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206 LE MAINE veut se rendre indépendant.

ils firent quelque temps après leur paix avec le duc de Normandie.

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A la nouvelle de la cruauté exercée contre le châtelain de Saint-Sereric, les autres châteaux-forts cessèrent de faire résistance; et Robert, qui se lassait déjà de la campagne militaire, licencia ses troupes, et revint à Rouen pour reprendre sa vie indolente.

Il relâcha Robert de Bellême, et la famille des Talvas continua d'inquiéter, de tourmenter, d'opprimer les nobles de leur voisinage. Ceux qui souffraient le plus de ces querelles acharnées, c'étaient toujours les bourgeois et les paysans, que l'on tuait, mutilait ou emprisonnait, et dont on brûlait les maisons, et ravageait les moissons ou les ateliers.

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Le Maine jugea que le moment était venu de secouer enfin le joug normand; il s'occupa du choix d'un comte indépendant. En vain l'évêque Ouël, tout dévoué aux Normands, à qui il devait son évêché, excommunia les chefs de ce complot;

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Orderic Vital, lib. 8.

« Misera itaque regio in desolationem redibat. » Ibid.

FOULQUES LE RÉCHIN.

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ils le saisirent un jour qu'il faisait sa tournée avec ses clercs dans le diocèse, et le jetèrent en prison. A cette nouvelle les prêtres de la cathédrale suspendirent les offices divins, et mirent par terre les statues et les reliques des saints'; cependant le Mans n'en voulut pas moins être libre.

Pendant que Robert-Courteheuse ne savait quel parti prendre pour retenir le Maine dans son obéissance, Foulques, surnommé le Réchin, comte d'Anjou, homme énergique, et presque toujours brouillé avec le clergé, vint le trouver, et lui dit qu'il s'engageait à apaiser les troubles de ce pays; mais il y mettait une condition. « J'aime éperdûment, dit-il, Bertrade, fille de Simon de Montfort, et nièce du comte d'Evreux qui en a la tutelle: faites que je l'aie en mariage, et mes bons offices vous sont dévolus. >> Foulques avait eu successivement

Order. Vital, lib. 8.

2 Aussi le moine de Saint-Evroult dit de lui: « Hic in multis reprehensibilis et infamis erat, multisque vitiorum pestibus obsecundabat. » Order. Vital, lib. 8. C'est à ce comte que le moine attribue l'invention des chaussures à long bec, dans lesquelles Foulques cherchait à cacher ses pieds difformes, et qui furent bientôt imitées partout. « Ob hoc ipse Cornardus cognominatus. » Orderic Vital, lib. 8.

208 1090 LE MANS APPELLE UN COMTE. deux femmes; elles étaient encore vivantes : il était déjà vieux, et en outre goutteux. Celle qu'il demandait, quoique très jeune encore, était une des personnes les plus séduisantes de son temps. Nous la verrons bientôt aspirer à une position plus élevée. La demande de Foulques était choquante sous tous les rapports. Cependant le duc Robert en fut peu étonné, et demanda pour le comte Foulques Bertrade, à l'oncle de celle-ci, le comte d'Évreux. Ce tuteur fit aussi ses conditions. Il demanda la restitution de Wassy, et d'autres places qui avaient appartenu à sa famille. Robert accorda tout; les places fortes furent cédées au comte d'Evreux, celui-ci donna sa jeune et belle nièce pour troisième femme au vieux Foulques' d'Anjou, qui de son côté, pour prix de ce mariage, obtint des Manceaux qu'ils suspendissent encore leur insurrection. Mais elle éclata en 1090; pendant que Robert était embarrassé au milieu des guerres féodales de ses vassaux, les Manceaux envoyèrent une députation en Italie, au fils d'Ason, de l'ancienne famille des comtes du pays. Hugues, le plus jeune des deux frères, se rendit en France, et

Orderic Vital, lib. 8.

HÉLIE DE LA FLÈCHE.

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s'installa au Mans en qualité de comte. Cependant les Manceaux ne tardèrent pas à s'apercevoir qu'ils n'avaient rien gagné à se donner un nouveau maître; car celui qu'ils avaient appelé de l'Italie valait encore moins que le comte Robert. C'était un adolescent dépourvu d'argent, d'esprit et de courage'. Il tremblait devant ses sujets; et quand ils connurent sa lâcheté, ils se plurent à augmenter ses frayeurs, au point qu'il s'estima heureux enfin de céder ses droits ou sa place à Hélie de la Flèche, son cousin, pour une somme d'argent.Il les aurait donnés pour rien s'il avait été sûr de pouvoir gagner l'Italie par la fuite, tant il était saisi de peur. Cet homme lâche avait pourtant osé braver les foudres du saintsiége, pour avoir répudié sa femme, une des filles du brave Robert Guiscard; le pusillanime Hugues n'avait su apprécier, comme dit Orderic Vital, l'âme généreuse de cette descendante du conquérant de la Pouille. *

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« Cenomani postquam novum comitem divitiis et sensu et virtute inopem esse cognoverunt, despicabilem habuerunt. » Orderic Vital, lib. 8.

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« Generosæ conjugis magnanimitatem vir ignavus ferre non valens. » Ibid.

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GUILLAUME-LE-ROUX

Hélie de la Flèche fut donc comte du Maine, et cette acquisition faite par Guillaume-le-Conquérant fut perdue pour la Normandie, sans que Robert fit aucun effort pour la retenir sous sa domination. Il avait rendu le Cotentin à son frère, qu'il avait remis en liberté. Ce qui lui restait d'états était donc peu considérable, relativement à ce qu'avait possédé Guillaume.

Les Normands voyaient chaque jour la situation de leur pays empirer sous l'inepte souverain que le sort leur avait donné. Les barons d'Angleterre qui avaient conservé des aleux en Normandie, étaient entraînés malgré eux dans des guerres féodales, puisque tout noble qui se sentait supérieur en force à ses voisins en abusait pour envahir les biens d'autrui, et s'enrichir aux dépens des faibles. Le clergé gémissait de ne pouvoir obtenir justice contre les envahisseurs des biens de l'église. Barons et prélats engagèrent le roi Guillaume-le-Roux à prendre en pitié le triste état de la Normandie, et à venir y rétablir l'ordre et la justice. Ce n'est pas que Guillaumele-Roux ne laissât lui-même commettre impunément beaucoup d'actes oppressifs de la part de ses grands vassaux; mais il les opprimait à son tour,

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