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426 HENRI JUGÉ PAR UN PRÊTRE.

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règnes précédens. Au commencement, Henri avait même paru vouloir relever la nation anglosaxonne de son abaissement; cependant il avait peu justifié l'espoir des Anglais, et ils demeurèrent dans l'oppression aussi quelques écrivains de cette nation le représentent comme un tyran. L'archidiacre de Huntingdon, surtout, le juge très sévèrement dans une lettre familière, après lui avoir donné de grands éloges dans sa Chronique; en secret ce prêtre le représente comme un prince rempli d'artifice et de dissimulation, dont il était impossible de connaître les véritables sentimens, violant ses sermens, commettant des meurtres et des cruautés sans aucun remords, n'ayant pas d'égal dans le royaume pour ses crimes, et étant par ses terreurs le plus malheureux des hommes, quoiqu'il passât aux yeux du monde pour le prince le plus fortuné1. Le justicier d'Angleterre, qu'il avait fait deux fois poursuivre et condamner aux amendes, dit un jour, lorsqu'on lui rapporta les éloges que le roi avait faits de lui : « Tant pis pour moi; car

I

« Beatissimus regum habitus est, sed certe miserrimus est. »> Henric. Huntingdon. Epist. de Contemptu mundi.

POÉSIE DES TROUVÈRES.

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gens

c'est toujours quand Henri veut perdre les qu'il fait leur éloge. » Cependant, tout en le peignant comme un tyran, l'archidiacre ne peut s'empêcher de louer la haute prudence et les conceptions vastes et hardies de ce prince. '

Le règne de Henri Ier donna naissance à cette littérature poétique et romanesque que nous verrons se développer avec tant d'éclat sous les règnes suivans, particulièrement sous celui de Henri II. A l'exemple du roi, Mathilde, sa première femme, aimait la poésie, et rassemblait à sa cour les poètes; ils accouraient en foule avec leurs chants et leurs vers, se disputant l'honneur de charmer les oreilles de la reine'. Alix de Louvain, sa seconde femme, trouva les poètes en faveur quand elle vint en Angleterre, et elle fit ses délices de leurs productions. Le poète Gaimar nous apprend qu'elle fit écrire un livre en vers notés sur les événemens du règne de son mari 3. Henri encouragea, comme

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α

Regem sapientia magnum dixi, consilio profundum. etc. » Ibid.

a Turmatim huc adventabant scolastici cum cantibus, tum versibus famosi, felicemque putabant qui carminis novitate aures mulceret dominæ. » Guill. de Malmsbury Histor., p. 164.

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ces deux reines, les efforts des poètes, et les riches barons attirèrent comme la cour du roi les poètes dans leurs châteaux, pour être divertis par les récits des trouvères: aussi la poésie chercha-t-elle d'abord à plaire aux grands. C'était pour eux, comme dit Wace, chanoine de Bayeux', que les livres étaient composés et que les poètes exerçaient leur imagination; car seuls ils pouvaient encourager et récompenser le talent. Ce fut une dame, désignée seulement par Gaimar sous le nom de

Dame Custance la gentil,

qui fit composer par ce poète l'histoire des rois d'Angleterre, d'après les chroniques anglaises,

Bien dit Davit è bien trovat,

E la chançon bien asemblat.

Chroniq. de G. Gaimar.

<< Jeo parout à la riche gent

Ki unt les rentes et le argent
Kar

pur eux sont li livre fait,

E bon dit fait, e bien retrait. >>

Ms. de la Bibl. Roy., cité par Sh. Turner.

Al suverain è al meillur

Escrif, translat, truis et rimei.

Benoist de Sainte-More, Ms. de la Bibl. Harl., cité par Sharon Turner, History of England from the Norman conquest. Part. II, chap. 4.

ANGLO-NORMANDS.

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françaises et galloises, qu'elle s'était plue à rassembler'. Gaimar avait de l'imagination; il resta poète, tout en s'acquittant pour sa dame gentille des fonctions d'historien. Sa Chronique est remplie de scènes peintes d'un vif coloris.

Toutes les compositions, rares d'abord, devinrent peu à peu le bien commun de la nation; plusieurs passèrent en Normandie; d'autres ne paraissent guère avoir été connues hors de l'Angleterre, et on n'en a trouvé dans la suite les manuscrits que dans cette ile.

Les poésies anglo-normandes préparèrent une nouvelle ère de la littérature; cependant la langue anglaise, bannie des châteaux, resta en usage dans les villes et les campagnes, et Henri était quelquefois obligé de faire traduire ses ordres dans l'idiôme du peuple. '

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« Il purchaça maint esamplaire,
Livres engleis è par gramaire

E en romanz è en latin,

Ainz k'en pust traire à la fin.

Si sa dame ne li aidast,

Jà à nul jor n'el achevast. »

Chroniq. de Geoff. Gaimar.

Voy. l'ordre donné aux officiers royaux à Londres, en faveur de gens de l'église de Cantorbéry, rapporté par Math. Parker, de Antiquit. Britann. eccles., p. 118.

LIVRE QUATRIÈME.

Etienne de Blois et son fils, et Geoffroy

Plantagenet.

1135-1154.

saux.

CHAPITRE PREMIER.

Étienne de Blois se fait nommer roi d'Angleterre. — Troubles de la Normandie. - Hostilités exercées par les grands vasGeoffroy Plantagenet envahit le duché. — Ravages causés par les Angevins. - Arrivée du roi Étienne en Normandie. Il prend plusieurs châteaux-forts. Renouvellement de la trève de Dieu.

·la Normandie.

-

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- Les Angevins continuent de ravager Les nobles entrent en composition avec Geoffroy Plantagenet.-Cherbourg et d'autres places se rendent à ce prince. Les partisans de Mathilde la proclament reine d'Angleterre. Bataille de Lincoln; le roi est fait prisonnier - Défection des grands.—Mathilde fait son entrée à Londres. -- Émeute des bourgeois. -- Fuite de Mathilde. Etienne est remis en liberté.

DES que Henri Ier eut expiré aux environs de Rouen, on fit à l'égard de sa succession comme il avait agi à la mort de Guillaume-le-Roux. Étienne, fils du comte de Blois et son neveu,

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