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prescription administrative d'un ordre supérieur dans l'art. 15, ordonnant qu'à l'avenir, tous les trois ans an moins, des enquesteurs idoines parcourront, au nom du roi, le duché de Normandie, pour corriger et réformer les excès et abus des officiers royaux.

Parmi les articles concernant la justice, il en est deux consacrant des règles excellentes, très-utiles sans doute à l'époque où la Charte avait été promulguée, mais que le progrès de la législation civile et criminelle avait rendus inutiles à la fin du XVIIIe siècle. Nous voulons parler des art. 16 et 19, déclarant le premier, qu'aucun homme ne pourra être soumis à la question, si des conjectures vraisemblables ne le rendent fortement suspect de crime capital; le second, que toute revendication de propriété, émanât-elle des agents du fisc, s'éteindra par un silence prolongé durant 40 ans.

Mais les art. 18 et 22 concédaient aux Normands une double prérogative qui, nous le croyons, eût été encore réclamée avec vivacité par les contemporains des événements qui précédèrent la Révolution française. Ces articles déclaraient que les Coutumes civiles du duché de Normandie ne pourraient être changées, et que tous les procès naissant dans le duché devraient y recevoir une solution définitive, sans aucune évocation au Parlement des rois de France. De tous les sacrifices faits par les anciennes provinces au développement complet de l'unité française que notre grande Révolution était destinée à établir, celui des Coutumes particulières fut un des plus lents à se produire. En 1788, il n'entrait pas encore dans les prévisions des habitants de la Normandie.

Mais si nos pères, il y a moins d'un siècle, eussent à peu près unanimement, nous le pensons du moins,

voté la conservation de leur sage Coutume et aussi celle de leur Parlement national, ils n'eussent pu réclamer contre une classe essentiellement honorable de leurs concitoyens le privilége établi par l'art. 17 de la Charte, Cet article interdit à tout avocat de recevoir plus de 30 livres tournois à titre d'honoraires, quelque importante d'ailleurs qu'ait pu être la cause dans laquelle il aurait plaidé ou consulté.

Il nous reste encore, pour terminer cette rapide analyse, quatre articles de la Charte, concernant les impôts et redevances qui peuvent être dus aux rois de France.

Trois de ces articles ne pouvaient guère offrir d'intérêt pratique au siècle dernier. Les art. 10 et 11 réglementent, en effet, le droit de tiers et danger, conférant au duc de Normandie 35 pour 100 et au-delà, à prendre sur les coupes de bois de quelque importance opérées dans la province, à moins d'une exemption spéciale. Mais cet impôt, perçu en nature et toujours subi avec impatience par les propriétaires normands, avait été aboli, en 1619, par un édit du roi Louis XIII. Quant à l'art. 14, que devait reproduire plus tard le chapitre xxIII de la Coutume de Normandie rédigée en 1577, il attribue à tous les possesseurs de fiefs situés près du rivage de la mer, le droit de varech et choses gaives qui, dans les autres provinces, était habituellement considéré comme incorporé au domaine royal. On appelait de cette antique désignation la faculté de profiter des objets précieux rejetés par les flots, en supposant que leur vrai maître ne se fit pas connaître; et s'il se présentait, celle d'exiger de lui des droits de sauvetage considérables.

Mais l'art. 7, au premier abord, offrait pour nos pères

un autre caractère. Parmi les dispositions diverses de la Charte aux Normands, cet article, évidemment, avait été considéré, de tout temps, comme le plus important. C'était lui, avant tous les autres, qu'avaient entendu remettre en lumière les confirmations des rois de France, successeurs de Louis X.

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Par cet article, le roi promet expressément que: Dorénavant, par nous ou nos successeurs, ne pour«ront et ne devront être imposées et levées, sur les « personnes demeurantes au duché de Normandie, « aucunes tailles, subventions, impositions ou exac«<tions quelquonques; outre les rentes, cens et aides << chevels qui nous sont dus, sans une évidente utilité et « une urgente nécessité. »

Ainsi, dans les temps calmes et paisibles, le roi doit vivre de son domaine, comme on disait alors, et ne demander aucuns impôts à ses sujets normands. L'éridente utilité et l'urgente nécessité d'en agir autrement forment, il est vrai, une exception qui, bien souvent, ne pourra manquer d'obscurcir la règle. Il est même à remarquer que, pour cette occurrence, la Charte aux Normands ne parle pas du consentement des États; elle paraît s'en rapporter alors à la sagesse du monarque, assisté de son Conseil. Il faut aller jusqu'à l'année 1458 pour trouver, dans l'édit du roi Charles VII, qui reproduit textuellement l'art. 7 de la Charte aux Normands, l'addition suivante: « En cas d'urgente né« cessité, les impositions seront établies comme il a « été fait et usé coutumièrement dans le temps passé << par la convention et l'assemblée des gens des trois « États du duché de Normandie. »

Cette disposition additionnelle s'incorporant avec le texte primitif, la Charte aux Normands, en supposant

qu'elle revint en vigueur, se trouvait exiger le consentement des États de Normandie pour l'établissement des impôts perçus dans la province. Mais la garantie dont nous parlons, très-réelle encore au milieu du XVe siècle, était-elle vraiment praticable en 1788? Une réponse négative nous paraît certaine.

La monarchie française, alors, n'était plus une simple agglomération de provinces gouvernée féodalement par un chef unique, auquel les besoins restreints d'une civilisation imparfaite n'imposaient presque pas de dépenses générales, communes à toute la nation. C'était, comme de nos jours, avec une organisation moins parfaite sans doute, un État puissant dont l'unité faisait surtout la force. Il ne pouvait dépendre dès lors d'une partie de cet État de se soustraire aux dépenses indispensables pour le fonctionnement complet et harmonieux de la vie nationale. Si notre ancienne monarchie, à l'exemple de celle de l'Angleterre, eût été appelée à se constituer selon la forme moderne, tout en conservant les bases primitives de son développement historique, les États-Généraux, assurément, eussent décrété des impôts de diverse nature communs à tout le royaume. Pour les États particuliers de chaque province, il n'eût pu s'agir que de voter des taxes locales, et aussi de répartir la somme d'impôts directs affectés par l'Assemblée nationale à la contrée spéciale qu'ils représentaient.

Ainsi, sous quelque point de vue qu'on se place, la réapparition de la Charle aux Normands, en 1788, ne pouvait guère présenter d'utilité pratique ; fussions-nous rajeunis d'un siècle, il conviendrait de placer ce diplôme célèbre parmi les débris d'un passé disparu sans retour. Nous devrions l'envisager avec l'intérêt mélan

colique qui s'attache aux ruines, alors que nous songeons combien il fallut d'efforts aux générations qui nous ont précédés dans l'existence, pour édifier des monuments dont les vestiges écroulés ne sauraient plus nous servir.

Jules CAUVET.

L'Archæologia, t. XXXIX, part II.

MESSIEURS,

J'ai à vous rendre compte de la deuxième partie du trente-neuvième volume de l'Archæologia, recueil des communications et lectures que la Société des Antiquaires de Londres, après les avoir entendues, juge dignes d'être publiées.

Le premier regard jeté sur la table de ce beau volume, en me faisant connaître la richesse des études de nos confrères d'Outre-Manche, m'a permis de juger tout d'abord combien est difficile la tâche que vous m'avez fait l'honneur de me confier, et je regrette fort pour vous que les travaux de mon savant maître, M. Cauvet, ne lui aient pas permis de l'accepter. La variété de son érudition, bien connue ici et ailleurs, eût suffi sans effort à la variété de tant de sujets : histoire ancienne, histoire du moyen-âge, beaux-arts, biographie, histoire du Droit, blason, études orientales, toutes ces matières sont traitées dans ce livre, que je ne songe pas à vous faire connaître en entier je n'arrêterai votre attention que sur les notices qui me sembleront devoir le plus vous intéresser.

C'est d'une question relative à l'organisation féodale de la propriété que je me propose d'abord de vous entretenir.

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