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spéciale du Doyen de la Faculté des lettres de Paris, le savant Victor Leclerc, les cahiers sont devenus des volumes, où un sujet est étudié et traité sous tous ses aspects, et toutes les Facultés à peu près, suivant ces exemples, réclament ou attendent, pour les thèses de doctorat, de grandes et importantes compositions, qui reparaissent sous forme de livres, et s'adressent alors, non plus à la Faculté seule, mais au public. C'est sur ce vaste ensemble que s'exerce la critique des juges dans l'épreuve solennelle de la soutenance. On a rendu ainsi l'obtention du grade suprême d'autant plus flatteuse qu'elle est justifiée par un travail personnel plus sérieux.

Quoi qu'il en soit, Messieurs, il est intéressant de conserver les vestiges des anciens usages de notre vieille et célèbre Université. Aussi garderons-nous cette thèse de Halley comme un spécimen curieux pour le fond, et assez rare pour la forme, des épreuves subies il y a 200 ans, et nous témoignerons au donateur notre gratitude pour avoir confié ce dépôt à la science et au patriotisme de la Compagnie. THÉRY.

Saint-Simon, considéré comme historien de Louis XIV, par M. Chéruel. Paris, 1865, 1 vol. in-8o,

MESSIEURS,

M. Chéruel a fait hommage à la Société de sa récente Étude sur Saint-Simon, Vous m'avez fait l'honneur de m'en confier l'examen et de vous apprendre de quel nouveau trésor votre Bibliothèque venait de s'enrichir.

Les Mémoires du duc de Saint-Simon sont l'une des œuvres que l'on consulte le plus souvent et avec

le plus de plaisir pour l'histoire de la fin du règne de Louis XIV et le commencement de celui de Louis XV. Cette époque, double en quelque sorte, sollicite au plus haut degré l'attention de l'historien et les méditations du philosophe. Elle nous montre, en effet, d'une part, les défaillances de la monarchie brillante dont les prestiges sont enfin tombés; et, d'une autre part, une royauté naissante que les courtisans, par leurs détestables inspirations, conduisent fatalement à l'abime.

Ces mémoires ont été publiés pour la première fois en 1788. Ils sont donc, quant à la date, presque à la tête de cette vaste collection de documents que nous possédons aujourd'hui, grâce à ces travailleurs infatigables, à ces fouilleurs ardents, parmi lesquels nous nous honorions naguère de compter nn directeur. Qu'à cette occasion il me soit permis de rendre hommage à ces architectes babiles et spéciaux qui, à l'aide de ces débris péniblement arrachés au passé, construisent le vaste et désormais impérissable monument de notre histoire.

Quelle que soit l'importance de leur matière, c'est à une cause moins sérieuse que les Mémoires de Saint-Simon doivent leur singulière célébrité : c'est le style de l'auteur qui en a surtout fait la fortune. Ce style est, en effet, d'une originalité si grande qu'il semble n'avoir pas eu de modèle, et il ne parait pas, jusqu'à présent du moins, qu'il puisse avoir des imitateurs. La plume dans la main du noble écrivain es souvent comme un pinceau dans celle de Tacite; mais, quand la passion l'emporte, le pinceau s'égare, et c'est souvent une figure de fantaisie qu'il nous donne au lien d'un portrait qu'il nous promettait, et si les por

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traits qu'il nous a laissés sont souvent des chefs-d'œuvre de peinture, ils ne sont pas toujours des chefs-d'œuvre de ressemblance. C'est ainsi qu'en voulant faire l'éloge de Louis XIII, pour lequel il ressentait l'admiration la plus profonde et la plus sincère, il fait involontairement une critique assez amère de son père. Il raconte que, dans deux circonstances, son père eut à subir les réprimandes du roi. Citons la seconde : « L'autre réprimande fut sur un autre article et plus sérieuse. « Le roi était véritablement amoureux de Mlle d'Hau«tefort il allait plus souvent chez la reine à cause « d'elle, et il était toujours à lui parler. Il en entre<< tenait continuellement mon père, qui vit clairement << combien il en était épris. Mon père était jeune et a galant, et il ne comprenait pas un roi si amoureux, « si peu maître de le cacher et en même temps qu'il « n'allât pas plus loin. Il crut que c'était timidité, « et, sur ce principe, un jour que le roi lui parlait « avec passion de cette fille, mon père lui témoigna la « surprise que je viens d'expliquer et lui proposa d'être « son ambassadeur et de conclure bientôt son affaire. « Le roi le laissa dire; puis, prenant un air sévère : « Il est vrai, lui dit-il, que je suis amoureux d'elle, « que je la sens, que je la cherche, que je parle « d'elle volontiers et que j'y pense encore davantage, << il est vrai encore que tout cela se fait en moi, malgré « moi, parce que je suis homme et que j'ai cette fai«blesse; mais, plus ma qualité de roi me peut donner « plus de facilité à me satisfaire qu'à un autre, plus je dois être en garde contre le péché et le scandale. « Je pardonne pour cette fois à votre jeunesse; mais « qu'il ne vous arrive jamais de me tenir un pareil « discours, si vous voulez que je continue à vous

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aimer. » Ce fut pour mon père un coup de tonnerre;

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les écailles lui tombèrent des yeux, et l'idée de la « timidité du roi, dans son amour, disparut à l'éclat d'une vertu si pure et si triomphante (1). »

des

Pourquoi les écailles ne sont-elles pas tombées aussi yeux du fils? Comment ne s'est-il pas aperçu qu'en voulant faire par cette anecdote l'éloge de la vertu de Louis XIII, il livrait son propre père au mépris de ses lecteurs ?

Infatué de sa noblesse et en particulier de sa duchépairie, il poursuit des traits les plus acérés tous ceux qui, de près ou de loin, se sont opposés à ses prétentions. Parmi ces adversaires, il compte le maréchal de Luxembourg, qu'il ne pouvait méconnaitre puisqu'il avait servi avec lui, puisqu'il l'avait vu sur les champs de bataille. Mais Luxembourg avait élevé une question de préséance. Luxembourg est un intrigant que l'adresse et, quand il le fallait, la bassesse servait bien (2). Il traite avec la même rigueur et la même injustice ce Lamoignon qui commandait un respect universel par une vie tout entière de science et de vertu; mais Lamoignon avait été l'un des promoteurs d'ane question d'étiquette que Saint-Simon n'agréait pas: Lamoignon est un scélérat (3).

Cette question, c'était celle du bonnet: permettezmoi, Messieurs, de vous la rappeler. Les membres du Parlement se partageaient en deux grandes fractions: dans l'une, les simples conseillers nommés directement par le roi; et, dans l'autre, les ducs et pairs siégeant

(1) Mémoires de Saint-Simon, édition Charpentier, t. I, p. 90 et 91. (2) Ibid., t. I, p. 192.

(3) Ibid., t. VIII, p. 198 et suiv. Voir toute l'affaire de Fargues.

de droit, par le fait seul de l'érection de leur duchépairie. Pendant bien longtemps, l'usage avait été que lorsque le président recueillait les suffrages, il mettait une certaine différence dans la manière de les re cueillir, suivant qu'il s'adressait à l'une ou à l'autre de ces fractions. Quand il demandait les avis des simples conseillers, il les demandait poliment, sans doute, mais sans autre déférence que la simple politesse et le bonnet sur la tête; mais, quand il s'adressait à ces bancs élevés sur lesquels siégeaient messieurs les ducs et pairs, il adressait à chacun d'eux un salut particulier du bonnet. A une certaine époque, que nous avons jugé inutile de rechercher, mais qui se rapporte aux temps: de la Fronde, où les simples conseillers farent singulièrement caressés par la grande noblesse qui avait besoin d'eux, un président s'affranchit de ce salut du bonnet, qui faisait peser sur certains membres d'un même parlement une choquante inégalité; ses successeurs l'imitèrent, et lorsque Saint-Simon, duc et pair, arrivé à l'âge requis veut prendre possession de son siége au Parlement, l'usage du salut du bonnet était encore inobservé. Il fallait rétablir cet usage dans toute sa rigueur première, et ce, non pas par un ordre du roi, mais bien en vertu d'un arrêt dùment enregistré du Parlement, qui prononcerait ainsi contre lui-même et dans sa propre cause.

Telle était la question du bonnet à laquelle SaintSimon attachait une si grande importance que, dans un moment critique où la couronne était en péril, il ne craignit pas de lui subordonner ces intérêts d'un ordre si élevé. Lorsque le duc d'Orléans, s'apprêtant à faire casser le testament de Louis XIV, s'assurait à l'avance des votes qui pouvaient lui donner la majorité

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