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SCANDALE A GLASTONBURY.

chant grégorien, exigea impérieusement qu'ils apprissent le chant tel que l'avait enseigné un moine normand, appelé Guillaume. Cette dernière vexation, quoique peut-être la plus légère de toutes, fut celle qui les irrita le plus. Etre obligés de chanter selon la manière des vainqueurs de l'Angleterre, leur parut le comble de l'humiliation. Dans une querelle très violente qui eut lieu entre l'abbé et les moines, et dans laquelle ceuxci se montrèrent très récalcitrans, Turstein, pour les réduire à l'obéissance, fit entrer les hommes d'armes dont il disposait. A leur vue, les moines effrayés se réfugièrent dans l'église, et se cachèrent autour du maître-autel. Cependant les satellites de l'abbé les y poursuivirent à coups de flèches, en tuèrent trois, et en blessèrent vingt autres; le sang ruissela sur les marches de l'autel, et plusieurs flèches restèrent attachées au crucifix sur l'autel. L'indignation publique se souleva contre la brutalité de l'abbé. Le roi le força de retourner en Normandie; les moines furent dispersés dans divers monastères. Après la mort de Guillaume, l'abbé trouva moyen, grâce à un présent de cinq cents livres d'argent, de rentrer dans sa dignité à Glastonbury; mais il fut si mal

MALHEURS DE L'ANGLETERRE.

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vu qu'il jugea à propos de finir sa vie ailleurs, dans une honteuse obscurité, selon l'expression d'un moine du couvent. '

De pareilles scènes se reproduisaient dans d'autres provinces, quoiqu'avec moins d'éclat; elles navraient de douleur les hommes retirés du monde, qui voyaient tout bouleversé dans leur patrie. L'un d'eux, le chroniqueur de l'église d'Ely, a consigné dans sa chronique l'expression touchante de son désespoir patriotique. «< Que dirai-je maintenant de l'Angleterre ! s'écrie-t-il, que vais-je rapporter à la postérité? malheureuse Angleterre! tu as perdu ton roi naturel, tu as succombé dans la guerre contre l'étranger après avoir vu verser le sang d'un grand nombre de tes enfans; ils ont péri misérablement; tes conseillers et tes chefs sont vaincus, tués ou déshérités. Je me tairai sur ce que Guillaume, devenu roi, a fait aux principaux Anglais qui avaient survécu à d'aussi grands désastres. A quoi sert-il de dire qu'on n'a pas laissé un seul d'entre eux jouir de son ancienne dignité; que tous sont plongés dans

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Guillelmi Malmesbur. De antiquit. Glaston. eccles. · Annal. Waverley., dans le tom. 1 de Gale, Histor. Britann. Scriptores.

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TRÉSORS DES ANGLAIS

la misère, ou déshérités, chassés de la patrie; qu'on leur a arraché les yeux ou qu'on les a mutilés d'une autre manière pour les livrer à l'opprobre public, tandis que d'autres ont été mis cruellement à mort? Je ne crois pas plus utile de dire ce que non seulement Guillaume, mais aussi les siens ont fait à la classe inférieure du peuple ; il serait difficile de tout rapporter, et on ne pourrait le croire, tant la cruauté exercée envers les Anglais a été grande. Voulant introduire en Angleterre les coutumes et les lois que lui et ses pères observaient en Normandie, il établit partout des évêques, des abbés, et autres chefs de cette nation, qui ne pouvaient faire autrement que d'obéir à ses lois, car ils savaient tous d'où et pourquoi ils avaient été appelés en Angleterre : aussi tous, tant ecclésiastiques que laïques, obéissaient au moindre signe de sa volonté. » '

Beaucoup de riches Anglais avaient déposé dans les monastères l'argent et les effets précieux qu'ils possédaient, pour les soustraire à

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« Væ tibi est Anglia, quæ olim sancta prole fuisti angelica, sed nunc pro peccatis valde gemis anxia! naturalem regem tuum perdidisti, et alienigenæ bello cum ingenti tuorum sanguine fuso succubuisti, etc. » Histor. Eccles. Eliensis, lib. 2, cap. 44.

SAISIS DANS LES COUVENS.

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la rapacité des Normands. Guillaume en fut informé; il ordonna une recherche générale dans tous les établissemens publics, et au lieu de s'enquérir des propriétaires, il fit porter dans son trésor tout ce que l'on put trouver '. Les chartes par lesquelles les rois avaient confirmé les libertés des églises et du peuple étaient déposées aussi dans les églises. Ces documens furent enlevés par ordre du roi, avec les objets précieux. Ce fut un nouveau coup porté à la prospérité de la nation anglaise.

Celle-ci ne voyait plus d'espoir de salut; ses chefs étaient morts ou bannis : l'Ecosse et le Danemark étaient des alliés peu sûrs; les Gallois étaient assez occupés à défendre le reste de leur propre territoire : aussi la masse se résigna au sort qui lui était destiné ; elle adopta en partie le costume et les usages des vainqueurs, et s'allia avec eux. La tranquillité se rétablit, les marchés des villes commençaient à se remplir de marchandises de France; on rebâtit aussi en partie les églises que les Normands, dans leurs attaques, avaient brûlées.

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Pour régler les rapports entre les Normands et les Anglais, Guillaume promulgua une ordonnance portant ce qui suit: Tout Anglais aura la faculté de traduire en jugement un Français pour vol, meurtre ou toute autre cause de ce genre, et de le forcer de se battre avec lui, ou de subir l'épreuve du feu; si ensuite il recule, le Français qu'il a appelé en jugement pourra se purger par serment, et en produisant des témoins suivant la loi normande. Si le Français somme un Anglais pour les mêmes délits, celui-ci pourra se défendre par le combat ou par l'épreuve du fer. Dans le cas où il ne voudrait ou ne pourrait se battre, il pourra se faire légalement remplacer par un champion. Si le Français est vaincu, il paiera au roi soixante sols. A l'égard de toute accusation d'utlagarie, c'est-à-dire de violence et pillage, le roi ordonne que l'Anglais se justifiera par l'épreuve du fer. Si c'est un Anglais qui appelle un Français en jugement pour ce crime, le Français sera tenu au duel, ou si l'Anglais ne veut pas combattre, le Français se justifiera par le ser

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Wilkins, Leges Anglo-Saxonicæ. Londres, 1722, in-foł.

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