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EXPLOITS D'HERWARD.

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avaient élu pour leur chef, avait échappé à Guillaume. Depuis long-temps ce guerrier était renommé en Angleterre pour sa force extraordinaire et pour son courage indomptable. Déjà, sous les rois anglo-saxons, on avait été obligé de l'exiler, tant il était à craindre, même pour les siens. Partout on parlait de ses exploits surprenans; il était devenu le héros de la poésie populaire'. Il séjournait en Flandre quand il apprit qu'un abbé normand appelé Thorold, et autorisé par son maître, le Conquérant, s'était emparé de la terre de Brunne, que lui avait laissée son père, et sur laquelle sa mère vivait dans l'humiliation. Aussitôt Herward vole en Angleterre, s'associe des compagnons presque aussi déterminés que lui, se fait ceindre l'épée par l'abbé d'un monastère voisin, reprend son héritage paternel, et fait prisonnier l'usurpateur de son bien; celui-ci, pour recouvrer sa liberté, est obligé de payer une rançon de trois mille marcs d'argent.

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2

Cet Anglo-Saxon, si vigoureux, si énergique,

«< Cum ejus gesta fortia etiam Angliam ingressa canerentur. » Ingulphi, Histor. Croyland.

2 Ibid.

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fut le défenseur d'Ély; mais, manquant de ressources dans ces marais, il fut obligé de chercher son salut par la fuite. Long-temps après on chanta les romances de ses aventures. Un pêcheur, disait-on', le recueillit avec cinq autres compagnons dans sa barque; le soir cet homme amarra son bateau à un endroit où les Normands avaient un poste pour garder les issues du marais. Un vicomte y occupait une tente avec ses gens. Dans la nuit, Herward et ses compagnons sortirent du bateau, tuèrent vingt-six Normands, prirent leurs chevaux, et s'enfuirent dans une contrée où Herward eut bientôt une troupe de sept cents hommes. Il prit quelques villes, se battit contre les Normands, et devint tellement redoutable qu'ils résolurent de se défaire de lui par la trahison, quoique le roi eût entamé des négo

« Il eschapa od poi de gent,

Geri od lui, un son parent;
Od eus eurent V compaignons.
Uns homs qui amenoit peissons
As gardeins long le mareis,
Fist que prodom et que curteis;

En un batel les recuillit,

De ros, de glais tus les coverit,

Vers les gardeins prist à nager. »

(Geoffroi Gaimar, Chroniq. des Rois anglois.)

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ciations avec lui. Une dame anglo-saxonne, nommée Alfved, s'était éprise d'amour pour un héros si célèbre, le seul vengeur véritable de sa patrie opprimée; elle lui offrit sa main et les terres qu'elle possédait. Herward se rendait chez elle, lorsque les Normands le firent tomber dans une embûche qu'ils lui avaient dressée. Il dormait sur un rocher quand ils cernèrent cet endroit, qui ne lui offrait aucune défense. Par malheur son chapelain, qui devait veiller sur lui, avait négligé son devoir. Herward, s'étant levé en sursaut, s'écria: << Traîtres, vous m'avez surpris, mais je vous vendrai cher ma vie!» En effet, ayant pu encore s'emparer de quelques armes, il se défendit en désespéré contre la foule de ses agresseurs, dont il tua plusieurs; mais, à la fin, frappé par-derrière, il succomba, laissant aux Anglo-Saxons la conviction que, sans cette mort prématurée, il aurait réussi à délivrer son pays des étrangers.'

Il faut lire dans le vieux poëme français de Geoffroy Gaimar ces aventures romanesques, re

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tracées avec quelque charme, sans doute d'après les chansons populaires, du moins l'histoire ne les dit

pas.

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Le prince anglo-saxon Edwin, ce noble adolescent, l'amour des Anglais, disparut également de la scène du monde, ayant été assassiné; on apporta sa tête à Guillaume: il chassa les scélérats. Quant à Edgar, ce rejeton de la dynastie anglosaxonne, qui avait hérité de toute leur faiblesse, il parut si peu à craindre que Guillaume se contenta de lui assigner une livre sterling par jour'. Le pauvre prince passa le reste de ses jours à la cour des étrangers qui avaient détrôné sa race, n'ayant pas même assez d'intelligence pour sentir ce qu'il avait perdu. La nation s'était deux fois servie de lui pour relever un trône national; mais jamais le caractère d'Edgar ne lui avait inspiré ni estime ni confiance.

Non seulement les riches Anglo-Saxons se trou

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Ingulphe, Histor. Croyland, assure qu'Herward, ayant fait sa paix avec le roi, se retira et mourut dans sa terre de Brunne auprès de Croyland, où l'auteur était abbé. « Tandem cum regia pace obtenta hereditate, in pace dies suos complevit, et in monasterio nostro juxta suam uxorem nuperrime sepulturam elegit. »

2 Ibid.

FUITE DES ANGLO-SAXONS.

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vaient réduits à de faibles revenus ou entièrement

dépouillés de leurs possessions, dignités et honneurs, mais ils se voyaient méprisés et tournés en dérision par les vainqueurs, parce qu'ils ignoraient beaucoup d'usages et coutumes du continent, qu'ils laissaient croître leurs cheveux et leur barbe comme des barbares qu'ils étaient, et parce qu'ils buvaient dans des cornes de bestiaux. Beaucoup de ces familles, accablées d'outrages, se jetèrent pleines de désespoir dans les bois, et devinrent les ennemies du genre humain. Dans les contrées voisines de leurs repaires, il n'y avait plus de sûreté; on y était obligé de se fortifier dans les maisons qui autrefois n'avaient pas même eu de serrures aux portes, tant la sécurité y était grande.

2

'Mathieu Paris, de abbatibus Sti. Albani, p. 29. « More Normannorum barbas radere, concíunos tondere cogebantur, projectis cornibus et vasis solitis, etc. >>.

2 Ibid.

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