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CAPTIVITÉ DE WALTHEOF.

lui rendre la liberté, et Roger resta en effet dans la captivité, quoiqu'il survécût à son ennemi.

Waltheof n'avait point pris les armes contre le souverain d'Angleterre ; mais Judith, sa femme, le dénonça comme le complice du chef normand et du chef breton. C'eût été, en effet, la première révolte en Angleterre, depuis la conquête, sans qu'il y eût des Anglo-Saxons dans le complot. Nous avons vu que, selon l'historien Florent de Worcester, Waltheof, ne pouvant nier sa présence aux noces de Raoul, où la conspiration avait été tramée, alla trouver le roi en Normandie, et se mit entre ses mains à discrétion 2. Orderic Vital, probablement mieux instruit, se borne à dire que Waltheof fut cité devant la cour du roi, et que son procès fut différé pendant un an. Il fut enfermé au château de Norwich, et là, il passa son temps à réciter des psaumes, et à converser et prier avec les prêtres. Des juges normands le condamnèrent enfin à la mort, et un

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Quod audiens rex iratus: Per splendorem Dei! de carcere in

omni vita meâ non exibit. » Orderic Vital, lib. 4.

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Illius misericordiæ ultro se dedit », dit aussi Th. Walsingham dans son Ypodigma Neustriæ, ad ann. 1074.

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matin, à l'aube du jour, il fut conduit hors de la

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Il demanda à réciter encore l'Oraison dominicale; quand il arriva aux mots et ne nous induisez pas en tentation, des sanglots suffoquèrent sa voix le bourreau se hâta de lui abattre la tête, après quoi il acheva lui-même la prière, et délivrez-nous du mal, en soulevant la tête de Waltheof. On se pressa d'enterrer le corps dans un fossé et de le couvrir de feuillage, avant que le peuple fût averti du supplice.

2

Cependant les moines de Croyland obtinrent, peu de temps après, la permission d'enterrer leur bienfaiteur dans leur abbaye; sa veuve profita de la confiscation de ses terres pour se les faire donner; mais elle n'en jouit pas long-temps. Son refus d'épouser Simon de Senlis, un des courtisans du roi, la fit tomber dans la disgrâce; elle perdit ses biens, et alla finir sa vie dans une retraite obscure. 3

Waltheof avait été le dernier héros anglo

Orderic Vital, lib. 4.

2 Ibid.

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Deinceps omnibus suspecta, et digne despecta fuit. » Ingul

phi Histor. Croyland.

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'CULTE DE WALTHEOF.

saxon; ayant été aussi pieux que charitable, if fut regardé comme un saint martyr. Lanfranc dit tout haut qu'il voudrait mourir comme Waltheof. Le bruit des miracles attira la foule vers son tombeau, malgré les efforts que firent les Normands de tourner en dérision ce culte spontané rendu à la mémoire d'un pieux anglo-saxon*, et malgré la destitution de l'abbé du monastère, qu'ils déclarèrent coupable d'idolâtrie 3. Des complices de Waltheof, ou des hommes que les Normands soupçonnaient de connivence avec lui, furent punis, les uns par l'exil et la confiscation de leurs biens; les autres par la mutilation de leurs membres, selon l'usage barbare du temps 4. On crut dans la suite remarquer que Guillaume, depuis le supplice de Waltheof, n'était plus heureux, qu'il ne gagnait plus de bataille, et qu'il ne prenait

I

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Seque felicem fore si post exitum vitæ, illius felici potiretur requie. » Florent. Wigorn., Chron.

2 Order. Vital, lib. 4. - Petri Blesens. Contin. Hist. Croyland. 3 Ingulphi Hist. Croyl.

4

α

Rex reversus de Normanniâ, eorum qui in illum conjuraverunt, quosdam exlegavit, quosdam erutis oculis, vel manibus truncatis, deturpavit. Th. Walsingham, Ypod. Neustr., ad

ann. 107

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SOULÈVEMENT DES BRETONS.

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plus de ville assiégée par lui. C'était, disait-on, une punition du ciel.

Au premier avis donné par ses lieutenans, Guillaume avait passé en Angleterre ; mais voyant la révolte si promptement et si efficacement étouffée, il jugea que sa présence serait plus nécessaire en Normandie, où l'appelaient d'ailleurs diverses affaires.

Les Bretons qui avaient conspiré contre lui en Angleterre, et qui avaient pris la fuite, rentraient dans leur pays, et y excitaient les esprits contre le conquérant normand. De concert avec la France, on y préparait en secret des moyens de résistance. Hoel V se déclara ennemi de celui qui prétendait être son suzerain. Guillaume rassembla ses troupes, et vint investir la place forte de Dol. Le duc de Bretagne appela au secours de la place son allié le roi de France, tandis que Alain Fergent, fils du duc, y jeta des renforts. Guillaume ne pouvant maintenir le siége, se retira,

I

« Pro interfectione Guallevi comitis, Guillelmus rex a multis reprehensus est, et multis contra eum insurgentibus justo Dei judicio multa adversa perpessus est, nec unquam postea diuturnâ ace potitus est, etc. » Order. Vital, lib. 4.

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DÉSUNION ENTRE GUILLAUME

en attendant une occasion plus favorable pour faire valoir le droit de suzeraineté. '

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du

Une affaire plus grave occupait le Conquérant. Avant l'expédition d'Angleterre, il avait solennellement promis à son fils aîné Robert de lui abandonner le duché de Normandie. Nous avons vu que Robert exerça pendant quelque temps des fonctions de gouvernement avec sa mère la reine Mathilde, mais il ne fut point duc de Normandie : tout au plus put-il se considérer pendant peu de temps comme lieutenant de son aperçu père. Probablement Guillaume s'était peu d'aptitude de son fils pour les affaires publiques, de son goût excessif les plaisirs grossiers, et de son peu d'attachement à la personne et aux intérêts du roi. C'était un homme gros, lourd, brutal, aimant à passer le temps avec ses compagnons de débauche, qui tous étaient les ennemis secrets de son père. Guillaume ne put ignorer qu'autour de son fils se groupait un parti de mécontens qui pouvait devenir dangereux

pour

' Order. Vital, lib. 4. — Guillaume de Malmsbury, liv. 3. — Henri de Huntingdon, liv. 6.— Chron. Anglo-Saxon. Voy. ces passages comparés par Daru, Hist. de Bretagne, tom. 1, p. 310-311.

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