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Quel devait donc être l'état de l'Angleterre, si un prélat, occupant chez les Normands le premier rang ecclésiastique, se désolait de vivre au milieu de leurs conquêtes?

L'archevêché de York, le second de l'Angleterre, était également vacant par la mort d'Eldred, celui qui, avant d'expirer, avait maudit le roi couronné par ses mains. Guillaume fit placer sur ce siége un de ses chapelains, Thomas, qui ne tarda pas à en venir aux prises avec Lanfranc, pour la suprématie de l'église de Cantorbéry. Cette prééminence était soutenue vivement par l'ancien abbé de Caen, qui, laissant de côté, cette fois, sa modestie, exigea la soumission de son collègue, en prouvant par l'histoire ecclésiastique de Bède, et par les lettres des papes, que l'église d'York avait toujours été soumise à celle de Cantorbéry.'

Quelques évêques anglo-saxons furent déposés comme Stigand, et relégués dans les monastères d'où on les avait tirés autrefois. On donna leurs siéges à des prêtres normands qui, à leur tour, mirent dans les abbayes et les paroisses des prê

Order. Vital, lib. 4.

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ABBÉS NORMANDS.

tres de leur nation. Quelques uns de ces évêques furent des persécuteurs acharnés du clergé anglosaxon, et se conduisirent d'une manière si scandaleuse que le pape crut devoir les citer devant le saint-siége; mais ils trouvèrent un protecteur dans le même Lanfranc qui avait paru si modeste et si pacifique dans son couvent.'

Les principaux abbés furent pareillement, et peu à peu, remplacés par des Normands dévoués au roi'. Quelques uns des anciens abbés furent jetés en prison, sans qu'il en fût plus parlé 3. Guillaume se souvint d'un Anglo-Saxon nommé Ingulphe, qui, autrefois, lorsqu'il vint en Angleterre, auprès du roi Édouard, s'était dévoué à son service et l'avait suivi en Normandie, comme son secrétaire. Malgré la faveur dont il jouissait à la cour, Ingulphe avait tout abandonné pour faire

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Voyez ce qu'Orderic Vital dit du voyage de Lanfranc à Rome.

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Operam dante rege ut quamplures ex Anglis suo honore privarentur, in quorum locum suæ gentis personas subrogavit. Florent. Wigorn. Chronic., ad ann. 1070.

3 Ibid.

4

« Factus scriba ejus, pro libito totam comitis curiam ad nonnullorum invidiam regebam. » Ingulphi Histor. Croyland., ad

ann. 1075.

INGULPHE.

1072.

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avec plusieurs personnes de la famille du duc un pélerinage à Jérusalem; ayant été dépouillé route par les Bédouins, il était revenu pauvre en Normandie, et y avait pris l'habit de moine, dans le monastère de Fontenelle. Lorsque Guillaume se préparait à son expédition d'Angleterre, Ingulphe, par ordre de son abbé, et au nom du couvent, avait amené au duc douze jeunes combattans, complétement équipés et armés, pour l'armée du futur roi; puis il lui avait présenté la somme de cent marcs d'argent, pour contribuer aux frais de l'expédition.'

Ce double présent avait plu à Guillaume, et il avait renvoyé le moine à son couvent avec une charte par laquelle il faisait don d'une vigne aux religieux de Saint-Wandrille. En 1072, une lettre du roi d'Angleterre vint causer une vive sensation dans leurs cellules paisibles: Guillaume demandait Ingulphe pour le mettre à la tête de la grande communauté religieuse de Croyland. Les moines, comprenant que leur couvent pouvait gagner beaucoup de prospérité par l'influence d'Ingulphe, le pressèrent d'accepter. Ingulphe raconte dans

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INGULPHE A CROYLAND.

son histoire qu'il resta toute la nuit en prières dans l'église, et qu'il eut alors une vision mystérieuse dont le sens ne devint clair pour lui que dans la suite. Il partit pour l'Angleterre, emportant un os de saint Wulfran, dont le couvent lui avait fait présent, et il fut solennellement installé comme abbé du monastère de Croyland, où tout était dans la confusion, ainsi que dans beaucoup d'autres communautés religieuses. Le dernier abbé était exilé; une foule de moines du pays d'alentour avait cherché un asile à Croyland; un Normand, Yves de Taillebois, à qui Guillaume avait donné en mariage la soeur des princes saxons Edwin et Morcar, avec tous leurs biens, avait, non content de ces riches dépouilles, enlevé une partie des terres de Croyland, et y avait mis des moines appelés de l'Anjou. Un bailli infidèle retenait d'autres hiens du couvent; Ingulphe plaida contre le bailli, rétablit l'ordre dans les affaires du monastère, fit confirmer par la cour du roi les chartes données par les rois et seigneurs anglo-saxons, documens que les Normands regardaient avec mépris, n'en comprenant ni le langage ni l'écriture; il obtint, après de longues sollicitations, le rappel du dernier abbé anglo

TURSTEIN, ABBE.

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saxon, et le traita toujours comme un père, quoique Guillaume eût défendu de lui rendre les honneurs dus à un abbé '. Ingulphe écrivit dans la suite l'histoire de son couvent, et ce récit plein d'intérêt respire une douceur de caractère et un esprit conciliateur qui étaient rares chez les hommes éminens de la conquête.

Tous les nouveaux abbés ne ressemblaient malheureusement pas à Ingulphe, et les conquérans firent, à cet égard, quelques choix détestables. Tel fut celui de Turstein, qu'on appela du monastère de Caen, pour le nommer abbé de Glastonbury, dans le comté de Somerset. C'était une des plus riches abbayes du royaume; cependant les Danois en avaient diminué la splendeur, et Guillaume, à son tour, l'avait réduite, en assignant une partie des revenus du monastère a ses hommes d'armes pour leur récompense.

Turstein traita dédaigneusement les moines, les contraria dans leurs habitudes, leur retrancha une partie de leur nourriture, et méprisant leur

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› Elle est insérée dans le tom. 1 de Rerum anglicar. Scriptor.

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