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QUITTE LA NORMANDIE.

d'ailleurs dépourvu de grandes qualités, si le reste de sa conduite avait répondu à cet élan passager d'amour fraternel. Ce qui indigne surtout dans l'histoire de la dynastie des descendans de Guillaume, c'est l'absence de toute affection de famille ses trois fils passèrent leur vie à se tourmenter et à se ruiner mutuellement.

Henri, s'il fut soulagé un moment, n'en resta pas moins exposé avec ses Bretons à la disette; et, abandonné de tout secours, il demanda à capituler. Pour avoir la vie sauve et pouvoir sortir avec il fut obligé de renoncer au Cotentin, et à tout ce qu'il possédait de terres.

ses gens,

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Il quitta donc la Normandie sans biens, sans escorte, presque sans argent, et n'ayant d'autre perspective que de vivre désormais dans l'exil chez les étrangers.

Cependant, l'année suivante, les habitans de Domfront, ville située aux confins du Maine et de la Bretagne, qui cherchaient un protecteur contre les vexations de Robert de Bellême, jetèrent les yeux sur le prince exilé, et lui proposèrent de lui céder le château-fort bâti par Guillaume de Bellême, sur le plateau d'un rocher escarpé, au bord de la Varenue; quatre grosses tours flanquaient

PREROGATIVES DES DUcs.

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ce fort, que ceignaient des fossés taillés dans le roc1. Les habitans y mirent pour condition qu'il respecterait leurs coutumes, qu'il les défendrait contre leurs voisins, et qu'il n'aliénerait jamais leur ville 2. Henri le promit, et fut toujours fidèle à sa promesse, comme on le verra dans la suite de cette histoire.

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Les deux frères, ne s'embarrassant nullement de son sort, revinrent à Rouen. Ce fut probablement pendant ce séjour de Guillaume-le-Roux en Normandie que fut rédigé d'un commun accord entre les deux frères l'acte important 3 qui devait garantir les prérogatives du souverain contre les empiétemens des barons, et dont les principes ayant déjà été reconnus et fixés par Guillaume-leConquérant, devinrent une partie essentielle du droit public de la Normandie. 4

1 Essai sur l'histoire de Domfront, 2e édit. Caen, 1816, in-18. 2 Orderic Vital, lib. 8 et 10.

3 Normannorum antiquæ consuetudines et justitiæ, etc., dans le tom. iv de Martène, Thesaurus anecdotorum, pag. 117.

4 On lit en tête de l'acte : « Hæc est justitia quam rex Willelmus qui regnum Angliæ acquisivit, habuit in Normanniâ, et hic scripta est, sicut Robertus comes Normanniæ et Willelmus rex Angliæ filii ejus et hæredes predicti regis fecerunt recordari et scribi per episcopos et barones. » Ibid.

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D'après ces statuts il était défendu de faire des violences aux personnes qui se rendaient à la cour du duc, ou qui en venaient, ou qui y siégeaient, ainsi qu'à celles qui se rendaient à son ost, ou qui s'en retournaient dans leurs foyers. Quiconque se permettait en pareil cas d'exercer des vengeances particulières, perdait sa terre et sa liberté, et était à la merci du duc. Personne n'avait le droit de fortifier des rochers ou des îles'. Tout fort devait être toujours ouvert au duc, et s'il demandait un fils, un frère ou un neveu du baron possesseur du château, comme garantie de la fidélité de ce baron, l'ôtage devait se rendre à la cour ducale. Il n'était pas permis d'assaillir un homme ou de lui tendre des embûches dans les forêts appartenant au souverain; il n'était permis de poursuivre un ennemi avec des armes, ou de condamner un homme à la perte d'un membre sans jugement que lorsqu'il aurait été pris en flagrant

I

Thesaurus anecdotorum, art. 3. « Nulli licuit in Normanniâ fossatum facere in planam terram nisi tale quod de fundo potuisset terram jactare superius sine scabello. Et ibi nulli licuit facere palicium, nisi in una regulâ, et id sine propugnaculis et alatoriis. Et in rupe et in insulâ nulli licuit facere fortitudinem, et nulli licuit in Normanniâ castellum facere. >>

PAR GUILLAUME ET ROBERT.

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délit, pour une action au sujet de laquelle une pareille peine aurait été statuée; encore si la connaissance du délit appartenait à la cour du duc, il fallait d'abord un jugement de cette cour. De même, pour des réclamations particulières, il était prohibé de commettre des incendies ou d'enlever une femme avant d'avoir porté plainte à la cour qui avait à connaître du délit. Défense était faite d'inquiéter un marchand pour un délit ancien, sous peine de la perte de la liberté personnelle. Les deux hôtels de Rouen et de Bayeux étaient seuls autorisés à frapper monnaie; ils étaient tenus à tailler 8 sols dans le marc'. Tout particulier qui se permettait de frapper monnaie était livré à la merci du duc; tout faux-monnoyeur perdait sa liberté et sa terre.

Voilà les principaux statuts que les deux frères renouvelèrent en Normandie; ils font voir les grands abus commis alors par les barons au préjudice de la souveraineté du duc et de la sûreté du

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« Nulli licuit in Normanniâ monetam facere extra monetarios domus Rothomagenses et Bajocenses, et illam mediam argenti, et ad justum pensum, scilicet vIII solidos in helmare. » Ce dernier mot ne signifie peut-être qu'un demi-marc.

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GUERRE D'ÉCOSSE.

peuple. Par ce que l'on défendit, nous apprendrions ce qui se faisait, si l'histoire n'était là pour nous en citer de fréquens exemples.

Comme Guillaume-le-Roux fut informé des hostilités commises par les Écossais sur le territoire d'Angleterre, il s'embarqua pour cette île, en emmenant son frère Robert, pour qui les affaires du gouvernement de son duché n'étaient jamais une occupation. Dès que Guillaume fut de retour dans son royaume, il appela ses vassaux sous ses bannières, et marcha contre l'Écosse. Le roi Malcolm mena son armée au-devant de celle des Anglo-Normands, et apprenant que duc Robert était dans l'armée ennemie, il demanda une entrevue avec lui ; quand ils furent en présence l'un de l'autre, Malcolm déclara être prêt à lui faire hommage comme au fils aîné de Guillaume-le-Conquérant, qu'il avait reconnu autrefois pour son suzerain; il ajouta que quant à Guillaume-le-Roux, il croyait ne rien lui devoir.'

le

Robert chercha de le réconcilier avec le roi d'Angleterre, et en effet, dans une entrevue des deux rois, la paix fut conclue sur les instances

Florent. Wigorn. Chronic., ad ann. 1091.

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