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PREFACE.

Je n'aurais probablement pas entrepris d'écrire l'histoire de la Normandie sous la dynastie de Guillaume-le-Conquérant, si je n'y avais été fortement engagé par M. Éd. Frère, libraire très zélé pour toutes les recherches relatives à l'état ancien de sa patrie, et qui, ayant publié les deux volumes laissés par feu Th. Licquet, bibliothécaire à Rouen, sur l'histoire de la Normandie, désirait faire continuer et compléter cet ouvrage. Ayant montré naguère dans mon Histoire des expéditions des Normands, et de leur établissement en France au xe siècle, comment, par l'impéritie d'un roi de France, et par l'habileté d'un chef normand, la Neustrie fut détachée du royaume, j'ai été peut-être excusable aussi en reprenant la plume pour faire voir comment, au bout de trois siècles, cette même province sortit des mains de l'Angleterre pour rentrer sous la couronne de France; cette fois, grâce à l'habileté d'un autre roi, et à l'impéritie d'un autre duc de Normandie.

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Quoique l'histoire des provinces d'un grand

Histoire de Normandie, depuis les temps les plus reculés jusqu'à la conquête de l'Angleterre en 1066. Rouen, 1855; Ed. Frère et Nic. Périaux, éditeurs. 2 vol. in-8°.

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royaume, prises isolément, n'offre en général qu'un intérêt secondaire, la Normandie fait pourtant une exception; car son histoire se lie intimement à celle de l'Angleterre et de la France, et à plusieurs grands événemens du moyen âge. La Normandie est le premier motif de la rivalité entre les deux grandes puissances; rivalité qui, trop féconde en maux, malgré quelques suites avantageuses, s'est prolongée durant des siècles. Le règne des descendans du conquérant de l'Angleterre offre d'ailleurs de grandes leçons au monde: on ne peut y méconnaître cette justice distributive, appelée Némésis par les anciens, punition du ciel par les chrétiens, cette justice dont la main puissante et invisible rétablit l'équilibre du monde social lorsqu'il a été troublé par les crimes des souverains et des peuples.

Une considération capable de détourner l'écrivain qui veut retracer cette histoire, c'est le défaut de documens; non pas que l'on manque d'annales et de chroniques; il y en a de très détaillées; celles d'Orderic Vital, de Robert de Thorigny, de Benoît de Péterborough sont de ce nombre; mais presque toutes ces chroniques ont été écrites dans les cloîtres, par des hommes peu attentifs à la marche de l'esprit humain, et à

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la vie du peuple; celui-ci s'est mis lui-même peu en peine de laisser à la postérité des traces de ce qui l'avait occupé, agité ouému. Nous avons des amas de chartes constatant les moindres dons faits aux églises et couvens; nous en possédons très peu sur la naissance et le développement des communes; ce n'est que par-ci par-là que l'on parvient à découvrir quelque acte relatif à l'état du commerce et de l'industrie. Il est heureux que Madox, dans le précieux trésor intitulé Histoire de l'Échiquier d'Angleterre, ait extrait des rôles de cet établissement quelques faits relatifs à la Normandie : peut-être les archives d'Angleterre renferment-elles encore d'autres documens concernant l'histoire de cette province quant à la Normandie même, elle paraît en posséder très peu. Cette rareté de documens se fait remarquer, au reste, plus ou moins, dans toutes les parties de l'histoire du moyen âge. Nous sommes plus riches en pièces diplomatiques; il y en a peu qui aient péri.

Il faut rendre aux savans de la Normandie la justice de reconnaître que leur zèle à éclaircir les antiquités de leur pays nous a valu des ouvrages pleins d'érudition et de critique : j'ai profité quelquefois des fruits de leurs recherches.

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Peut-être me demandera-t-on quels résultats inattendus j'ai à présenter aux lecteurs, et sous quel point de vue neuf j'ai envisagé l'histoire de la Normandie; car voilà ce que plusieurs personnes exigent aujourd'hui de l'historiographie. Je leur répondrai que c'est, non pas un ouvrage philosophique sur l'histoire, mais un récit historique que j'ai prétendu faire. J'ai tâché de présenter simplement les faits consignés dans les chroniques, les annales, les chartes et les autres documens, et de dérouler la série des événemens comme le temps les a fait éclore; je les ai exposés, sans les interpréter. Toutes les fois que les historiens présentaient diversement les faits, j'ai tâché de me placer au point de vue le plus proche de la vérité. Je n'ai apporté à mon travail ni système, ni préventions; toutefois je n'ai pas été impassible à l'aspect de la barbarie et des abus de la force qui ont désolé le moyen âge; mais je ne pense pas avoir été injuste envers les gouvernemens, les peuples, ou quelque classe de la société.

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