, vers les peuples qu'il avait soumis les années précédentes, et il leur demanda de ces cavaliers et de ces fantassins armés à la légère, accoutumés à se mêler à la cavalerie dans les combats. A leur arrivée, ne trouvant pas assez bien dressés les chevaux dont ils se servaient, il prit ceux des tribuns, des autres officiers et même des chevaliers Romains et des vétérans, et les distribua aux Germains (1).

Au chapitre LXX du même livre, César nous montre, au siége d'Alésia, les auxiliaires Germains courant au secours de la cavalerie romaine dans un combat contre

(1) De bello gallico, lib. VII, cap. LXV. - Cæsar, quod hostes equitatu superiores esse intelligebat, et, interclusis omnibus itineribus, nulla re ex Provincia atque Italia sublevari poterat, TRANS RHENUM IN GERMANIAM mittit ad eas civitates, quas superioribus annis pacaverat, equitesque ab his arcessit, et levis armaturæ pedites, qui inter eos præliari consueverant. Eorum adventu, quod minus idoneis cquis utebantur, a tribunis militum reliquisque, sed et equitibus romanis alque evocatis, equos sumit distribuitque GERMANIS. »

les Gaulois, dans la plaine qui s'étendait devant cette ville. Comme les cavaliers de César commençaient à souffrir, cet appui, envoyé à propos, releva leur courage. Les Gaulois, mis en fuite, s'embarrassent par leur nombre et s'entassent aux portes trop étroites qui leur restent; alors les Germains les poursuivent vivement jusque dans leurs retranchements. Ce ne fut qu'après en avoir tué beaucoup et pris un grand nombre de chevaux, que les Germains se retirèrent (1).

Dans une autre affaire entre les Gaulois et les Romains, sous les murs d'Alésia, où l'on avait combattu depuis midi jusqu'au coucher du soleil, sans que la victoire se déclarât pour les uns ou pour les autres César nous fait voir encore les mêmes Germains, réunis sur un seul point en escadrons serrés, se précipitant sur l'ennemi et le repoussant (2).

Hirtius, le continuateur des Commentaires de César, rendant compte de l'expédition contre les Bellovaques, fait aussi mention des auxiliaires Gaulois et Germains dans de petits combats qui se livraient fréquemment ; tantôt ceux-ci passant un marais qui séparait les deux camps et poursuivant les ennemis; tantôt les ennemis franchissant à leur tour le même marais et repoussant les Romains (3).

(1) De bello gallico, lib. VII, cap. LXX. - Laborantibus, nostris, Cæsar Germanos submittit..... Nostris animus augetur; hostes in fngam conjecti seipsi multitudine impediunt..... Tum Germani acrius usque ad munitiones sequuntur..... Multis interfectis, compluribus equis captis, Germani sese recipiunt. »

(2) De bello gallico, lib. VII, cap. LXXX. — « Quum a meridie usque ad solis occasum dubia victoria pugnaretur, Germani, in parte confertis turmis, in hostes impetum fecerunt eosque propulerunt. »

(3) De bello gallico, lib. VIII, cap. x. « Quam paludem nonnunquam aut nostra auxilia Gallorum Germanorumque transibant,

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Enfin, un peu plus bas, l'infanterie Germaine, que César avait fait venir d'Outre-Rhin pour la mêler à la cavalerie, ayant tout entière franchi avec intrépidité le marais dont nous venons de parler, et tué le petit nombre d'ennemis qui résistaient, poursuivit le reste avec une telle vigueur, qu'elle frappa d'épouvante nonseulement ceux qu'elle serrait de près ou qui étaient encore à la portée du trait, mais même les soldats de la réserve qui s'enfuirent honteusement (1).

Voilà donc six ou sept textes des Commentaires de César qui établissent bien formellement la présence des auxiliaires Germains dans son armée, à l'époque de la guerre des Gaules; sera-t-il possible encore d'admettre, avec l'abbé Lebeuf, qu'on avait à peine ouï parler des Germains dans l'Empire à la fin du IV. siècle, quand, cinquante ans avant Jésus-Christ, les Gaulois les avaient vus si bien payer de leurs personnes; et que César luimême, témoin oculaire de leur bravoure, a si glorieusement enregistré leurs états de service dans ses immortels Commentaires?

Mais nous irons un peu plus loin et nous ne craindrons pas de le dire : il y a lieu de croire que, avant l'ère chrétienne, plus ou moins de ces Germains, qui avaient servi sous les ordres de Jules César, s'établirent dans

acriusque hostes insequebantur; aut vicissim hostes eamdem transgressi nostros longius submovebant. »

(1) De bello gallico, lib. VIII, cap. xu. « Qua contentione, Germani, quos propterea Cæsar traduxerat Rhenum ut equitibus interpositi præliarentur, quum constantius universi paludem transiissent, paucisque resistentibus interfectis, pertinacius reliquam multitudinem essent insecuti, perterriti non solum ii qui cominus opprimebantur aut eminus vulnerabantur, sed etiam qui longius subsidiari consueverant, turpiter fugerunt. »

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