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cette période finale, les applications variées de notre sigle hiéroglyphique, si habilement recueillies et élucidées par M. de Longpérier (1), sont devenues ainsi, à double titre, le critérium obligé de toute solution de cette énigme. Le savant Directeur de la Revue numismatique me pardonnera, dans l'intérêt de la vérité, notre but commun, de lui emprunter ses descriptions en les transcrivant textuellement pour n'en affaiblir en rien l'autorité, et de reproduire les principaux spécimens qu'il a tirés de l'oubli.

J'exposerai d'abord l'ensemble des documents sur lesquels M. de Longpérier s'est fondé pour donner à l's barré du XVIe siècle, l'unique signification de fermeté et de constance. Puis, intervertissant l'ordre suivi par l'honorable académicien, je terminerai par la discussion des jetons et autres spécimens dont l'interprétation nécessite des éclaircissements préalables.

« N° 1. IANNE P. LA G. DE DIEV ROYNE D. NAVAR Buste « de Jeanne d'Albret.

« Revers. † GRATIA DEI SVM ID QVOD SVM. 1565. Dans le champ, deux s barrés et placés en sens opposé; le champ diapré de rinceaux. Argent.

N° 2. IEHANNE PAR LA G. D. DIEV R D. NAVAR. Buste a de Jeanne d'Albret.

« Revers. HASTA LAMVERTE. Dans le champ, un grand S « barré. Cuivre.

« No 3. DIEV EST LA FIN DE MON COMPTES. Chiffre com

• posé d'un H, au milieu duquel est posé un grand S a fermé; le tout entre deux branches de laurier; au<< dessus une couronne royale.

« Revers, CE Q. SVIS P. LA GRACE DE DIEV SVIS. 1565.

(4) Rev, numism., 1856, p. 268-276, et pl. VIII,

Écu, aux armes parties de Navarre-Bourbon et de « Bearn-Albret, timbré d'une couronne royale fermée. < Argent.

« N° 4. CATHARINA REG. SOR. VNIC. NAVAR PRINC. Dans « le champ, groupe composé de quatre C qui s'entrecoupent, accompagnés de quatre s barrés.

a

• Revers. CATENIS TANDEM LILIA GAVDENT. Écu en forme de losange, parti de France et de Navarre, accompagné de deux branches de laurier et timbré d'une couronne ouverte. Argent.

« No 5. CATHERINE SŒEVR VNICQVE DV ROY. Deux écus, « l'un aux armes de Lorraine, l'autre écartelé de France et de Navarre, surmontés d'une couronne « ouverte; au-dessous, un chiffre composé d'un H et « de deux C.

Revers. IMPERSVASIBILIS. Grand S barré, formé par ⚫ un serpent, surmonté d'une couronne ouverte, et accompagné de deux palmes; au-dessous, un cartel « sur lequel est inscrit 1600. Argent.

N° 6. Mêmes types. Ce côté est frappé avec le « coin qui a servi pour le jeton décrit sous le n° 5.

« Revers. ARDENS EVEXIT AD ÆTHERA VIRTVS. Champ ⚫semé de flammes, au milieu desquelles est placé un « chiffre composé d'un H et de deux C. Argent. »

Un peu plus loin, l'honorable écrivain rappelle qu'il existait, dans la collection de M. de Bruges, un coffret émaillé en bleu, tout parsemé d's barrés, et décoré, en outre, du chiffre d'Anne d'Autriche, entre quatre s. Puis, avec un bonheur qui n'échoit qu'au savoir, M. de Longpérier exhume d'une boutade d'Étienne Tabourot, sur les rébus de Picardie, la preuve qu'un s fermé d'un trait signifiait alors fermesse pour fermeté, et fait une application fort plausible de cette opinion à deux des jetons qu'il décrit.

Quelques mois plus tard, la révélation du Sieur des accords est confirmée par la découverte d'un passage des OEuvres du chanoine Loys Papon, poète forésien de la dernière partie du XVIe siècle, intitulé: La fermesse d'amour (1). Enfin, l'érudit philologue complète sa dissertation en faisant dériver le mot fermesse de l'espagnol firmeza.

Mais ces variantes frivoles du symbole biblique ne sont, si je ne m'abuse, qu'une face accidentelle de la question qui nous occupe, et j'espère démontrer que, voilé momentanément par l'expression d'une idée concomitante, le principe a survécu à ces déviations éphémères. D'abord, le rébus fermesse signalé, pour la première fois, par Étienne Tabourot, et présenté par M. de Longpérier comme un espagnolisme du XVIe siècle, ne saurait, par cela seul, être la clef d'une énigme dont il est maintenant avéré que l'existence remonte, au moins, au XIV: d'où suit que, la figure étant demeurée exactement la même, la signification nouvelle qui lui a été donnée dans certains cas doit se rattacher à une cause seconde.

Pénètre-t-on plus avant? La preuve de cette induction découle de l'essence même de ce jeu de mots métonymique, qui prend sa source dans l'identité radicale des termes exprimant la cause et l'effet, fermer et ferme, firmare et firmus, sippòs lien, špμa clôture, lesquels dérivent tous du celtique ferm. C'est ainsi que, fermeture allégorique de la vie terrestre au XVe siècle, la barre appliquée à l's étant considérée, dans la seconde partie du siècle suivant, comme élément de

(1) Revue numism., 1857, p. 178.

fermeté, à raison de la jonction des extrémités de l's à son centre, le pieux symbole des XIV et XVe siècles devint naturellement l'emblème caractéristique de l'énergique et pieuse mère de Henri IV (1). C'est ainsi que, inspiré par la corrélation de l'élément phonétique s et de la qualité inhérente à la liaison de ses courbes, le rébus fermesse a dû, ce me semble, se former directement par la simple conversion de l'esse fermée, et par suite ferme, en ferm-esse (2), dénomination. rappelant la figure, base essentielle de ce jeu de mots. Vers le même temps, Gilles Corrozet procédait de cette manière, en adoptant pour emblème une rose dont le centre, légèrement teinté de rouge, signifiait clairement alors, pour les nombreux adeptes de cette science à la mode, corrozet, ceux en latin, cor, rosé.

Poète observateur et concis, Loys Papon nous présente, sous le voile de l'allégorie, une idée assez nette de ce mode de composition quintessenciée dans cet élégant sixain, La Fermesse d'amour :

Fermesse dont l'Amour peint un chiffre d'honneur
Comme en l'escriture, et rare dans le cueur,

Tes liens en vertus les fidelles asseurent ;

Mais, ainsi que la forme est d'un arc mis en deux,

Le dezir inconstant froisse et brisse tes nœudz,
Ce pendant que les mains la fermesse figurent.

Cette variante de la fermesse, citée par le sieur des

(1) C'est par application de ce même principe qu'on a donné le nom générique d'infirmités (défauts de fermeté), à tout affaiblissement physique résultant de la rupture des liens normaux de notre orgamisme, et que, dans l'ordre moral, on désigne par l'expression: infirmité de la nature humaine, la faiblesse intellectuelle, dont le défaut de liaison de nos idées est la principale cause.

(2) Naguère encore le caractère s, classé dans le genre féminin,

Accords, est représentée dans un champ semé de flammes renversées, sous la figure d'un s formé d'un arc rompu, dont les deux moitiés sont appliquées en un sens opposé, le long d'une flèche, image de mobilité et d'inconstance, ainsi transformée en lien, élément de fixité comme de fermeté.

Des allusions contenues dans cette petite pièce, deux seulement me paraissent utiles à relever pour la solution de notre énigme. La première, ainsi exprimée: comme en l'escriture, a déjà été, justement signalée par M. de Longpérier, comme se référant à l'usage de tracer des s barrés en tête des lettres et autour de la signature (1). Je me bornerai donc à ajouter, à l'appui de ma proposition, qu'il résulte des quatre derniers vers, que l'attribut de fidélité, de constance (fermeté morale), attaché à cette fermesse, réside uniquement dans la liaison des deux parties de l'arc dont elle est composée.

Ces subtilités métaphysiques paraîtront, sans doute, bien futiles aujourd'hui; mais, au XVIe siècle, elles étaient l'objet d'un engouement universel: force m'était donc de les analyser, pour établir l'enchaînement des idées entre les deux emplois du même signe à deux siècles de distance.

Un coup-d'œil sur les événements et sur les documents historiques de la dernière époque terminera ces explorations, fastidieuses sans doute; mais la vérité

s'appelait esse et le laconique passage d'Étienne Tabourot concernant notre sigle, est conçu en ces termes : « Une s fermée avec un traict ainsi, s pour dire fermesse au lieu de fermeté. (Bigarrures du sieur des Accords, chap. I des Rébus de Picardie.) (1) Rev. num., 1857, p. 178.

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