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On ne connaissait pas encore en Normandie l'art de la polémique religieuse. On proclama que l'éloquence foudroyante de Lanfranc avait réduit son adversaire au silence, et forcé Bérenger à se rétracter '. Il paraît que Bérenger ayant soulevé contre lui tout le clergé, qui disposait de la volonté des souverains, avait compris le danger dans lequel l'avait mis sa témérité à soutenir des opinions pour lesquelles le monde n'était pas mûr, et qui par cette raison ne firent que peu de progrès; mais vraisemblablement il ne fut pas plus convaincu par les objections de Lanfranc qu'on ne l'est communément à la fin des disputes théologiques. Lanfranc a laissé par écrit sa réfutation des propositions de Bérenger 2; il y règne plus d'aigreur et de véhémence que d'éloquence véritable, et l'on conçoit qu'un adversaire aussi passionné n'était guère capable de faire renoncer de coeur un hardi penseur aux opinions qu'il avait long-temps méditées. Il existe en effet un traité de Bérenger qui répond aux objec

Vita B. Lanfranci; Acta SS. Ord. Sti.-Benedicti. Vital, Eccles. Histor., lib. 4.

Order.

2 Lanfranci Opera, dans le tom. xvi de Biblioth. maxima Patrum.

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tions de Lanfranc, et soutient les mêmes propositions qui avaient soulevé contre lui toute l'église catholique.

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Le pape avait apprécié le talent et la grande capacité de Lanfranc au concile de Reims, et l'avait même amené à Rome; enfin Guillaume le bâtard avait eu occasion de connaître l'aptitude de Lanfranc aux affaires publiques, par les avis

que le moine lui avait donnés, et qui prouvaient que ce cénobite portait ses vues bien au-delà de son cloître. Lanfranc paraissait donc au souverain ainsi qu'au clergé et à toute la nation, l'homme le plus digne d'occuper le premier siége épiscopal de la Normandie; mais, à la surprise de tout le monde, il refusa, soit que la conversation de Guillaume lui eût fait entrevoir un poste plus élevé, soit qu'il eût réellement de la répugnance pour les hautes dignités; il manifesta du moins ce sentiment dans une circonstance plus importante dont il sera parlé plus tard. Il resta abbé du monastère de Caen, et y tint une école fréquentée par un grand nombre d'étudians.

Berengarii Turon. de sacra Coena adversus Lanfrancum liber posterior. Publié par Lessing; Brunswick, 1770.

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JEAN, ARCHEVÊQUE.

Il avait désigné au clergé pour le siége de Rouen, Jean, évêque d'Avranches, fils de Raoul comte de Bayeux, et petit-fils de cette même Sprote qui avait donné le jour au duc Richard Ier. Pendant la captivité de ce prince en France, elle avait épousé un riche fermier des moulins de Ruel avec lequel elle eut beaucoup d'enfans, entre autres Raoul, qui se trouvait être par conséquent frère utérin du duc Richard. '

Jean, un de ses fils, était évêque, comme nous l'avons dit, lorsqu'il fut proposé et élu pour successeur de Maurille, au siége de Rouen. Depuis le retour du conquérant en Normandie, la tranquillité régnait dans le pays. Les routes étaient sûres; dans les campagnes on récoltait sans obstacle les fruits de la terre; les violences auparavant si fréquentes étaient réprimées; les monastères se voyaient gratifiés de revenus et de priviléges'. Il n'en était pas de même en Angleterre, où les Normands se rendirent odieux par leurs rapines et par leur brutalité; en vain les Anglais réclamaient justice auprès de l'évêque de Bayeux

'Guill. Gemetic., lib. 7, cap. 38.

2 Orderic Vital, Eccles. Histor., lib. 3.

FERMENTATION EN ANGLETERRE.

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et du sénéchal du roi, qui le remplaçaient pendant son absence; ils n'en obtenaient aucune, et se voyaient livrés impitoyablement à une troupe d'étrangers qu'aucun frein ne retenait, et qui n'avaient d'autre désir que de s'enrichir aux dépens de la nation anglaise . Privés de leurs chefs, que Guillaume avait emmenés en Normandie, les Anglais tournèrent leurs yeux vers le Danemark, et sollicitèrent ses secours contre les Normands. Guillaume fut informé de la fermentation qui régnait, et dont il ne vit peut-être pas la cause, si l'on en juge par l'assertion de son chapelain, qui prétend que l'évêque de Bayeux et le sénéchal du roi se conduisirent avec la plus grande modération', tandis qu'Orderic Vital, né en Angleterre, mais élevé en Normandie, signale dans son histoire l'orgueil et l'injustice des deux gouverneurs comme la cause de l'exaspération du peuple anglais contre les Normands 3. Le sou

« Nobiles et mediocres indigenas injustis exactionibus multisque contumeliis aggravabant. » Order. Vital, lib. 3.

« Præfecturam suam uterque laudabiliter administrabant. >> Will. Pictav.

3 « Amissa itaque libertate, Angli vehementer ingemiscunt, etc. >> Order. Vital, lib. 3.

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ABBAYE DE LA BATAILLE.

venir de la bataille d'Hastings, qui avait été si meurtrière pour les deux armées, entretenait d'ailleurs une haine mutuelle dans le coeur des deux peuples'; long-temps après, ils se traitèrent encore réciproquement en ennemis. Le peuple disait que le sang des victimes de la journée d'Hastings reparaissait chaque fois qu'il pleuvait, et criait vengeance au ciel 1. Guillaume fonda l'abbaye dite de la Bataille, et y appela des moines de Marmoutiers, afin d'y prier pour les âmes des trépassés; mais il fut sans pitié pour leurs familles, qui se virent dépouillées, par lui, de leur héritage légitime. On aperçoit encore auprès de la grande route entre Hastings et Lewes, quelques ruines du couvent élevé en commémoration de la victoire. Le lierre les recouvre, et de vieux arbres ombragent ces restes auxquels se rattache un grand souvenir.

Les troupes qui étaient revenues avec Guillaume en Normandie avaient réfléchi, depuis qu'elles étaient rentrées dans leurs foyers, sur la guerre acharnée qu'elles avaient faite à un peuple qui

I

«Locus ille.... verum sanguinem et quasi recentem exsudat, ac si aperte dicatur quod vox tanti sanguinis clamat ad Deum de terra, etc. » Walt. Hemingford, Chronica, cap. 11.

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