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MÉMOIRES

DE

LA CINQUIÈME SECTION.

Archéologie. philologie, histoire.

MÉMOIRE

SUR LA

SEPTIEME QUESTION DU PROGRAMME

DE LA CINQUIÈME SECTION:

Indi

Des sépultures anciennes et modernes comparées entre elles. quer si quelques modifications pourraient être apportées au mode actuel.

PAR M. COMARMOND,

Docteur en médecine, Inspecteur des monuments historiques du Rhône et de l'Ardèche, Conservateur des musées archéologiques de Lyon, Secrétaire général de la neuvième Session, Président de la cinquième Section du Congrès scientifique.

MESSIEURS,

En abordant un sujet de cette nature, j'ai compris qu'il était impossible de le traiter dans toutes ses parties, et j'ai dû seulement en effleurer les points saillants, en me rattachant au motif principal de la question, celui de comparer entre eux les différents modes de sépultures anciens et modernes, et de proposer des modifications qui puissent satisfaire l'âme et convenir à la civilisation actuelle.

Si je voulais remonter à l'époque la plus reculée de la crémation et de l'inhumation des corps, je serais obligé de suivre les différents sillons tracés par les migrations humaines, et je me trouverais peut-être, au point de départ, dans le Thibet ou la Bactriane; là je serais fort peu avancé, et, en fouillant dans ce berceau primitif de la race humaine, je ne trouverais que le roman du premier âge. Les traditions ont été modifiées suivant le besoin, et les monuments de cette époque, s'il en existe, restent muets sur les mœurs et les usages de cette première pé

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riode de la vie; il est néanmoins très-probable que le premier soin des hommes, relativement aux morts, a été de dérober aux bêtes fauves les corps de leurs parents et de leurs amis, et que les premiers adorateurs du soleil se servirent pour cela du feu, qui en était l'emblème.

Arrivons à une période un peu mieux connue, où l'histoire commence à rapporter des faits avérés, des usages adoptés par des peuples anciens, ́et nous verrons que l'incinération et l'inhumation étaient en usage.

Je considere commé inhumation toutes les sépultures où les corps, avec ou sans préparation, étaient déposés dans une simple fosse, dans des tombes en bois, en pierre, en briques, en métaux, ou dans des hypogées et monuments funéraires quelconques, élevés par l'orgueil, la tendresse ou la reconnaissance.

Dans l'Inde, dans la Perse, enfin dans la primitive Asie, on brûlait les corps, on les inhumait; cet usage s'y est conservé, et il nous est venu de ces contrées comme tant d'autres choses qui se sont ensuite modifiées suivant les besoins.

Les Scythes ou Celtes, les Germains et tous les grands peuples du nord de l'Europe sont de la même souché et ont apporté de l'Asie leur mode de sépulture; il est reconnu qu'ils employèrent les deux modes de sépulture.

Tous les peuples qui sont nés de la race blanche ou caucasienne, des rameaux araméen, indien, germain, pélasgique, scythes-tartares, avaient l'habitude premiére de brûler les corps ou de les enterrer.

D'après quelques fragments de Sanchoniaton, d'Hérodote, d'Eusèbe, de Manethon, de Joseph, de Diodore de Sicile et de tous les historiens qui se sont occupés de la chronologie des peuples, ou dont les ouvrages ont servi à cette classification d'origines, si difficile, on retrouve quelques usages; mais on a beau faire des recherches, on n'arrive toujours qu'à des données plus ou moins plausibles, et l'on peut dire qu'au delà de deux mille ans avant notre ére, il est impossible de trouver des indications suffisantes pour asseoir une opinion sur des bases solides.

En remontant aux Égyptiens, qui ont été les civilisateurs de l'Occident, nous serions en droit de dire que les premiers Égyptiens ont brûlé les corps; ces peuples ont une même origine avec les Chaldéens, les Syriens, les Hébreux, les Phéniciens, les Arabes et les Éthiopiens, puisqu'ils ont tous parlé le même langage, et que l'identité a été reconnue avec la souche orientale, qui, primitivement, avait colporté les croyances et les usages de la mère patrie.

Le peuple égyptien a été de tous celui qui a porté au plus haut degré l'amour et le respect pour les morts; c'est peut-être à cette cause qu'il faut attribuer sa passion pour l'embaumèment et celle de garder chez soi une série d'aïeux, dont on ne voulait pas se séparer, que chacun conservait dans son domicile et honorait journellement. Je ne veux nullement entrer ici dans les détails des embaumements; il me suffira de dire que d'après leur religion et les modifications qu'ils apportèrent dans leur civilisation, ils adoptérent deux modes de funérailles : l'un par embaumement, l'autre par simple enterrement; et très-souvent le corps, préparé par la caste des embaumeurs, était placé dans de vastes hypogées ou dans un monument particulier. Le fameux labyrinthe d'Égypte, situé sur les bords du lac Mœris, n'était qu'un tombeau consacré à la sépulture des rois et des animaux sacrés, emblèmes de la puissance divine sur la tèrre, el des

divinités qu'ils adoraient. Plus tard, les pyramides furent construites pour servir de demeures dernières aux dynasties égyptiennes. Leur législation formait, sous le rapport des funérailles, un chef de doctrine civile et religieuse; une foule de corporations étaient instituées pour veiller et procéder à tous les détails qu'entraînait la préparation des corps.

N'était point embaumé ou enterré qui voulait; il y avait des cimetières communs, et aucun cadavre n'était admis à la sépulture qu'après un jugement public, sur la moralité du défunt. Une vie scandaleuse ou la conviction d'un crime lui faisait refuser une sépulture honorable; il était jeté dans une espèce de voirie ou fosse honteuse qu'on nommait le Tartare. Si les anciens Égyptiens punissaient le crime même après la mort, ils honoraient aussi la vertu; ils faisaient assister leurs défunts à un banquet, à une fête, à une cérémonie de famille; on leur adressait la parole, on les félicitait, on les priait. Leur amour pour les parents défunts était porté à tel point, le prix qu'ils attacbaient aux restes de leurs ancêtres était si grand, qu'un Égyptien trouvait facilement à emprunter en donnant pour gage le corps d'un de ses proches; aujourd'hui, ce serait une triste hypothèque à offrir, elle donnerait peu de sécurité à un usurier.

L'art des embaumements n'a pas été pratiqué seulement par les Égyptiens; on connaît les momies des Guanches, anciens habitants des Canaries, et le desséchement des corps par l'ardeur d'un soleil brûlant, et l'usage de quelques nations barbares dévorant, par respect, leurs parents, après en avoir préparé les chairs par le feu. La méthode d'embaumer est arrivée jusqu'à nous; elle est encore pratiquée par les gens riches.

L'histoire nous apprend que les Juifs brûlaient les corps, qu'ils les embaumaient, et enfin qu'ils suivaient également le simple mode d'enterrement usité de nos jours; nous lisons dans l'écriture sacrée que le corps d'Aza, roi de la tribu de Juda, fut mis sur un vaste lit de parade, rempli des parfums les plus précieux, et que le feu y fut mis. Cette cérémonie avait lieu aux funérailles de tous les rois de Juda. Les funérailles privées avaient lieu avec pompe; Moïse en faisait une loi expresse : parents, amis, serviteurs étaient obligés d'assister au convoi. Les sépulcres étaient placés hors des villes, le long des grands chemins, dans des champs ou des jardins. Des pleureuses à gages, dont les lamentations se mêlaient au son lugubre des flûtes, accompagnaient le cortége jusqu'à la tombe préparée. Leurs sépulcres les plus somptueux étaient creusés dans la pierre, et quelques-uns surmontés d'un obélisque. Le monument qui fut élevé par Salomon au roi David était d'une très-grande magnificence. Je ne parlerai point ici des usages introduits dans les funérailles par les familles; on sait que les Juifs se revêtaient de cilices et se couvraient de cendre, qu'ils jeunaient et se privaient d'une foule de plaisirs. Le deuil était de soixante-dix jours pour les grands, et de sept jours pour les simples particuliers. Une chose assez bizarre à remarquer, c'est que la religion n'était pour rien dans le culte funéraire; les prêtres n'y paraissaient point, il leur était défendu d'y assister, sous peine d'une souillure légale, et tous les laïques qui se trouvaient présents à des funérailles étaient immondes jusqu'à ce qu'ils se fussent purifiés.

Chez les Grecs, la sépulture des morts était un devoir sacré, recommandé par les dieux: pietatis officium est mortuos sepelire. D'après leurs croyances, les âmes de ceux qui n'avaient pas reçu les honneurs de la

sépulture restaient errantes et malheureuses sur les bords du Styx, le passage du fleuve leur était interdit. Les lois, à cet égard, étaient de la plus grande rigueur; un général qui aurait manqué à ce devoir était sévèrement puni; il devait renoncer au titre de vainqueur, si, après une bataille gagnée, il avait oublié de rendre cet honneur aux soldats morts au service de la patrie; tout officier infracteur de cette loi était puni de mort, fût-il revenu victorieux. Chez les Macédoniens, Alexandre suivit cet exemple. Achille fut flétri dans l'opinion publique pour avoir vendu le cadavre d'Hector, son ennemi.

Les anciens historiens nous font tous connaître que dans la Grèce il y avait deux manières d'ensevelir, celle d'enterrer et celle de brûler.

Homère dit qu'Achille décolla de sa propre main douze jeunes gentilshommes troyens, ses prisonniers de guerre, devant le bûcher de Patrocle, son compagnon d'armes. Il dit ailleurs que l'urne où reposait la cendre d'Hector fut couverte d'un voile de pourpre.

Diodore de Sicile, qui décrit les funérailles d'Ephestion, dit qu'Alexandre y mit une grande pompe et un luxe sans égal; elles surpassèrent toute la magnificence connue alors; il fit abattre dix stades (une demi-lieue) des remparts de Babylone et construisit une espèce de socle carré, sur lequel il fit édifier le bûcher dont chaque face avait un stade de largeur; une masse immense de bois, élégamment dressée, avec ornements rehaussés de sculptures dorées, caractérisait ce bûcher gigantesque, sur lequel le corps fut placé; là il fut entouré de décorations, d'emblèmes de tous les genres aigles, galères, armes, animaux chimériques, etc. Les amis, les capitaines de l'armée d'Alexandre, voulant lui être agréables, firent faire en son honneur des statues d'ivoire, d'argent, d'or, et même de matières plus estimées, telles que pierres précieuses.

Il y avait peu d'appareil pour les classes pauvres, et même pour les riches, qui demandaient dans leur testament un mode de sépulture simple. Guichard, qui a fait de longues et savantes recherches sur les funérailles des anciens, s'exprime ainsi : «Cela est d'autant plus digne d'admiration <«< que la Grèce étant divisée en plusieurs provinces et républiques, gou<< vernées par loix, coutumes et cérémonies diuerses, elles se soyent néant«moins si bien accordées touchant ce poinct, que tous également l'ayent <«<eu en singulière recommandation, et n'ayent non plus que les Romains <«< admis entre eux que deux manières d'ensevelir, l'une qui est d'enterrer, «<l'autre d'ardre les personnes décédées.»>

Chez les anciens peuples, la pensée que leurs divinités principales habitaient les régions supérieures, que le feu purifiait, qu'il réduisait en vapeur nos corps, qu'il n'en restait que la partie terreuse appartenant à notre globe, que le reste se rattachait à la spiritualité et montait vers la divinité, avait sans doute suggéré aux hommes l'idée de brûler les morts. Euripide dit que le corps de Clytemnestre fut purgé et nettoyé par le feu. Héraclyte professait en principe que le feu était le commencement et la fin de toutes choses, que tout vient de là et que tout doit y rentrer. Héraclyte connaissait-il la théorie plutonienne de nos jours, et pensait-il qu'à la fin des siècles notre planète viendrait à s'embraser de nouveau ? En parlant de ce philosophe, Guichard dit : «De faict, nous treuons «qu'Héraclyte s'estant barbouillé et frotté de bouse de vache à guise de «quelque onguent ou huile précieuse, il se précipita dedans le feu; belles

«funérailles, certes! et dignes d'un philosophe qui voulait monstrer le <<< chemin aux autres, de se brusler non pas après leur mort, mais encore <«< vivans en si honnête équipage.>>

Les sépultures avaient lieu hors des villes, sur le bord des grands chemins, dans les jardins, sur les rivages de la mer, sur les bords des fleuves, au-dessus du niveau des débordements, et quelquefois dans les temples des dieux. Euripide rapporte que Médée ensevelit ses enfants de sa propre main, et qu'elle fit porter leurs corps dans le temple de Junon, afin que nul de ses ennemis n'osât remuer leur cendre.

On jetait sur les bûchers et dans les tombes des fleurs, de l'herbe; on faisait des libations ́en vin, huile, lait, parfums de tout genre, bois odoriférants, etc. On faisait aux morts des offrandes de toute espèce; Euripide fait dire à Oreste: «La nuit passée, étant allé sur le tombeau de mon « père, j'ai pleuré dessus et lui ai fait l'offrande de mes larmes, de la ton<«<sure de mes cheveux et du sang d'une brebis immolée sur la pyre.»

Plus loin, Electre, en parlant du sépulcre d'Agamemnon, s'exprime ainsi : « Sa tombe déshonorée et méprisée n'a reçu aucune effusion, ni ra«meaux de myrte, et la pyre est déserte de toutes parures et ornements.»>

Les Grecs portérent au plus haut degré la pompe des funérailles, et ils allèrent plus loin que les Perses et les Egyptiens; ils élevèrent les grands hommes au rang des dieux, et créérent les honneurs de l'apothéose.

Les Romains empruntèrent aux Grecs une foule d'usages et copiérent, en grande partie, leur rite funéraire; ils portaient le plus grand respect aux morts et aux tombeaux. Cicéron disait: «Un peuple ne doit qu'à sa piété sa conservation et ses succès. » Cette raison était sans doute grande pour maintenir en eux les principes religieux, et les cérémonies funėbres en étaient une partie importante.

Le premier de tous les honneurs rendus aux morts était l'érection d'un bucher; les frais d'une cérémonie funèbre s'élevaient quelquefois à des sommes énormes, surtout quand il s'agissait de l'apothéose d'un grand citoyen ou d'un empereur. Un assez grand nombre de médailles furent frappées à cette occasion, le mot consecratio nous l'indique; des pierres gravées, des bas-reliefs, des vases, nous apprennent également l'apothéose de quelques grands hommes de l'antiquité grecque et romaine.

Plusieurs auteurs parlent de la chemise d'amiante qui était employée en pareil cas, pour garantir les cendres du mort de toute espèce de mélange. J'ai vu et touché plusieurs tissus d'amiante, j'en possède même un morceau; mais je doute fort qu'une chemise semblable, tout incombustible qu'elle est, puisse résister au fracas et au tumulte d'un bûcher embrasé; si elle a été employée, elle a dù l'être sans succès.

Chez les Romains les honneurs étaient proportionnés à la fortune, ou aux services rendus. L'inhumation simple était réservée aux basses classes, mais le respect pour les tombeaux était général; tout individu qui aurait fait une insulte à un mort était condamné à perdre la vie.

On regardait comme un bonheur spécial de recevoir les derniers soupirs d'un agonisant; c'était un grand malheur dans une famille, si l'un des membres succombait en pays étranger; aussi plaçait-on sur la tombe cette triste inscription: « Parentes infelicissimi filio infelicissimo,»

Un Romain qui mourait au milieu des siens était à l'instant même visité par ses proches et ses amis; on lui fermait les yeux, on l'appelait plu

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