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quefois et souvent le suicide intellectuel. La société doit de grands travaux aux hommes qu'elle a jugés dignes de les accomplir.

En résumé, Messieurs, les résultats de notre École de Rome sont insuffisants.

Cette insuffisance tient à celle des éléments qui composent l'École.

Changer les bases du concours; juger non-seulement l'œuvre, mais l'homme et sa force productrice; établir entre les élèves une vive émulation et des traditions; éliminer au besoin la médiocrité qui deviendrait stérile, malgré les luttes annuelles, mais aussi fournir, d'une manière complète et large, au talent qui grandit les moyens, tous les moyens de grandir encore; ainsi, ne pas borner les études aux maîtres et aux musées, aux monuments et aux bibliothèques de l'Italie; envoyer les élèves, selon leur spécialité, dans les pays où l'art auquel ils s'appliquent a reçu Ju reçoit le plus d'éclat; enfin, veiller sur eux à leur retour dans la parie: telles sont les principales améliorations que propose votre Commission.

Elle a obéi à votre vœu, qui était d'appeler l'attention du Gouvernement sur la meilleure manière de faire profiter à la gloire du pays les sacrifices du pays. Elle regrette de n'avoir pu donner plus de temps à l'examen d'une question aussi grave. Son travail eût été plus étendu, plus solide; mais il n'aurait pas été inspiré par plus de dévouement à la grande cause de l'art et des artistes.

Vicomte A. DE LAVALETTE, Vice-président de la Section.
N. BLANCHET, de Paris.

L. PLÉE, Rapporteur.

APPENDICE AU RAPPORT DE M. PLÉE.

PAR M. BLANCHET,

Membre de la Commission.

Ce sont, en effet, les sculpteurs et les musiciens qui souffrent le plus à leur retour de Rome. Ces derniers, par exemple, ne savent près de quels poëtes ils doivent diriger leurs pas pour obtenir un libretto. Presque tous les favoris du public, dans la crainte de partager les vicissitudes d'un début, éconduisent ces jeunes talents qui ne demandent qu'une arène pour essayer leurs forces, qu'un peu de soleil pour arriver à maturité ! Les autres auraient besoin, pour travailler, d'un bloc de marbre et de la bienveillance d'un architecte chargé de grands travaux ; mais celui-ci est dévoué à quelque ancien camarade qui est dispensé depuis longtemps de fournir les preuves qu'il n'a pas été dépassé dans la voie des progrès de la statuaire. Tout leur est donc refusé à ces brillants infortunés, et le sort de nos artistes d'élite est souvent plus à plaindre vraiment que celui du ménétrier et du tailleur de pierre.

N'ayant plus la possibilité de nous concerter avec un sculpteur, nous sommes obligés de garder le silence sur les moyens qu'on pourrait peut

être employer pour remédier à de si fâcheux résultats, qui annihilent en quelque sorte les sacrifices que le Trésor fait chaque année pour former des hommes capables de maintenir les arts à la hauteur où les ont élevés les illustrations de notre belle patrie sous Louis XIV et Napoléon.

Toutefois nous indiquerons ceux qui nous sembleraient devoir porter une prompte amélioration dans l'existence physique et morale des compositeurs, et, comme conséquence naturelle, compléter les rangs des habiles qui s'éclaircissent depuis quelques années d'une manière affligeante. D'abord, sur leur demande, l'Académie française les aboucherait avec les jeunes littérateurs qui, nouvellement couronnés comme eux, auraient pareillement besoin de se produire.

On ne permettrait l'ouverture d'un troisième théâtre lyrique à Paris que sous la condition expresse, que deux jours de chaque semaine seraient consacrés aux élèves de Rome qui, ayant fini leurs études et leurs voyages, auraient fait recevoir au comité un ouvrage et pris rang pour sa représentation. Pareillement les acteurs et actrices seraient tenus d'apprendre les rôles sans aucune difficulté ouverte ou masquée. Enfin, la surveillance de ces clauses serait confiée à une Commission composée de deux anciens compositeurs et de quatre notables amateurs, sous la présidence du Ministre de l'Intérieur. La non-exécution de ces clauses ou quelque acte arbitraire envers les jeunes auteurs entraînerait le retrait immédiat du privilége.

Ne serait-ce pas une excellente occasion en même temps de former des sujets, de parfaire devrions-nous plutôt dire, pour les théâtres royaux de la capitale ou des grands théâtres de la province? Il n'est que trop vrai qu'on peut perdre les meilleures leçons et les plus précieuses traditions puisées dans les classes du Conservatoire en jouant une couple d'années, loin de tous bons modèles, avec de misérables cabotins, des pièces de tous les genres!

Nous croyons ces propositions dignes de fixer l'attention de l'autorité supérieure préposée à la protection soutenue des individus, comme à l'emploi le plus sage des finances du pays.

MÉMOIRE

PRÉSENTÉ

A LA HUITIÈME SECTION DU CONGRÈS SCIENTIFIQUE,

EN RÉPONSE A LA 33e QUESTION DE SON PROGRAMME :

Quelle est la part qu'en France l'Administration municipale doit prendre au soutien de l'art musical?

PAR M. C. BERG,

Professeur de musique.

MESSIEURS,

En entreprenant de traiter une question d'art devant un auditoire aussi éclairé, je ne me suis nullement dissimulé ma faiblesse. Je n'aurais pas osé le faire si je n'y avais été fortement engagé par quelques amis. Je dois donc avant tout réclamer l'indulgence de l'assemblée, et la prier de considérer mon travail plutôt comme un effort de ma bonne volonté que comme le fruit de recherches savantes.

Les musiciens, en général, sont plus habiles à manier leur instrument que la plume. Je me trouve dans ce cas, et, en avouant ce défaut, je dois en même temps le signaler comme un de ceux qui s'opposent le plus au développement de l'art véritable. C'est cette absence d'une bonne et solide instruction littéraire qui fait que la musique est souvent si mal jugée, et, si mal exercée par ceux-là même qui devraient en être les principaux soutiens.

On oublie que la musique est non-seulement un art, mais aussi une science, et on donne tous ses soins à l'art et rien à la science.

Je dois néanmoins faire observer ici que je n'entends point par science ce que l'on appelle ordinairement théorie musicale. Les règles ou principes peuvent bien faire un musicien instruit et habile, mais non un juge éclairé et compétent. Il faut pour cela quelque chose de plus. En produisant de beaux effets en musique, il faut savoir s'en rendre compte, en connaître la nature et pouvoir en indiquer le but. C'est ce qu'on appelle proprement la philosophie de l'art, science qui consiste à pénétrer dans ce que l'art a de plus caché, de plus mystérieux et de plus sublime.

Que l'on ne croie point qu'il faille passer par de longues et pénibles études pour arriver à cette science. Elle s'acquiert pour ainsi dire instinctivement, et principalement en se nourrissant de beaucoup de bonne musique, en ne s'accommodant pas trop facilement de la mauvaise, en évitant de suivre le torrent du mauvais goût, et surtout en cherchant à ne pas faire de l'art une exploitation industrielle, mais bien une occupation morale, tant pour soi que pour les autres.

Une telle science est malheureusement ignorée de bien des artistes, quelquefois même des artistes les plus distingués.

Quoique la question que je me suis proposé de traiter ici semble, par sa nature, être plutôt un objet spécial ou local, elle ne laisse point de se rattacher aux idées les plus élevées de l'art.

Qu'il me soit permis de développer davantage ma pensée, afin de mieux faire comprendre l'importance du sujet.

En jugeant de la musique par la large part qu'elle occupe de nos jours dans l'éducation, dans les mœurs, dans les plaisirs, dans l'ensemble de la civilisation, on serait tenté de croire que l'art musical est en pleine prospérité, qu'il brille de son plus vif éclat, qu'il ne laisse plus rien à désirer, qu'il ne s'agit que de conserver ce que l'on possède déjà, et de savourer à longs traits les jouissances qui nous sont offertes. Cependant il n'en est pas ainsi. Malgré cette quantité prodigieuse de maîtres et d'élèves, malgré ce grand nombre d'artistes de talent, dont l'habileté tient quelquefois du prodige, malgré l'enthousiasme avec lequel on les accueille et que l'on pousse jusqu'à la frénésie, on reconnaît bientôt que non-seulement l'art est en souffrance, en voie rétrograde, mais encore que ce concours de circonstances, qui semblent le favoriser, mène plutôt à sa destruction qu'à son édification. Pourquoi donc ? C'est parce que l'art est incompris, c'est parce qu'aux yeux du grand nombre la musique est tout simplement un art d'agrément, un objet de récréation, de luxe, et nullement un moyen de moralisation.

Je suis loin de blâmer le plaisir que la musique peut causer, les délices qu'elle peut faire éprouver, les agréables sensations qu'elle peut faire naître. Loin de là, je serais le premier à blâmer celui qui voudrait lui ôter ce charme, ces agréables impressions, ces doux moments, et en faire une science abstraite, froide, sans charme, sans attraits, incapable d'émouvoir, et encore moins d'exalter. Mais, je dois le dire : la musique ne remplit que faiblement șa noble mission si elle se borne simplement à chatouiller l'oreille, à nous causer quelques moments agréables, délicieux même, et si elle ne cherche point à élever nos âmes.

Voulez-vous connaître son véritable but, sa véritable origine?

Lisez l'histoire, et ses premières pages vous apprendront que la musique est d'origine divine, que ses premiers élans ont été des hymnes de louange de la créature en l'honneur du Créateur, que ses accents se sont développés dans le culte de l'Éternel, et que la musique s'est toujours intimement liée à tout ce que l'homme éprouve de plus religieux. Nonseulement l'Écriture sainte en rend témoignage, mais, ce qui est encore plus remarquable, c'est que la musique est le seul de tous les arts dont l'exercice nous est ordonné, et dont la jouissance nous est promise dans l'éternité.

La première et la principale condition de l'art musical, c'est qu'il soit religieux. Mais comment pourra-t-il véritablement l'être, si ce n'est dans le christianisme?

Jetons un regard sur ce que l'histoire nous dit encore. La musique a pris son origine dans le sein de l'Église chrétienne. Tout ce qui a été fait avant cette époque a entièrement disparu, et si quelques restes de l'art ancien ou grec ont passé dans les chants dits grégoriens ou ambroisiens, inventés au quatrième et au cinquième siècle, il est reconnu que ce n'est qu'à cette époque que l'harmonie de ces chants a été régularisée et rendue intelligible à une oreille musicale.

En examinant le développement de l'art musical, nous remarquons qu'il a toujours suivi de près celui du christianisme, que ses progrès se sont toujours faits dans l'Église, que ses inspirations étaient pour l'Église, et que l'art n'a brillé de son plus vif éclat que pour glorifier Dieu.

Dois-je citer une autre preuve de son origine divine? C'est que le développement de l'art musical a été, de tout temps, aussi lent que celui du christianisme. En suivant l'histoire de la musique, nous voyons avec étonnement qu'il a fallu parfois des siècles pour découvrir certaines notions qu'un élève apprend maintenant dans quelques leçons, que les progrés de l'art se sont faits à pas lents, presqu'imperceptiblement. Nous voyons en outre une particularité très-remarquable dans l'art musical : ce qu'on appelle le sentiment de l'art (en allemand Kunstsinn), est aussi rare que le véritable sentiment chrétien. Ce sentiment, par sa nature, ne se trouve pas chez les masses, mais seulement chez des individus; et ce qui est encore plus remarquable, c'est que, malgré le petit nombre des individus doués de ce sentiment, il a toujours suffi pour pousser les masses vers une meilleure direction.

Le principe une fois posé que l'art musical doit avant tout être religieux, nous examinerons si de nos jours il remplit cette condition.

Pour donner une solution à cette question, il faut d'abord exposer quelle est, en général, l'action de l'art.

La musique s'exerce dans une triple sphère d'action à l'église, au théâtre et dans les concerts. Tout ce qui se fait en dehors ne mérite proprement pas le nom d'art.

Je mets en première ligne la musique d'église. C'est par elle que l'art s'est développé, que les grands maîtres se sont formés, même ceux qui ont travaillé avec succès pour le théâtre et pour le concert. La musique d'église seule a la clef de l'art véritable. Elle en facilite l'accès à toutes les autres parties, tandis que si on prend celles-ci pour point de départ, le caractère essentiel de la musique, sa noblesse, sa simplicité, son élévation se perdent, et elle est poussée dans une fausse voie.

En jetant un coup d'œil sur ces trois branches de l'art, nous remarquons qu'en France la musique d'église est à peu près nulle, que celle de théâtre est en souffrance, et que celle de concert ne subsiste que sur quelques points partiels et dans une sphère très-limitée. La raison en est que les éléments qui doivent concourir à la réussite de ces trois différents genres n'existent qu'imparfaitement.

Pour exécuter une bonne musique d'église, il faut des voix et un chœur bien formés, et de plus un orchestre, à moins de borner l'exécution de cette musique au simple accompagnement de l'orgue, instrument qui, par sa nature, ne se prêtera jamais à un bon ensemble des voix, ni à une exécution animée.

Quant à la musique de théâtre, il ne faut pas juger de sa prospérité par le Grand-Opéra et par l'Opéra-Italien à Paris. Lors même que ces deux théâtres feraient l'admiration de toute l'Europe musicale, il n'en est pas moins vrai qu'outre Paris et quelques grandes villes, la musique théâtrale en France est dans un état de décadence complète.

Ce n'est point ici le lieu d'examiner quelles sont les causes de cette décadence; une telle investigation mènerait trop loin. Il suffit de constater le mal et d'indiquer ensuite quelques remèdes.

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