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CHAPITRE II.

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Réforme du clergé anglo-saxon. - Lanfranc appelé à l'archevêché de Cantorbéry. Destitution des évêques et abbés. Ordonnance de Guillaume, réglant les rapports entre les Normands et les Anglais. Distribution de fiefs anglais parmi les compagnons de Guillaume. Revenus énormes de ce roi. — Aventuriers laïques et ecclésiastiques qui accourent en Angleterre. Abus de la victoire. - Guimond, abbé, refuse un évêché en Angleterre. — Désordre du clergé normand. Guillaume envoie des secours en troupes à la famille de Mathilde en Flandre. Guillaume Fitz-Osbern est tué dans l'expédition. Nomination de deux grands justiciers en Angleterre. En 1073, le Roi retourne en

Normandie. Il soumet le Maine.

AYANT rompu la force de l'aristocratie anglosaxonne, Guillaume résolut de briser aussi la puissance du clergé de cette nation, dont il avait éprouvé l'hostilité permanente, et qui montrait sa nationalité jusque dans le culte qu'il rendait aux saints, car ceux qu'il vénérait étaient principalement des saints d'Angleterre : il connaissait peu ceux de la Normandie.

LÉGATS DU PAPE.

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Les troupes du roi et ses barons avaient pillé les églises et monastères, chassé les prêtres et les moines, et pris pour eux les terres de tout établissement religieux qui favorisait la cause anglosaxonne. Ce n'était pas assez pour Guillaume, il crut devoir abaisser principalement le haut clergé, ne pouvant plus douter des sentimens des évêques, depuis qu'Eldred, archevêque d'York, le premier qui se fût déclaré pour lui, avait maudit le roi de la conquête, à cause du mal que ses soldats et barons faisaient au clergé, et depuis que l'évêque de Durham s'était exilé volontairement, en excommuniant les persécuteurs de l'église anglo-saxonne.

Guillaume avait appelé les légats du pape avant de procéder à la réforme de cette église encore demi-barbare, il est vrai', en comparaison de celle du continent, qui elle-même trahissait quelquefois des moeurs très grossières. Le pape se prêta d'autant plus volontiers à la demande du

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« Abominabilia facta sunt, dissolutio clericos et laicos relaxaverat, et utrumque sexum ad omnem lasciviam inclinaverat. Order. Vital, lib. 4. -« Quoniam primores Angliæ, duces, épiscopi et abbates non sunt ministri Dei, sed diaboli, tradidit Deus hoc regnum uno, » etc. Math. Westmonast., Flor. Histor., ad ann. 1066.

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CONCILE EN ANGLETERRE. 1071.

Conquérant que les Anglo-Saxons n'avaient jamais eu qu'une déférence douteuse pour le Saint-Siége, et n'avaient pu se pénétrer encore de l'esprit de la religion romaine. Depuis long-temps les rois anglo-saxons envoyaient le romescot ou le denier de saint Pierre, qu'ils levaient dans les familles, et sur lequel on prenait les frais d'entretien du collége anglo-saxon qu'on entretenait à Rome. Cependant le pape avait si mauvaise opinion de la théologie qu'on y enseignait qu'il ne voulait pas qu'on y soutînt des thèses publiques. Les Anglo-Saxons, disait-on, avaient altéré la pureté de leur foi, par leur mélange avec le paganisme'; chez eux, l'hérésie était permanente. Le pape d'ailleurs ayant approuvé la conquête de l'Angleterre, la réforme du clergé fut une suite de la soumission du pays.

Ce fut à Pâques 1071 que les trois légats apostoliques arrivèrent en Angleterre, dans la solennité des fêtes de la cour et de l'église, auxquelles les évêques du pays avaient été appelés. Ils dépo

Florent. Wigorn. - « Dum pagani christianis permixti sanctæ conversationis gratiam corruperant fidei christianæ. » Math, Westmon., ad ann. 707.

DÉPOSITION DES ÉVÊQUES.

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sèrent l'archevêque de Cantorbéry, Stigand, déjà frappé de l'interdiction papale, et dont le tort plus grave encore était d'avoir provoqué le soulèvement des habitans de Kent lors de la conquête, et d'avoir exigé, à leur tête, du conquérant, la confirmation de leurs droits et coutumes'. Ce prélat s'exila du pays; il s'agissait de le remplacer; on fit des démarches auprès de Lanfranc, qui était resté abbé du monastère de Caen, pour l'engager à accepter le siége de Cantorbéry; on lui annonça que c'était le désir du pape. Lanpape . franc montra d'abord la même répugnance qu'il avait témoignée lorsqu'on lui eut offert le siége de Rouen; il prétexta son ignorance de la langue anglaise, la barbarie des habitans de ce pays3; mais les légats du pape, d'accord avec le roi Guillaume, insistèrent, et Lanfranc, se rendant cette fois aux voeux du saint-siége et de la cour, passa

Math. Westmonast. Flores Histor., ad ann. 1066.

2 Order. Vital, lib. 4.— Annal. Waverley.

3 « Imbecillitas mearum virum, morumque indignitas prælata in medium nihil profuit, excusatio incognitæ linguæ, gentiumque barbararum, nullum apud eos (legatos apost.) locum invenit. >> Lanfranci Epist. ad pap. Alexandr., dans le tom. xvIII de Max. Biblioth. Patrum.

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LANFRANC, ARCHEVÊQUE

en Angleterre, où il fut installé dans le siége à moitié ruiné de Cantorbéry. Témoin des suites des ravages que les conquérans avaient répandus là comme ailleurs, voyant les ressources de ce siége dissipées, et ne trouvant probablement qu'aversion et mauvaise volonté, il ouvrit, par une lettre, son coeur au pape, qui l'avait forcé d'échanger sa position paisible et honorée contre ces vains honneurs entourés de dégoûts. « C'est vous, lui écrit-il, c'est vous qui m'avez forcé d'accepter une dignité à laquelle j'avais opposé en vain ma faiblesse et mon ignorance; j'ai consenti à ce que vous vouliez; je suis venu ici; mais hélas ! j'y éprouve chaque jour tant de peines, je vois de toute part tant de haine, de perversité, d'avidité, de troubles; je prévois si bien la chute de l'église, que je me dégoûte de la vie, et que je suis fâché d'avoir vécu jusqu'à ce jour. L'état présent des choses est bien fâcheux; mais je prévois qu'elles empireront bien davantage. »1

<< Tot molestias, tot tædia, tantumque ab omni fere bono defectum mentis quotidie sustineo, tam aliorum in diversis personis perturbationes, turbulationes, damna, obdurationes, cupiditates, spurcitias, tantumque S. Ecclesiæ casum incessanter video, sentio, ut tædeat me vitæ meæ, etc. » Lanfranci Epist. ad pap. Alexandr.

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