Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE III.

Paix rétablie en Normandie.-Portrait de Robert comte de Meulan.-Guillaume-le-Roux fait une invasion dans le Vexin. -Hélie de la Flèche, comte du Maine, fait prisonnier par Robert de Bellême, et conduit à Rouen.-Le roi d'Angleterre reprend le Mans. --Insurrection du Maine.-Le roi revient en toute hâte de l'Angleterre. — Il ravage le Maine, et abandonne le siége de Mayet.-Il retourne dans son royaume. -Il est tué à la chasse.-Conjectures sur cette mort. Henri son frère s'empare du trésor royal et se fait couronner roi.. Il fait de grandes promesses au peuple anglais.—Il épouse la fille du roi d'Ecosse, Mathilde. -Hélie de la Flèche rentre au Mans.-Robert Courteheuse revient de l'Italie avec sa femme Sibylle. Flambard devient son favori et son conseiller.—Il tente une expédition contre le nouveau roi d'Angleterre, son frère. — Henri le fait renoncer à ses prétentions à la couronne, moyennant une pension.-Traité conclu entre

eux.

AVANT le départ du duc Robert, le roi d'Angleterre, son frère, avait passé en Normandie pour en prendre le gouvernement dans ses mains. Ce fut un changement subit dans ce duché; les querelles des barons cessèrent, le peuple respira, et les campagnes se couvrirent de moissons. Au

262

GUILLAUME-LE-ROUX

lieu de se faire la guerre, les nobles accoururent à la cour du roi, et briguèrent ses bonnes grâces. Robert de Bellême, tout méchant qu'il était, jugea prudent de garder la paix, et de courtiser le nouveau souverain. Celui-ci était arrivé avec des projets de conquête pour lesquels il avait besoin du concours des barons normands; aussi les accueillit-il tous également bien.'

Le premier projet qu'il dévoila, concernait le Maine, que l'indolent Robert s'était laissé enlever. Hélie de la Flèche, qui était parvenu à s'installer en qualité de comte au Mans, comme il a été dit plus haut, avait pris la croix pour aller combattre les Sarrasins, quand Robert céda la Normandie à Guillaume-le-Roux. Ce changement lui donna des inquiétudes. Il crut donc devoir s'assurer d'abord des bonnes dispositions du roi d'Angleterre, et se rendit à sa cour, afin d'obtenir sa parole qu'il n'attenterait point, pendant l'absence du comte, à la sûreté du Maine. A sa grande surprise, Guillaume-le-Roux lui refusa cette promesse, en répondant que le Maine appartenait à

Orderic Vital, lib. 10.

RÉCLAME LE MAINE ET LE VEXIN. 263

la Normandie, et que son intention était de le reprendre.'

il

de

Cette réponse fit renoncer Hélie à la croisade, et il se hâta de mettre les forts du Maine en état de défense; il en bâtit même un nouveau à Dangeul auprès des terres de Robert de Bellême, son ennemi personnel. Guillaume-le-Roux était occupé alors d'un autre projet plus important. Il réclamait le Vexin du roi de France, et comme essuya un refus, il résolut de s'en emparer vive force. Il avait à sa disposition des troupes considérables tirées de l'Angleterre et de la Normandie. Sa générosité, l'estime qu'il faisait des bons guerriers et la grandeur des entreprises militaires que son esprit concevait, attiraient sous ses drapeaux beaucoup de braves. Il semblait que le Vexin ne pût échapper à son ambition. Il confia le commandement de ses troupes au fameux Robert de Bellême, qui avait passé sa vie à guerroyer, et qui, mieux que tous les autres barons, s'entendait à élever des fortifications et à conduire des siéges. Par la mort de Hugues de Montgomery, son frère, ce baron devint vers ce temps

Orderic Vital, lib. 10.

264

CARACTÈRE DE ROBERT,

l'héritier des terres paternelles en Angleterre, comme il l'était déjà en Normandie, et fut dès lors sous un double rapport le baron de Guillaume-le-Roux'; aussi sut-il acquérir un grand crédit à la nouvelle cour anglaise.

L'armée anglo-normande entra dans le Vexin; tandis que la plupart des seigneurs de ce pays en fermant les portes de leurs châtels aux envahisseurs, les forcèrent d'investir un fort après l'autre, quelques uns ouvrirent leurs places-fortes au roi d'Angleterre. De ce nombre fut surtout Robert, comte de Meulan, fils de Roger de Beaumont, un des plus grands hommes d'état du temps, et un des plus puissans barons, qui, ayant des terres, des châteaux et des vavasseurs en France, en Angleterre et en Normandie, était recherché par les souverains de ces trois pays. Telle était l'idée qu'on avait de sa puissance, qu'un historien anglais assure que la guerre et la paix entre ces souverains dépendaient de lui. Le souverain que le comte de Meulan soutenait, pou

2

Orderic Vital, lib. 10.

. In rebus secularibus sapientissimus hinc usque in Jerusalem degentium, fuit scientia clarus, eloquio blandus, astutia perspicax, etc. » Henric. Huntingdon. Epistola de Contemptu mundi.

COMTE DE MEULAN.

265

vait d'avance se regarder comme vainqueur, et sa personne jetée dans la balance décidait la victoire1. C'est évidemment une idée exagérée qui prouve néanmoins la haute opinion que ses qualités et ses richesses avaient inspirée à ses contemporains.

Ce riche baron s'attacha cette fois au roi d'Angleterre, et nous le verrons dans la suite fréquemment mêlé dans les affaires publiques. Il aurait pu les diriger dans un sens droit et équitable, s'il avait lui-même pratiqué la justice; mais cette vertu ne s'accordait guère avec l'ambition et l'avidité qui guidaient Robert de Meulan, ainsi que les autres barons : c'est par une suite d'actes de violence qu'il parvint à cette puissance colossale qui le faisait rechercher par les souverains dont il était le vassal. Mais il éprouva à son tour les abus de la force. Guillaume de Varenne lui enleva sa femme Elisabeth, fille du comte de Vermandois, dont il avait huit enfans, et il passa le reste de ses jours dans l'abattement de la douleur2. Cepen

[ocr errors]
[ocr errors]

Pro libitu suo reges Franciæ et Angliæ nunc concordes uniebantur, nunc discordes præliabantur. Si adversus aliquem insurgebat, contritus humiliabatur; si prodesse volebat, gloriosus cxaltabatur. » Henric. Huntingdon. Epistola de Contemptu mundi.

→ Ibid.

« PreviousContinue »