Page images
PDF
EPUB

DÉPART POUR LA NORMANDIE.

II

lui-même dans son pays, ou pour les étaler aux yeux des habitans du continent. Le pape ne fut pas oublié ; un don considérable accompagna l'envoi du drapeau de Harold, sur lequel on voyait la figure d'un homme armé, brodée en or. '

Trois mois après son sacre et cinq mois après sa descente en Angleterre, il résolut de repasser en Normandie. L'Angleterre était loin d'être conquise; mais Guillaume avait la certitude que les troupes qu'il laissait suffiraient pour contenir la partie soumise; d'ailleurs, à la première nouvelle d'un soulèvement, il volerait à leur secours; il avait fait travailler sans relâche au château fort de Londres; le reste du pays soumis, était en sûreté sous les ordres de Fitz-Osbern et d'Eudes. Il eut aussi la précaution d'embarquer avec lui, à Pevensey, les principaux chefs anglo-saxons : c'étaient l'archevêque Stigand, le jeune Edgar, puis Edwin et Morcar, et Waltheof, fils de Siward; il emmena également les fils de plusieurs autres chefs pour lui servir d'ôtages de la fidélité de leurs familles. '

' Willelm. Pictav.

2 Florent. Wigorn. Chronic., ad ann. 1067.

12

ARRIVÉE DU ROI.

Son arrivée en Normandie, au mois de mars 1067, causa une joie universelle; il semblait, dit un historien du temps, qu'un nouvel éclat venait de se répandre sur ce pays '. On était en carême; cependant on crut, dans les évêchés et les monastères où Guillaume s'arrêta, devoir suspendre les abstinences et les rigueurs prescrites par l'église, afin de pouvoir célébrer dignement la présence d'un aussi grand vainqueur. Le nouveau roi répondit aux fêtes qu'on lui donna par des présens tirés du trésor anglais qu'on portait à sa suite : c'étaient des étoffes brodées, des vases d'or et d'argent, des croix enrichies de pierreries. Le clergé et le peuple conçurent une haute idée de la conquête quand ils virent ce qu'on avait pris aux vaincus. '

Il était d'usage alors, dans les cours des rois et d'autres princes, de déployer le plus grand faste pendant les principales fêtes de l'église, surtout à Pâques et à Noël. Les barons et les évêques se rendaient à la cour, en augmentaient l'éclat, et

« Lux quædam insolitæ serenitatis totæ provinciæ subito exorta videbatur.» Willelm. Pictav.

2 Orderic Vital, Eccles. Histor., lib. 3.

FÊTES A FECAMP.

13

les fêtes de l'église devenaient l'époque des grandes délibérations. Guillaume, en voyageant lentement à travers la Normandie, était arrivé vers la fin du carême à Fécamp, où l'abbaye de la Trinité le reçut avec toute sa cour. C'est là qu'il célébra la solennité de Pâques en présence de ses barons et des évêques du pays. Il en manquait plusieurs, qu'il avait laissés en Angleterre ; mais en revanche, on le voyait entouré de seigneurs anglo-saxons dont la présence était comme un trophée vivant de sa victoire. Leur rang, leur costume, leur physionomie, tout intéressa vivement le peuple normand, ainsi que les Français que ces fêtes avaient attirés à Fécamp; ils ne pouvaient se lasser de contempler ces jeunes Anglais aux traits délicats, à la chevelure bouclée, qui leur paraissaient l'idéal de la beauté. Leurs yeux furent éblouis par l'éclat du riche costume de Guillaume, et des vases brillans qui furent étalés dans l'église et dans la salle du banquet. On admira surtout ces cornets à boire, garnis d'or, qui provenaient probablement du nord, où l'usage en était anciennement

« Nec cnim puellari venustati cedebant. » Will. Pictav. Gesta Will. duc.

14

DEDICACE DE JUMIÈGES.

général. A la vue de tant de magnificence, le peuple avoua qu'il ne connaissait rien de pareil, et que tout ce qu'il avait vu auparavant était mesquin en comparaison d'un luxe semblable. En rentrant dans leurs foyers, ceux qui avaient assisté aux fêtes de Pâques à Fécamp, racontèrent avec enthousiasme les choses étranges et merveilleuses qu'ils venaient de voir.

Au mois de mai, Guillaume se rendit avec toute sa cour sur la Dive, afin d'assister à la dédicace de la nouvelle basilique de Sainte-Marie. Là, ce fut un nouvel étalage de richesses, de nouvelles fêtes religieuses et mondaines. Elles ne firent pourtant pas oublier au monarque ce qu'il devait à son pays. Il promulgua plusieurs ordonnances pour la tranquillité publique . Au mois de juillet il revint sur la Seine, et assista avec la même pompe à la dédicace de l'église de l'abbaye de Jumièges, qui, depuis le commencement du siècle, s'était relevée lentement de ses ruines par la libéralité des ducs ses prédécesseurs, et des riches particuliers.

1 "

Quæque antea viderant, vilia æstimavere. » Guill. Pictav., Gesta Will. duc.

2 Ibid.

LANFRANC, ABBÉ DE CAEN.

15

L'une et l'autre église nouvelle fut dotée de terres du domaine royal et ducal. '

La dédicace de Jumièges fut le dernier acte public de l'archevêque de Rouen Maurille. Il mourut peu de temps après. L'église le mit au nombre des bienheureux. C'était en effet un saint, en comparaison de son prédécesseur Mauger, qu'il avait fallu déposer, afin de faire cesser le scandale qu'il donnait à son diocèse. Pour remplacer Maurille, le clergé jeta les yeux sur un moine italien, Lanfranc, alors abbé dans le couvent récemment fondé par Guillaume dans la ville de Caen. Ce n'était plus un homme obscur; ses cours professés à l'école de l'abbaye du Bec avaient fait connaître en lui un des plus savans maîtres du temps, et contribué à la splendeur de cette école ; dans la dispute théologique que le clergé normand avait provoquée à Brionne pour réfuter le hardi Béren– ger de Tours, qui seul osa lutter contre tous les théologiens, et nier le dogme de la transubstantiation, Lanfranc avait prouvé un talent extraordinaire pour le temps.

I

Utrumque ex prædiis dominii sui largiter dotavit. » Orderic Vital, Eccles. Histor., lib. 3.

« PreviousContinue »